Le Blue Brain Project prédit les connexions entre les neurones

© EPFL / Blue Brain

© EPFL / Blue Brain

La fiabilité des modèles de simulation du cerveau peut désormais être démontrée


En neurosciences, l’un des plus grands défis est d'identifier le schéma des connexions synaptiques entre les neurones. Nommé le « connectome », il est le Saint-Graal qui expliquera comment les flux d’informations circulent dans le cerveau. Dans un article publié durant la semaine du 17 septembre dans Proceedings of the National Academy of Sciences, le Blue Brain Project de l’EPFL (BBP) a identifié des principes-clés qui déterminent la connectivité des synapses en reconstituant virtuellement un microcircuit cortical et en le comparant à l’échantillon de celui d’un mammifère. Ces principes permettent aujourd’hui de prédire les localisations des synapses dans le néocortex.

« C’est une avancée majeure. Sans cela, il faudrait des décennies, voire des siècles pour schématiser la localisation de chaque synapse dans le cerveau. Il est désormais beaucoup plus facile de construire des modèles précis », déclare Henry Markram, qui dirige le BBP.

Un des grands mystères des neurosciences est de comprendre si tous les neurones se développent de manière indépendante et se connectent simplement en fonction ce qu’ils rencontrent lorsque leurs branches viennent à se toucher, ou si les branches de chaque neurone sont guidées par des signaux chimiques pour atteindre une cible particulière. Pour élucider ce mystère, les chercheurs ont observé une reconstruction virtuelle d’un microcircuit cortical pour voir où ces branches se rencontrent. À leur grande surprise, ils ont observé que la localisation des points de connexion, sur le modèle, correspondait à celle des synapses trouvée sur le circuit équivalent d’un véritable cerveau avec une exactitude atteignant les 75 à 95 pour-cent.

Il ressort que les neurones se développent aussi indépendamment les uns des autres qu’il leur est physiquement possible de le faire et qu’ils forment des synapses au hasard des endroits ou ils se rencontrent. Quelques exceptions ont aussi été découvertes, soulignant des cas particuliers pour lesquels des signaux sont émis par les neurones pour changer la connectivité statistique. En tenant compte de ces exceptions, l'équipe du Blue Brain peut aujourd’hui prédire de façon presque parfaite la localisation de toutes les synapses formées à l’intérieur du circuit.

Une reconstruction virtuelle
Le but du BBP est d’intégrer les connaissances de toutes les branches spécialisées dans les neurosciences pour en tirer les principes fondamentaux qui gouvernent la structure et la fonction du cerveau, et en fin de compte, reconstruire les cerveaux de différentes espèces – y compris le cerveau humain – in silico. Le présent article fournit une nouvelle preuve du concept de cette approche en démontrant pour la première fois que la distribution des synapses ou connexions neuronales dans le cortex d’un mammifère peut être prédite dans une large mesure.

Pour arriver à ces résultats, une équipe du Blue Brain Project a entrepris de reconstruire virtuellement un microcircuit cortical en se basant sur des propriétés géométriques et électriques des neurones récoltées au cours de près de 20 ans d'expérimentations minutieuses sur des fragments de tissus du cerveau. Chaque neurone dans le circuit a été reconstitué en 3D sur un ordinateur Blue Gene superpuissant. Environ 10 000 neurones virtuels ont été concentrés dans un espace 3D et positionnés au hasard selon la densité et la répartition des types morphologiques trouvés dans les tissus vivants correspondants. Les chercheurs ont ensuite comparé le modèle à un circuit de cerveau équivalent, provenant du cerveau d’un véritable mammifère.

Un progrès majeur vers des modèles précis du cerveau
Cette découverte explique aussi pourquoi le cerveau peut supporter des lésions et indique que la localisation des synapses dans des cerveaux provenant d’une même espèce est plutôt similaire que différente. « L’organisation des synapses s’est révélée très robuste, explique Sean Hill, principal auteur et neuroscientifique computationnel. Nous pouvions modifier la densité, le positionnement ou l’orientation : rien de cela ne modifiait la distribution de la position des synapses.»

Ils ont aussi découvert que cette robustesse n’existe que si la morphologie de chaque neurone est légèrement différente de celle des autres, ce qui explique un autre mystère du cerveau – pourquoi les neurones ne sont pas tous de forme identique. « C’est la diversité dans la morphologie des neurones qui fait que les circuits cérébraux d’une même espèce sont semblables et qu’ils sont hautement robustes », résume Sean Hill.

Dans l’ensemble, ce travail représente une accélération majeure dans la capacité de construire des modèles détaillés du système nerveux. Les résultats fournissent des informations précieuses sur les principes de base qui gouvernent le câblage du système nerveux, illustrant comment les circuits corticaux robustes sont construits à partir de populations diverses de neurones – un pas essentiel vers la compréhension du fonctionnement du cerveau. Ils soulignent également la valeur de l’approche constructiviste du BBP. « Bien que l'intégration systématique de données dans une vaste gamme d’échelles s’avère lente et laborieuse, elle nous permet d’en tirer des principes fondamentaux sur la structure du cerveau et par conséquent sur sa fonction », conclut Sean Hill.