La précision sans friction ni usure séduit du spatial à l'horlogerie

Pivot flexible monolithique a rotation purement circulaire doté d’une rigidité radiale améliorée. Mécanisme couvert brevet EPFL Instant-Lab, 2024. Crédit photo: S. Henein

Pivot flexible monolithique a rotation purement circulaire doté d’une rigidité radiale améliorée. Mécanisme couvert brevet EPFL Instant-Lab, 2024. Crédit photo: S. Henein

De votre poignet à l'orbite du Soleil, les mécanismes flexibles sont conçus pour fonctionner des décennies sans entretien. À l'EPFL et au CSEM, des scientifiques travaillent sur ce type de technologie qui offre une grande variété d'applications, notamment dans le domaine spatial et la métrologie de haute précision.

Dans les articulations traditionnelles, plusieurs éléments se rencontrent pour permettre un mouvement mécanique. Cependant, le contact direct entre ces pièces génère des frictions et donc une usure. «La friction est un problème majeur. Et on ne peut pas l'éviter», explique Gilles Feusier, chargé de cours pour le programme d’enseignement en technologie spatiale et responsable Technologie & Science au Space Center de l’EPFL. Il co-préside la conférence ESMATS sur les mécanismes spatiaux et la tribologie, organisée par l'EPFL, le CSEM et Almatech, qui a lieu en ce moment au SwissTech Convention Center.

Avec le temps, l'usure crée des débris et finit par perturber le fonctionnement du mécanisme. Pour y remédier, les ingénieurs et ingénieures ont recours à des lubrifiants et remplacent régulièrement certaines pièces. Mais cet entretien devient un défi lorsque ces mécanismes doivent rester opérationnels pendant des décennies, dans des environnements extrêmes ou inaccessibles tel que l'espace.

Pour pallier ces contraintes, les scientifiques misent sur ce qu’on appelle les mécanismes flexibles, également appelés mécanismes compliants. Utilisés aussi bien dans le spatial que dans l’horlogerie, leurs propriétés élastiques permettent un mouvement de haute précision tout en évitant les articulations, éliminant ainsi les frictions. «Ces systèmes ne nécessitent pas de lubrifiant et ne s'usent pas. C'est un avantage considérable», explique Gilles Feusier.

Les mécanismes flexibles sont d’une précision remarquable mais ils ont leurs limites: ils ne peuvent pas tracer de lignes droites ou des cercles parfaits, ni produire des rotations illimitées comme leurs homologues traditionnels. «Les flexions sont limitées à 40 degrés avant d'atteindre leur limite élastique. Il est difficile d'aller au-delà», explique Simon Henein, professeur associé au Laboratoire de conception micromécanique et horlogère de l'EPFL (Instant-Lab). Cette contrainte, loin d’être un défaut, contribue à leur longévité. Tant que l'angle de rotation reste en dessous d'un certain seuil, ces mécanismes échappent à la fatigue matérielle et préservent ainsi leur structure interne. Cela permet, en théorie, un nombre infini de cycles. «Ces mécanismes sont extrêmement fiables», ajoute Simon Henein.

Améliorer les performances et élargir l’utilisation

Une équipe de scientifiques dirigée par Simon Henein et Florent Cosandier conçoit de nouveaux types de flexions qui résistent à des charges plus élevées et à déplacements plus longs. Les scientifiques travaillent également à compenser la force que ces éléments subissent lorsqu'ils sont déplacés (l'effet naturel de «rebond» des matériaux élastiques). «Contrairement aux articulations que l’on considère comme ‘idéales’, les déformations élastiques ont tendance à revenir à leur position naturelle. Nous devons donc inventer de nouvelles façons de compenser cette force de rappel», explique Simon Henein.

Une approche consiste à exploiter le mouvement parasite généré par les trajectoires complexes des flexions. Cette technique novatrice permet d'appliquer des mécanismes flexibles de haute précision à la robotique et aux systèmes aérospatiaux, tels que le mécanisme de pointage des futurs télescopes et le positionnement des éléments robotiques médicaux. Les scientifiques ont également mis au point un nouvel oscillateur avec deux degrés de liberté basé sur la flexion qui présente une grande robustesse face aux accélérations linéaires et angulaires externes, ce qui le rend adapté aux satellites en orbite. Cette expertise est mobilisée dans le cadre de projets scientifiques tels que le télescope Einstein, un puissant détecteur d'ondes gravitationnelles européen, actuellement en développement. «Le télescope Einstein fonctionnera à température cryogénique et nécessitera des résolutions de mouvement extrêmement élevées. Un environnement parfait pour les mécanismes flexibles», commente le professeur.

Certaines de ces avancées sont traduites en brevets. «Nous menons nos recherches de manière indépendante, mais lorsque nous avons de bonnes idées, nous les brevetons», souligne Simon Henein. Le Technology Transfer Office (TTO) de l'EPFL facilite l'accès du monde industriel à ces brevets, dont onze issus du laboratoire Instant-Lab ont déjà généré un revenu total de plus d'un million de francs – partagés entre inventeurs, laboratoire et institution.

Construire des flexions

Les mécanismes flexibles peuvent être fabriqués à partir de divers matériaux, notamment l'acier, le titane et l'aluminium. Les procédés de fabrication additive sont devenus une technique puissante pour générer des composants complexes sans devoir les assembler. «L'assemblage de pièces ajoute du poids, ce qui pose toujours un problème dans l'espace. La fabrication additive présente l'avantage de réduire la masse totale de la charge utile», explique Simon Henein.

Le Centre Suisse d'Électronique et de Microtechnique (CSEM) collabore étroitement avec l'EPFL pour le développement de ces nouveaux mécanismes. Les ingénieures et ingénieurs utilisent plusieurs additifs et procédés de fabrication, notamment la fusion laser de poudre sur lit (LBDF). Dans cette technique, une couche de poudre est déposée sur une surface, puis un laser chauffe et fait fondre une zone donnée pour former la pièce métallique finale. «Le CSEM possède une solide expertise en fabrication additive de mécanismes complexes et de haute précision, grâce à ses nombreuses machines et stratégies d’optimisation des paramètres», explique Emmanuel Onillon, responsable commercial instrumentation au CSEM. «Certains de ces mécanismes doivent mesurer environ 100 microns, soit l'épaisseur d'un cheveu humain. Atteindre cette finesse est un défi. Nous avons reçu des demandes de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) pour lesquelles nous devons adapter nos procédures.»

De l'orbite aux montres et à la médecine

Qu'il s'agisse de déplacer, orienter, calibrer, échantillonner ou stabiliser des instruments embarqués tels que des caméras et des capteurs, les mécanismes flexibles sont parfaitement adaptés aux technologies spatiales. Parmi leurs principaux atouts figurent une grande résistance aux variations extrêmes de température, une robustesse même dans les environnements poussiéreux et une durée de vie théoriquement illimitée grâce à l’absence d’usure. Ils peuvent également servir de systèmes d'amortissement efficaces pour absorber des vibrations dans les appareils qui exigent une précision extrême, tels que les systèmes de communication laser inter-satellites ou les miroirs des télescopes. «Si nous voulons obtenir un pointage très précis, nous devons corriger ou filtrer les perturbations générées par les équipements rotatifs à l’intérieur du satellite», explique Fabrice Rottmeier, alumnus de l'EPFL et directeur technique chez Almatech, une entreprise suisse spécialisée dans la fourniture de matériel et de services d'ingénierie pour le secteur spatial.

Dans le domaine biomédical, les mécanismes flexibles sont tout aussi précieux que dans l’espace. «Ils ont l’avantage d’être généralement monolithiques, ce qui rend la stérilisation beaucoup plus simple et efficace. Cette fonctionnalité est également importante dans le domaine de l'exploration spatiale où toute contamination doit être strictement évitée», précise Fabrice Rottmeier. En horlogerie, cette technologie offre précision et fiabilité à long terme, illustrant sa capacité unique à passer de nos poignets aux instruments qui nous révèlent les secrets de notre univers.

Conférence ESMATS

Du 24 au 26 septembre, l'EPFL accueille le Symposium européen sur les mécanismes spatiaux et la tribologie (ESMATS). Organisée par l'EPFL, le CSEM et Almatech, cette conférence est un espace unique où les expertes et experts en ingénierie des mécanismes spatiaux peuvent se rencontrer et discuter des dernières avancées dans le secteur.


Auteur: Hector Garcia Morales

Source: EPFL

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