La thérapie génique restaure l'ouïe de souris sourdes

Une cochlée avec ses cellules cilliées sensorielles (image: Charles Askew)

Une cochlée avec ses cellules cilliées sensorielles (image: Charles Askew)

Des chercheurs américains et suisses franchissent un pas vers de futurs traitements de la surdité génétique. Leur étude, publiée dans "Science Translational Medicine", valide une nouvelle approche.

Au moyen de la thérapie génique, des chercheurs du Boston Children’s Hospital, de Harvard Medical School et de l'EPFL ont restauré l'ouïe de souris affectées d'une forme de surdité génétique. Leur étude, publiée en ligne le 8 juillet par Science Translational Medicine, pourrait ouvrir la voie à l'utilisation de la thérapie génique chez des personnes souffrant de perte de l'audition provoquées par des mutations génétiques.

«Notre protocole de thérapie génique n'est pas encore prêt pour des essais cliniques – nous devons encore faire des ajustements – mais nous pensons que dans un avenir pas trop lointain, il pourrait être développé pour un usage thérapeutique chez les humains», explique Jeffrey Holt, chercheur au Département d'otolaryngologie et au F. M. Kirby Neurology Center du Boston Children's Hospital, et professeur associé d'otolaryngologie à la Harvard Medical School.

Plus de 70 gènes sont connus pour provoquer la surdité s’ils présentent des mutations. Les chercheurs américains Jeffrey Holt et Charles Askew, auteurs principaux, ainsi que leurs confrères suisses Patrick Aebischer, Bernard Schneider et Cylia Rochat, se sont concentrés sur un gène nommé TMC1. Ils l'ont choisi parce qu'il est une cause courante de surdité d'origine génétique, impliqué dans 4 à 8% des cas. Il encode une protéine qui joue un rôle central dans l'audition, en contribuant à convertir les sons en signaux électriques transmises au cerveau.

Les chercheurs on testé la thérapie génique sur deux types de souris mutantes. Dans un des types, le gène TMC1 était complètement effacé; ce type constitue un bon modèle pour les mutations récessives du TMC1 chez les humains: des enfants porteurs de deux copies mutantes de TMC1 souffrent de pertes d'audition profondes dès leur très jeune âge, généralement autour de 2 ans.

L'autre type de souris, appelée Beethoven, possède une mutation spécifique de TMC1 – une altération dans un seul acide aminé. Il constitue un bon modèle pour la forme de surdité dominante liée à TMC1. Sous cette forme, une seule copie de la mutation va provoquer chez les enfants une surdité progressive, à partir de 10 à 15 ans.

Pour implanter le gène sain, l'équipe l'a introduit dans un virus génétiquement modifié nommé virus adeno-associé 1, ou AAV1 (adeno-associated virus 1), parallèlement à un promoteur – une séquence génétique qui active le gène uniquement dans certaines cellules sensorielles de l'oreille interne, les cellules ciliées. Puis ils ont injecté le virus AAV1 portant le gène dans l'oreille interne, avec les constats suivants:

• Dans le modèle de surdité récessive, la thérapie utilisant TMC1 a rétabli la capacité des cellules ciliées sensorielles à répondre aux sons – en produisant un courant électrique mesurable – et a également restauré l'activité dans la portion auditrice du tronc cérébral.

• Surtout, et c'est le plus important, les souris sourdes ont recouvré leur capacité à entendre. Pour tester leur audition, les chercheurs ont placé les souris dans une «boîte à sursauts» et déclenché des sons abrupts et forts. «Les souris ayant la mutation TMC1 restaient sans réactions, alors qu'avec la thérapie génique, elles sursautaient aussi haut qu'une souris normale», explique Jeffrey Holt. (La force de leur saut était mesurée par une plaque sur la surface au-dessous d'elles; elle était détectable avec des sons commençant autour de 80 décibels).

• Dans le modèle de surdité dominant, la thérapie génique avec un gène apparenté, TMC2, s'est avérée positive au niveau cellulaire et cérébral, et partiellement positive dans la restauration de l'ouïe dans le test de sursaut.

Essais cliniques à l'horizon

AAV1 en tant que vecteur viral est considéré comme sûr, et il est déjà utilisé dans des essais en thérapie génique humaine pour la cécité, les maladies cardiaques, la dystrophie musculaire et d'autres affections. Les chercheurs ont examiné différents types de virus AAV et divers types de promoteurs afin de choisir la combinaison la plus performante. Ils projettent d'optimiser encore leur protocole et de suivre leurs souris traitées, afin de voir si elles conservent leur capacité auditive au-delà des deux mois déjà observés.

A l'avenir, Holt espère pouvoir s'associer avec des cliniciens du Département d'otolaryngologie du Boston Children's Hospital et d'ailleurs, afin de commencer des essais cliniques de TMC1 en thérapie génique dans un délai de 5 à 10 ans.

«Les thérapies courantes pour des pertes d'audition profondes, comme celles causées par la forme récessive de TMC1, sont des appareils auditifs, qui souvent ne marchent pas très bien, et les implants cochléaires», explique Margaret Kenna, spécialiste en perte d'audition génétique au Boston Children's Hospital. «Les implants cochléaires sont excellents, mais votre propre ouïe est meilleure en terme de gammes de fréquences, de nuances pour entendre les voix, de musique et de bruit de fond, et pour vous représenter de quelle direction vient un son. Tout ce qui peut stabiliser ou améliorer l'ouïe à un âge précoce est vraiment enthousiasmant. Cela stimulerait considérablement la capacité de l’enfant à apprendre et à utiliser le langage parlé.»

Jeffrey Holt estime que d'autres formes de surdité génétique peuvent également répondre à cette stratégie de thérapie génique. D'une manière générale, une perte d'audition sévère à profonde dans les deux oreilles touche 1 à 4 pour-mille des naissances.

«Je peux imaginer des patients sourds voir leur génome séquencé, puis se voir injecter dans les oreilles un traitement sur mesure pour restaurer leur audition.»

Transducteurs sonores: comment TMC fonctionne

L'équipe de Jeffrey Holt a montré en 2013 que TMC1 et la protéine apparentée TMC2 jouent un rôle essentiel dans l'audition, conclusion d'une recherche scientifique rigoureuse de 30 ans. Les cellules ciliées sensorielles de l'oreille interne contiennent de minuscules prolongements nommés microvillosités, chacune ayant à son extrémité un canal formé par les protéines TMC1 et TMC2. Lorsque les ondes sonores se répandent sur les villosités, elles remuent et cette stimulation mécanique provoque l'ouverture du canal. Ceci permet au calcium de pénétrer dans la cellule, générant un signal électrique qui communique au cerveau et est traduit en audition.

Bien que le canal soit constitué soit par TMC1, soit par TMC2, une mutation dans le gène TMC1 suffit à provoquer la surdité. Cependant, l'étude de Jeffrey Holt a aussi montré que la thérapie génique avec TMC2 pouvait compenser la perte d'un gène TMC1 fonctionnel, restaurant ainsi l'ouïe dans le modèle de surdité récessive, et une audition partielle dans le modèle de surdité dominant.

«C'est un bel exemple de la manière dont la science fondamentale peut conduire à des thérapies cliniques», explique Jeffrey Holt.

«Une thérapie génique fonctionnelle aurait de profondes implications, et nous sommes très heureux d'être associés au programme de cette étude», explique Ernesto Bertarelli, co-président de la Fondation Bertarelli, qui a financé la plus grande part de la recherche. «Ces découvertes marquent une étape essentielle dans la manière dont nous comprenons, et pourrons finalement soigner, le fardeau de la surdité chez les humains. Les résultats attestent de l'immense engagement de l'équipe scientifique, et sa détermination à amener la science la plus pointue au plus près d'une mise en œuvre dans le monde réel.»

Les auteurs additionnels de l'article sont Bifeng Pan, PhD, Yukako Asai, PhD, Hena Ahmed et Erin Child, tous du Boston Children’s Hospital/Harvard Medical School, et Cylia Rochat, Bernard L. Schneider, PhD, et Patrick Aebischer, MD, PhD, du Brain Mind Institute, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Lausanne, Switzerland. The Kidz-b-Kidz Foundation et une famille donatrice anonyme ont apporté un financement additionnel à l'étude.


Auteur: Boston Children Hospital / Harvard Medical School / EPFL

Source: EPFL