La spintronique passe la vitesse supérieure

La configuration 2-D ultrafast UV spectroscopy © Alain Herzog/EPFL

La configuration 2-D ultrafast UV spectroscopy © Alain Herzog/EPFL

Avancée de taille en matière de spintronique: des chercheurs de l’EPFL ont démontré que les électrons pouvaient transiter de spin en spin bien plus rapidement que prévu.

Les électrons tournent autour des atomes, mais également sur eux-mêmes, ce qu’on appelle leur spin. Celui-ci peut présenter des états différents – une propriété que l’on veut exploiter pour une nouvelle génération de disques durs. Mais ces transitions de spin étaient jusqu’ici considérées comme trop lentes pour être efficaces. Or, des scientifiques de l’EPFL ont désormais démontré en exclusivité au moyen d’analyses ultrarapides que les électrons pouvaient basculer d’un état de spin à un autre au moins 100'000 fois plus rapidement que ce que l’on pensait auparavant. Outre ses implications cruciales pour la physique fondamentale, cette découverte fera faire un bond de géant à la spintronique. Cette étude est publiée dans Nature Chemistry.

Les lois du spin

Bien qu’il soit difficile à expliquer dans des termes du quotidien, le spin électronique peut être comparé à la rotation d’une planète ou d’une toupie autour de son axe. Les électrons peuvent tourner de diverses manières, appelées « état de spin » et désignées par les chiffres 0, ½, 1, 3/2, 2 etc. Pendant les réactions chimiques, les électrons sont susceptibles de passer d’un état de spin à un autre, par exemple de 0 à 1 ou de ½ à 3/2.

Les transitions de spin sont déjà utilisées dans de nombreuses technologies, comme les diodes émettrices de lumière (par ex. OLED), les systèmes de conversion énergétique et la photothérapie contre le cancer. Plus important encore, elles sont les fondements d’une discipline nouvelle, la spintronique. Pourtant, la transition de spin posait jusqu’ici problème, car on la considérait comme trop lente pour être efficace dans les circuits.

Une transition de spin ultrarapide

Or, le laboratoire de Majed Chergui, à l’EPFL, a désormais démontré que la transition de spin était bien plus rapide qu’escompté. Grâce aux technologies à résolution temporelle les plus pointues au monde, les chercheurs ont en effet pu « voir » les électrons passer à travers quatre états de spin en 50 quadrillionièmes de seconde – ou 50 femtosecondes.

« La résolution temporelle a toujours été une limite», explique Chergui. « Année après année, les laboratoires ont employé des techniques qui ne pouvaient mesurer les changements de spin qu’en milliardième ou millionième de seconde. Ils pensaient par conséquent que les transitions de spin se déroulaient à cette même échelle. »

Le laboratoire de Chergui s’est tout d’abord intéressé à des matériaux prometteurs en matière d’applications spintroniques, où les électrons évoluent au gré de quatre états de spin, entre 0 et 1 puis 2. En 2009, ce même laboratoire avait déjà repoussé les limites de la résolution temporelle en prouvant que ce saut de 0 à 2 pouvait avoir lieu en l’espace de 150 femtosecondes – ce qui évoquait plutôt un événement direct. La communauté restait toutefois persuadée qu’une telle transition présentait des stades intermédiaires.

Mais Chergui en doutait. Avec son postdoc Gerald Auböck, il a mis à profit l’expertise de son laboratoire en matière de spectroscopie ultrarapide pour « booster » la résolution temporelle. Pour ce faire, il a brièvement projeté un laser sur l’échantillon de matière à étudier, causant un mouvement d’électrons. Un autre laser a ensuite mesuré leur changement de spin dans le temps au sein du spectre ultraviolet.

Résultat, leurs découvertes ont réduit à néant la notion d’étape intermédiaire entre sauts de spin, et ce en raison d’un manque de temps: seuls 50 quadrillionièmes de seconde sont en effet nécessaires pour passer de l’état de spin 0 à 2. Il s’agit ici de la première étude qui pousse la résolution temporelle à une telle limite dans le domaine ultraviolet. « Même si le processus est certainement encore plus rapide qu’observé, on a pu démontrer qu’il était bel et bien direct, ce qui est fondamental », ajoute Chergui.

De l’observation à l’explication

Cette étude, qui aura un impact profond sur la technologie, la physique fondamentale et la chimie, reste toutefois une observation non-expliquée. Chergui pense que la clé réside dans les allers-retours des électrons entre l’atome de fer au centre des molécules du matériau et les éléments alentours. « Lorsque le laser éclaire l’atome, celui-ci change l’angle du spin électronique, ce qui affecte toute la dynamique de spin de la molécule. »

C’est désormais aux théoriciens de développer un nouveau modèle de changements de spin ultrarapides. Du côté expérimental, le laboratoire de Chergui se penche désormais sur l’observation des allers-retours des électrons à l’intérieur même des molécules. Cela va demander des approches encore plus sophistiquées, comme la spectroscopie des niveaux profonds. Cette étude a cependant défié certaines idées reçues sur la transition de spin, et pourrait offrir des solutions très attendues aux limitations de la spintronique.

Cette étude a été soutenue par le FNS par le biais du Centre national de compétences pour la recherche MUST (Molecular Ultrafast Science and Technology), ainsi que par une bourse d’équipement de recherche.

Source

Auböck G, Chergui M. Sub-50 fs photo-induced spin cross-over in [Fe(bpy)3]2+. Nature Chemistry 20 July 2015. DOI: 10.1038/nchem.2305