«La sociologie cellulaire»: entretien avec Giovanni D'Angelo

Giovani D’Angelo (credit: Alban Kakulya/EPFL)
Le Professeur Giovanni D’Angelo a récemment rejoint la Faculté des Sciences de la vie de l’EPFL où il dirige un laboratoire à l’Institut interfacultaire de Bioingénierie (IBI). Les travaux antérieurs de Giovanni D’Angelo, expert dans le domaine des lipides, ont porté sur la manière dont les protéines transportent les lipides d’une membrane cellulaire à l’autre, et la manière dont les cellules sont capables de maintenir des compartiments dont les compositions lipidiques diffèrent. A l’EPFL, il projette de passer à la prochaine étape de ses recherches: la cellule unique et sa vie sociale.
Parlez-nous un peu de votre parcours. Comment expliqueriez-vous votre travail à un non-scientifique?
J’ai une formation en biologie cellulaire et en biochimie, ce qui signifie que je m’intéresse aux cellules. Ces quinze dernières années, mes recherches ont surtout porté sur les membranes cellulaires et les lipides qui les constituent. Presque tous les objets vivants sont entourés d’une membrane lipidique qui sert de protection, mais qui constitue aussi la toute première interface entre l’objet vivant et son environnement pour échanger des informations.
Je cherche à comprendre comment les cellules fabriquent les lipides qui composent ces membranes. Quels mécanismes elles utilisent, et ce que cela signifie pour la cellule que sa membrane possède telle ou telle composition lipidique.
C’est comme porter un manteau pour sortir. Le manteau vous protège de l’environnement mais il révèle aussi aux autres des choses sur vous. S’il s’agit d’un uniforme, les gens qui vous regardent comprendront alors que vous êtes soldat, par exemple. Il peut s’agir de quelque chose de différent, et les gens apprendront d’autres choses sur vous. En quelque sorte, cela influence votre vie sociale.
En résumé, ce qui m’intéresse, c’est cette interface entre la cellule et l’environnement, dans le contexte de la protection et de la «vie sociale» de la cellule.
Qu’est-ce qui vous a attiré à l’EPFL?
J’ai postulé dans différents établissements où la recherche et l’enseignement atteignent les plus hauts niveaux d’exigence, ce qui est indéniablement le cas ici à l’EPFL. Mais c’est l’importance accordée à la biologie quantitative qui m’a finalement conduit à choisir cette institution. Le fait qu’ici je puisse aborder les thèmes qui m’intéressent, pas de manière préétablie mais de manière plus concrète et quantitative, c’est ce qui m’a vraiment attiré.
Comme je m’intéresse à la «vie sociale» des cellules, la solide expérience que possède l’EPFL avec certains systèmes modèles où ces aspects peuvent être modélisés, par exemple les organoïdes, est assez unique. C’est un autre point positif qui m’a attiré à l’EPFL en termes de recherche.
S’agissant de l’enseignement, l’EPFL est l’une des meilleures écoles en Europe et dans le monde. Enseigner à l’EPFL est un grand honneur pour moi.
Quels sont actuellement vos objectifs de recherche? Qu’espérez-vous réaliser à l’EPFL?
En ce moment, l’un de mes projets porte sur la variabilité de la composition des membranes de cellules uniques. Il devient évident que les variations entre cellules ne sont pas simplement un épiphénomène d'un bruit ou d'une variance statistique quelconque, mais qu’elles pourraient bien avoir une signification biologique.
Cet aspect a été étudié pour les acides nucléiques, l’ADN et l’ARN, mais beaucoup moins pour les lipides ou les métabolites en général. La compréhension de la variabilité métabolique nous donnera probablement plus d’informations que nous le pensons. Dans le domaine des lipides membranaires, cela présente un intérêt tout particulier du fait de leur importance dans l’interaction cellule-cellule et la signalisation cellulaire. Par conséquent, c’est l’une des choses que je souhaite développer ici, en termes de technologie comme en termes de recherche fondamentale.
Quelles techniques envisagez-vous d’utiliser?
Dans 80% des cas, les techniques que je vais utiliser sont des techniques standard d’analyse biochimique des lipides et de biologie cellulaire. Point important à mentionner, j’envisage d’acquérir un spectromètre de masse MALDI. C’est un appareil qui restitue les images d’échantillons tissulaires et qui donne une description du contenu moléculaire du tissu ou de l’échantillon en question selon un mode à résolution spatiale. Ce que nous aimerions, c’est appliquer cela au niveau cellulaire et, si possible, au niveau subcellulaire.
Concernant la biologie des cellules uniques, qu’imaginez-vous en termes de médecine ou de sciences de la vie?
Si nous revenons à ce concept de vie sociale des cellules, le cancer est un exemple clair de perturbation de cette vie-là. Dans le cancer, les cellules ne se «comportent» pas correctement. Une cellule cancéreuse se divise ou migre alors qu’elle ne devrait pas. Nous savons que ce phénomène est lié à un changement important du contenu lipidique des membranes cellulaires, et l’une des parties les plus intéressantes des recherches que j’envisage de faire à l’EPFL a pour but de comprendre ce qu’il faut à une cellule pour vivre dans un contexte, et de savoir ce qui ne va pas quand la cellule n’y parvient pas.
Pensez-vous que vos recherches se recouperont avec d’autres disciplines à l’EPFL?
Certaines parties du travail que j’envisage de faire à l’EPFL se recouperont certainement. Par exemple dans le domaine du traitement des images, où les statistiques seront essentielles. Un système de traitement des images sophistiqué sera déterminant pour réussir tout ce que nous tenterons de faire.
Et puis, j’ai le rêve suivant: certains lipides que j’étudie se trouvent dans les membranes et possèdent des sucres polymérisés. Ces sucres polymérisés ne sont pas simplement des chaînes linéaires, mais ils ont des structures ramifiées qui sont assemblées selon un mode sans «matrice», comme on dit. Il n’y a donc pas d’ADN ou d’ARN qui les code directement, mais leur production reste très étroitement contrôlée. Ce qui laisse entendre qu’il devrait y avoir des informations liées à ces molécules.
Afin de mieux comprendre ce phénomène, il serait très intéressant d’avoir un scientifique du langage pour nous aider, quelqu’un qui puisse nous dire: «Une structure comme celle-ci peut être lue par ce type de machine, car elle appartient à cette catégorie-là de Chomsky». Et je vais m’intéresser aussi à cela.
Les sucres ont-ils été conservés d’une cellule à l’autre au cours de l'évolution?
Il s’agit là du polymère qui a évolué le plus rapidement. D’autres polymères, comme les acides nucléiques ou les peptides, montrent peu de variation en termes de constituants chez les bactéries, les archées et les eucaryotes. Les glycanes ont évolué. Par exemple, nous, en tant que deutérostomiens – et donc vertébrés – utilisons douze sucres pour les glycolipides. Les levures et les plantes en utilisent trois, et ce ne sont même pas les mêmes sucres. Chez les vertébrés, la complexité des glycanes a émergé plus ou moins aux alentours de l’explosion cambrienne, lorsque des organismes pluricellulaires plus complexes ont commencé à peupler la planète.
Jusqu’à présent, comment trouvez-vous la Suisse?
Je l’adore. Je viens d’un pays magnifique mais qui a de nombreux problèmes. La Suisse, ou tout au moins la Suisse romande, semble conjuguer tous les atouts d’un pays du Sud et d’un pays du Nord.
Quelle impression avez-vous de la Suisse en ce qui concerne la culture des sciences et de la recherche?
C’est une niche. En un sens, cela peut aussi être un peu effrayant. Pour de nombreuses raisons, c’est le meilleur endroit pour faire de la science en Europe. Les conditions qui sont données ici aux chercheurs sont bien meilleures que n’importe où ailleurs. C’est probablement ce qui vous met dans la position idéale pour produire les meilleurs résultats possibles.