«La musique a développé ma capacité de travail et de concentration»

©A.Herzog/EPFL
Chimiste de formation, Laure Menin dirige la plateforme de spectrométrie de masse de l’EPFL. Issue d’une famille de musiciens, elle est également une virtuose du piano, qu’elle pratique depuis l’âge de 5 ans. En octobre 2022, elle remportait le concours Lavaux Classic.
S’il fallait trouver une incarnation de l’accord parfait entre art et science, Laure Menin serait une bonne candidate. Côté face, cette spécialiste en chimie analytique et biochimie dirige la plateforme de spectrométrie de masse de l’Institut des Sciences et Ingénierie Chimiques (ISIC) à l’EPFL depuis près de 15 ans. Côté pile, elle est une virtuose du piano, et remportait, en automne 2022, le très exigeant concours Lavaux Classic, dans la catégorie D, réservée aux amateurs ayant un haut niveau de compétence musicale et technique.
D’origine française, Laure Menin vit en Suisse depuis 25 ans. Après avoir travaillé pour plusieurs compagnies dans le domaine des biotechnologies et de la pharma, elle a intégré l’EPFL en 2008. «Ce campus est un environnement professionnel incroyable, tant du point de vue scientifique que culturel et humain, s’enthousiasme-t-elle. Je m’y vois bien y terminer ma carrière».
La plateforme qu’elle dirige met différents instruments de pointe à disposition des chercheurs et chercheuses de l’École. La spectrométrie de masse est un procédé d'identification des molécules en mesurant leur masse de façon très précise à l’aide de champs électriques ou magnétiques. Elle permet ainsi, suite à une préparation spécifique, de caractériser chimiquement tout matériau, liquide ou solide. «Cette technique de chimie analytique est extrêmement sensible, décrit la spécialiste. Elle permet de tout voir, même les plus petites traces de pesticides dans un aliment ou de parabènes dans un cosmétique».
Plus de 80 laboratoires ont fait recours à ses services l’année dernière, dans des domaines allant de la chimie, des sciences de la vie ou des matériaux, ou de l’environnement. Parmi les quelque 350 utilisateurs et utilisatrices de la plateforme, on compte aussi bien des scientifiques confirmés que des doctorant(e)s, des étudiant(e)s ou encore des jeunes qui lancent leur spin-off.
Vu de l’infiniment petit
Certains développent des nouveaux catalyseurs ou encore étudient les contaminants environnementaux. D’autres analysent des molécules anticancéreuses à base de métaux, des molécules antivirales couplées à des nanoparticules ou encore des phéromones de fourmis, pour ne citer que quelques-unes des nombreuses demandes traitées. Lors de la JOM – journée annuelle durant laquelle les écoliers accompagnent un de leurs parents au travail -, Laure Menin organise des ateliers permettant aux enfants d’observer les substances contenues dans des bonbons ou du coca-cola.
Cette grande variété des sujets et le contact avec des chercheurs et étudiants de toutes nationalités sont des aspects stimulants, ajoute-t-elle. «On participe au succès des recherches des autres et ça, c’est un vrai un cadeau».
Passer quinze ans dans le détail des objets qui nous entourent change assurément la vision du monde, dit-elle: «Si je mange une pomme, même bio, je sais quelles mycotoxines je risque d’y trouver si je l’injecte dans mes instruments. Cette échelle de l’infiniment petit fait prendre conscience de tout ce qui échappe, quotidiennement, à nos sens et à notre connaissance, et réaliser à quel point le monde est pure chimie.»
En plus des instruments spécifiquement mis à disposition de la communauté EPFL, le service offre également des solutions pour le traitement des données complexes générées par ces spectromètres de masse, proposées en open source. «Environ 30'000 visiteurs viennent internationalement sur notre site et utilisent nos outils développés en collaboration avec Luc Patiny de la plateforme IT, se réjouit Laure Menin. C’est visiblement très apprécié et ça continue à prendre de l’ampleur.»
Molécules et mélodies
Des valeurs telles que le succès et la précision, Laure Ménin les expérimente et les développe également dans le cadre de son hobby préféré, le piano, qu’elle pratique depuis l’âge de 5 ans. Jouer de cet instrument s’est imposé comme une évidence dans une famille, dont tous les membres sont musiciens. Son père, décédé il y a deux ans, était pianiste et compositeur. Et lorsqu’elle et sa sœur jumelle se retrouvent, elles jouent volontiers en duo.
«Très tôt, je me suis demandé si j’allais faire du piano mon métier, confie la virtuose. Comme j’étais bonne à l’école, mon professeur de musique ne m’a pas poussée dans cette voie vraiment très exigeante et difficile. Et aujourd’hui je lui en suis reconnaissante, non seulement parce que j’aime ma profession actuelle, mais également parce que je peux exercer ma passion de la musique sans contrainte, sans devoir penser sans cesse aux cachets».
Si elle a plusieurs fois joué avec des orchestres comme celui de l'Université de Toulouse en 2011 (voir vidéos dans la rubrique "liens"), le concours Lavaux Classic était la première compétition à laquelle elle participait depuis sa jeunesse, encouragée par Magali Bourquin, sa professeure de piano au Conservatoire de Lausanne, qui la suit depuis son arrivée en Suisse. Après les premières éliminatoires, elle s’est retrouvée parmi les 12 amateurs encore en lice pour la demi-finale, puis a été sélectionnée pour la finale, qui a eu lieu le 9 octobre 2022 et qu’elle a remportée. «Le processus aura duré toute une année, avec une touche particulièrement intense sur les trois derniers mois, qui exigeaient un travail quotidien. Si je sautais un jour, j’avais tout de suite l’impression que mes doigts s’étaient rouillés! J’ai pu me rendre compte à quel point être pianiste professionnelle est difficile et les outils que sont nos doigts et nos bras sont aussi délicats qu’un spectromètre de masse».
Rigueur musicale
La pratique du piano dès son plus jeune âge lui a apporté une grande capacité de concentration, décrit-elle. «Je suis capable de bosser des heures et des heures sans problème, et ça, c’est la musique qui me l’a apporté. Réciproquement, je pense que la science m’offre la rigueur nécessaire pour le piano». C’est pourquoi elle apprécie les initiatives de l’EPFL pour encourager la pratique de la musique sur le campus, telle que la mise à disposition de deux salles avec pianos accordés, où tout membre de la communauté peut aller jouer une fois qu’il ou elle a intégré l’association des musiciens de l’École. «Une vraie chance pour les scientifiques amoureux de musique!»