La phénoplasticité des arbres transcrite dans une chorégraphie
Une exposition à EPFL Pavilions soutenue par Durabilité EPFL réunit art et science sur la base des travaux du laboratoire PERL. Une des artistes a choisi de reproduire avec des corps humains la manière dont les arbres s’adaptent à leur environnement.
Le mot n’est pas courant, la démarche non plus. La phénoplasticité se réfère à l’aptitude qu’ont les plantes de modifier leurs parties en réponse aux changements environnementaux. Ce concept a inspiré l’artiste et performeuse Maja Renn, dont le travail est exposé du 13 novembre au 5 janvier 2025 à EPFL Pavilions à côté d’œuvres de l’artiste et designer Krzysztof Wronski. Le projet de placer ces deux artistes en résidence au laboratoire PERL (Plan Ecology Research Laboratory), dirigé par la professeure Charlotte Grossiord, émane de l’association Climanosco, dans le cadre de son programme Dear2050 de médiation scientifique par le truchement de l’art.
L’installation de Maja Renn met en scène une danseuse et un danseur qui incarnent deux espèces d’arbres, le hêtre et le chêne, évoquant leur possible cohabitation et leur adaptation aux éléments qui les entourent. Contrairement aux changements génétiques qui surviennent sur plusieurs générations, la phénoplasticité permet des adaptations immédiates. Par exemple, un arbre qui grandit dans un environnement sec peut développer un feuillage plus clairsemé afin de conserver son eau, alors que la canopée de la même espèce placée dans un environnement plus humide et donc plus dense en végétation sera plus abondante afin de capter la lumière.
Autres exemples: quand deux arbres poussent l’un à côté de l’autre, celui qui atteindra la canopée en premier fera de l’ombre à son voisin, qui élargira alors ses feuilles pour capter plus de lumière. Il existe aussi un processus appelé thigmomorphogenèse: cette réponse au toucher permet aux plantes, lorsqu’elles sont exposées au vent ou à d’autres contraintes, de modifier leur mode de croissance avec des changements d’épaisseur de tige, de taille des feuilles ou de structure générale.
Cette flexibilité, observée à différents niveaux, des racines jusqu’aux feuilles, permet aux plantes de survivre à des conditions évolutives rapides, alors même que leur durée de vie excède souvent celle des êtres humains.
Pas la possibilité de migrer
Selon Kate Johnson, chercheuse au PERL qui a longuement parlé avec l’artiste et accompagné son processus de création, les espèces immobiles telles que les arbres ont tendance à faire preuve de davantage de plasticité phénotypique que les espèces mobiles, car elles n’ont pas la possibilité de migrer individuellement vers un autre habitat. Ainsi des organismes peuvent coexister dans le même environnement sans entrer en concurrence directe grâce à leur façon de réagir, chacun de manière légèrement différente.
Cela offre aux humains une belle leçon d’adaptabilité, de résilience et de coopération, alors que nous, humains, avons plutôt tendance à nous accrocher à nos habitudes et résister au changement, même face à des signaux clairs de crise environnementale et sociétale. Les plantes, elles, trouvent des moyens de coexister avec les autres espèces en partageant les ressources comme l’eau et la lumière, à travers une forme de compétition qui évite le conflit direct. Cela nous enseigne comment il est possible de bénéficier de la coopération et du partage avec d’autres communautés.
Dans l’exposition, plusieurs extraits de conversation entre Maja Renn et Kate Johnson éclairent la manière dont les arbres s’adaptent – ou pas – à leur environnement. Une autre de leurs stratégies clés est le changement phénologique, qui consiste à modifier le calendrier des événements de la vie tels que la feuillaison, la floraison ou la fructification. Par exemple, certaines espèces ont des feuilles plus tôt au printemps en raison de l'augmentation des températures. Mais la vitesse du changement climatique pose un problème, car elle risque de dépasser la capacité d'adaptation naturelle de nombreuses espèces d'arbres.
Venir en aide à la nature
A travers plusieurs dispositifs mêlant humour et ingéniosité, l’autre artiste exposé, Krzysztof Wronski, imagine quant à lui des solutions coquasses pour venir en aide à la nature menacée par les changements climatiques, soulignant à la fois la résilience du vivant et la responsabilité humaine.
L’exposition «Arboreal Futures», qui rassemble ces deux artistes à EPFL Pavilions, est elle-même un bel exemple d’adaptation et de coopération. Soutenue par Durabilité EPFL, elle est née au sein du programme Dear2050 de l’association Climanosco, fondée par le physicien Michel Bourqui en 2015 pour vulgariser la recherche climatique auprès du grand public. Sa curatrice, Bettina Rohr, a quant à elle étudié les sciences environnementales avant de se spécialiser dans la médiation artistique.
Cette collaboration avec le laboratoire PERL a déjà donné lieu à une autre exposition, «Entangled Forests», constituée avec une vingtaine d’artistes, dont les deux présents à EPFL Pavilions, et montrée dans quatre villes de Suisse entre fin 2023 et mi 2024.
En plus d’appels réguliers à des artistes, l’association édite le journal Climanosco Research Articlesen accès libre, dont les papiers sont revus par des comités de lecture mélangeant scientifiques et non-experts pour s’assurer tant de leur pertinence que de leur accessibilité. L’équipe de PERL y a soumis un article qui est en phase de révision. Ce papier explique comment les arbres souffrent de la sécheresse de l’air, même quand leurs racines sont suffisamment alimentées en eau. La multiplication d’étés secs est donc un danger pour eux dans nos climats tempérés.
L’exposition «Arboreal Futures», comme sa prédécesseuse «Entangled Forests», nous met donc face à nos responsabilités humaines. Comme expliqué sur les murs de l’exposition, les arbres «ne sont pas de simples ressources ou du décor, mais des alliés essentiels pour relever les défis environnementaux. (…) Nous pourrions commencer à les considérer comme des professeurs de patience et d'interconnexion, compte tenu de leur longue durée de vie et de leur rôle dans la connexion des différents éléments de l'écosystème. Ils jouent également un rôle important dans la séquestration du carbone, la régulation de la température et l'atténuation des effets du changement climatique.»