La physiologie de l'œil peut-elle expliquer l'éblouissement ?

Sneha Jain and Jan Wienold hold one of the filters for their daylight experiment.© 2023 EPFL / Alain Herzog.

Sneha Jain and Jan Wienold hold one of the filters for their daylight experiment.© 2023 EPFL / Alain Herzog.

Pour améliorer le confort visuel de l’environnement construit, il faut mieux comprendre l’éblouissement. Certains pigments de l’œil réduisent la sensibilité avec les lumières bleues, mais ils ne semblent pas jouer un rôle significatif face aux lumières neutres, montrent des scientifiques de l’EPFL.

Qu’entend-on exactement par “éblouissement”? Dit simplement, c’est un inconfort visuel qui entraîne fréquemment de la gêne, de la fatigue, et même des maux de tête. La perception fluctue d’une personne à l’autre et certaines conditions d’éclairage peuvent être confortables pour l’une, et pas pour l’autre. Quelles en sont les raisons? Y a-t-il une explication d’ordre physiologique derrière ces différences, plus particulièrement liées à des variations individuelles au niveau de l’œil? Il s’agit d’évaluer les risques d’éblouissement en intérieur et de promouvoir des environnements confortables, durables et sains.

« La sensation d’éblouissement est la première raison qui fait que les gens tirent les stores et se privent de la lumière du jour, explique Jan Wienold, collaborateur scientifique senior au Laboratoire de Performance Intégrée au Design (LIPID) à l’EPFL. Eliminer la lumière naturelle, que ce soit par l’absence de fenêtre ou avec un excès d’ombrage, implique de compenser avec une source électrique, mais aussi de supprimer notre connexion visuelle avec l’extérieur, qui nous est essentielle. »

Plus important encore, cela induit aussi une insuffisance en termes d’exposition à la lumière, qui affecte directement notre horloge biologique: c’est la lumière qui ajuste les rythmes de notre corps, à travers un photorécepteur dans l’œil, plus sensible à la partie bleue du spectre.

Marilyne Andersen, qui dirige le LIPID et a récemment été co-commissaire d’une exposition artistique sur la recherche en chronobiologie, poursuit ces explications: « Le manque de lumière est une maladie contemporaine. Nous avons évolué à l’extérieur, mais nous passons aujourd’hui 90% de notre temps à l’intérieur, où la luminosité est à peu près cent fois moindre. Nous souffrons d’un manque chronique de lumière, et dans le même temps nous y sommes trop exposés en soirée – c’est un phénomène connu sous le nom de décalage horaire social. Nous donnons à notre corps des signaux erronés sur le jour et la nuit, qui entraînent un décalage de notre horloge biologique et affectent la qualité de notre sommeil, mais aussi notre système immunitaire, notre niveau de fatigue ou notre humeur. En soirée, l’exposition croissante aux écrans, avec leur lumière bleue, aggrave encore le problème. »

Dans le cadre d’une collaboration entre l’EPFL et l’Hôpital Opthalmique Julies-Gonin à Lausanne, les scientifiques ont exposé 110 participants à de la lumière du jour filtrée, à l’intérieur d’un espace semblable à un bureau. Ils ont également effectué des mesures physiologiques approfondies de l’œil. Sneha Jain, première auteure de l’article dont la thèse était co-supervisée par Marilyne Andersen et Jan Wienold, a trouvé qu’une plus grande densité de pigments maculaires dans l’œil – un pigment alimentaire jaune dans la partie centrale de la rétine, connu pour absorber la lumière bleue – réduit effectivement le ressenti d’éblouissement face à de la lumière du jour filtrée bleue. Elle a aussi révélé quelque chose d’inattendu concernant la sensibilité à la lumière du jour de couleur neutre. Les résultats sont publiés dans Scientific Reports.

“Puisque nous avions une explication physiologique, nous nous attendions à ce que les individus avec une plus grande densité de pigments maculaires soient mieux protégés contre l’éblouissement. Mais nous anticipions aussi que la densité pigmentaire ait un effet sur la lumière du jour de couleur neutre, qui comprend du bleu dans son spectre. Or ce n’est pas ce que nous avons trouvé.”, explique Andersen. À la surprise des scientifiques, cela signifie que la pigmentation maculaire ne peut pas expliquer les variations d’un individu à l’autre que l’on observe de manière récurrente dans le ressenti de l’éblouissement: la densité pigmentaire n’exerce aucune influence significative sous des conditions de lumière du jour neutres.

“C’est la première étude consacrée à l’influence de la pigmentation maculaire sur l’éblouissement en conditions de lumière naturelle, explique Sneha Jain. Dans des travaux précédents, des scientifiques avaient mené l’enquête d’un point de vue médical, en utilisant des sources lumineuses artificielles non représentatives des conditions d’éclairage normales. Nous avons tenté de répliquer un environnement réaliste – un bureau avec une fenêtre, où la lumière provient de partout. L’étude de la sensibilité à l’éblouissement est plus pertinente dans ce type de contexte pour représenter des situations réelles.”

Pendant l’expérience, les participants étaient exposés à de la lumière du jour filtrée à travers des vitres teintées soit de bleu, soit de gris neutre, chacune avec divers niveaux de transmission et avec le disque solaire pleinement visible. Cette évaluation de l’expérience des participants en termes d’éblouissement ressenti était complétée par la mesure de certains paramètres spécifiques de l’œil, mesures réalisées à l’hôpital ophtalmique.

Ces travaux font partie d’un projet plus large du Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique, dirigé par Jan Wienold et qui cherche à explorer différents aspects du confort visuel en adoptant une approche interdisciplinaire pour investiguer les différences observées sur l’expérience individuelle de l’éblouissement. Jan Wienold, qui a également développé une métrique robuste pour évaluer l’éblouissement appelée Daylight Glare Probability (DGP) aujourd’hui adoptée par trois standards européens, estime à propos de cette étude que “les résultats obtenus aident les scientifiques du LIPID à continuer à améliorer la qualité de leurs métriques permettant de prédire les risques d’éblouissement dans des environnements de bureau. La plupart du temps, on peut les anticiper fiablement, mais certaines conditions le font avec beaucoup d’incertitude associée, par exemple lors de la présence conjointe de lumière du jour et électrique, ou avec une lumières colorée. Ce sont des directions de recherche que nous comptons explorer bientôt.»

Références

https://doi.org/10.1038/s41598-023-45785-x


Auteur: Hillary Sanctuary

Source: Environnement Naturel, Architectural et Construit | ENAC

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Marilyne Andersen © 2023 EPFL / Alain Herzog.
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Sneha Jain © 2023 EPFL / Alain Herzog.
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Sneha Jain © 2023 EPFL / Alain Herzog.
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Sneha Jain, Jan Wienold © 2023 EPFL / Alain Herzog.
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Jan Wienold © 2023 EPFL
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