La modélisation au service du futur tram lausannois

Anne-Valérie Preto à la gare du tram de Renens de la ligne reliant l'ouest lausannois au centre de Lausanne. 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Dans le cadre de son travail de master en génie civil, Anne-Valérie Preto a amélioré un modèle informatique servant à prédire le comportement des usagers et usagères des transports publics. La future ligne du tram lausannois lui a servi de cas d’étude.
En 2018, Anne-Valérie Preto est en option spécifique physique et application des mathématiques en Valais lorsqu’elle se rend aux Portes ouvertes de l’EPFL. «Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire après la maturité. C’est en découvrant les stands du génie civil que j’ai fait mon choix», raconte l’ingénieure.
Durant ses études, elle se découvre un intérêt marqué pour la programmation et l’optimisation appliquées aux transports. Un secteur qui vise à traduire en algorithmes les comportements des usagères et usagers et à comprendre leurs préférences. Dans ce cadre, les ingénieures et ingénieurs en transports s’intéressent par exemple aux raisons qui poussent un individu à prendre un véhicule privé plutôt que les transports publics pour se rendre au travail ou à une activité de loisirs.
Modéliser les choix de mobilité des gens permet de mieux comprendre leur déplacement, ce qui est important aujourd’hui pour créer des politiques en faveur de l’environnement.
Cette complexité lui a tout de suite plu: «Modéliser les choix de mobilité des gens permet de mieux comprendre leur déplacement, ce qui est important aujourd’hui pour créer des politiques en faveur de l’environnement.» Après une année d’échange à Lisbonne, l’étudiante se spécialise en transport et mobilité au niveau Master et prend un mineur en science et ingénierie computationnelles. Elle aborde dans ce cadre la science des données, l’apprentissage machine et la statistique.
Analyse d’une préférence
Pour son projet de Master, elle découvre le modèle de prédiction des Chemins de fers fédéraux (CFF), nommé «SIMBA MOBi». Cet outil sert à améliorer la planification du transit urbain et la prise de décision des politiques de transports, chiffres à l’appui. Son travail visera à améliorer ce modèle en précisant un enjeu encore compliqué à traduire en algorithmes: pourquoi certaines personnes préfèrent-elles le rail au bus – et même à d’autres alternatives?

Anne-Valérie Preto prend comme cas d’étude la nouvelle ligne de tram que la ville de Lausanne inaugurera en 2026. Elle analyse dans ce contexte la contribution de la «différentiation entre modes de transports publics». Autrement dit, comment les usagers et usagères utilisent les transports existants et définissent leur trajet d’un point A à un point B.
Son travail permet de mieux comprendre l’utilisation du réseau de transport public lausannois. Certains modes sont en compétition sur un corridor commun, tels que la ligne de bus 1 (qui circule de la gare CFF de Lausanne à l’EPFL) et la ligne de métro m1. Son analyse montre toutefois que les modes se complètent. La préférence pour les modes rail prédit même une bonne intégration du futur tram dans les habitudes des Lausannoises et des Lausannois. Une bonne nouvelle pour la capitale du Canton de Vaud.
Supervision de l’industrie
Les suggestions d’amélioration du modèle SIMBA MOBi qu’elle a développée ont directement été adoptées par les CFF, qui étaient parties prenantes de ce travail de fin d’études. Un transfert direct de son travail vers la pratique apprécié par la diplômée. «J’ai eu la chance d’avoir d’excellents superviseurs aux CFF dans l'équipe SIMBA MOBi, Antonin Danalet ainsi que Joschka Bischoff. Ils ont pu m’aider à définir mon projet et à avancer tout au long du semestre», précise-t-elle. Son travail a de plus été couronné de l’une des meilleures notes de sa volée.
De quoi motiver l’ingénieure à envisager un doctorat en génie civil afin de continuer à améliorer les modèles utilisés dans le domaine des transports.
Des données aux simulations
En prenant la future ligne du tram lausannois comme cas d’étude, Anne-Valérie Preto a analysé la manière dont les usagers et usagères utilisent les transports existants et définissent leur trajet.
Pour commencer, l’ingénieure a effectué une analyse de comportements à partir des chiffres du dernier recensement fédéral dans lequel les sondées et sondées décrivaient leur ‘journée type’ et leurs modes de transports dans ce contexte. Elle a ajouté à ces données celles du dernier questionnaire de mobilité distribué à la communauté de l’Université de Lausanne et de l’EPFL, une population qui sera concernée par l’arrivée du tram.
«On se base sur une ‘population synthétique’ dont on connaît globalement l’âge, le revenu et le niveau de formation. Les modèles de choix définissent qui possède une voiture, un vélo ou un abonnement régional, par exemple. On crée ensuite avec le modèle SIMBA MOBi des journées types en fonction des activités et des lieux de vie de la population et on ajoute les modes de transports associés. Par exemple, pour une étudiante, un aller en métro du centre-ville à l’EPFL, un déplacement en tram vers une activité sportive ou de loisirs après les cours, un détour en bus pour faire des courses et, finalement, un retour à la maison», illustre la diplômée.
Succès du rail
L’étudiante a ensuite effectué un compte-rendu de la recherche existante sur les préférences envers certains modes de transports en commun. Dans ce cadre, le rail est toujours plébiscité aux autres options. Les raisons de ce succès sont multiples. Parmi elles se trouvent la plus haute cadence et la fiabilité du rail, son confort, estimé comme supérieur à celui des bus, et des trajectoires plus simples à comprendre. Elle a découvert avec étonnement que, pour une ville, intégrer un nouveau rail léger plutôt qu’une ligne de bus, revient à augmenter de plus de 20% sa fréquentation quotidienne et ce, même à fréquence et capacité similaires.
Amélioration du modèle
L’ingénieure a ensuite indiqué comment mieux traduire ces préférences dans le modèle SIMBA MOBi. Une étape délicate: «Ce ne sont pas des éléments évidents à intégrer, car la préférence envers le tram pour un niveau de service égal à un bus s’explique par des facteurs subjectifs que l’on ne peut pas observer directement, comme le fait de trouver le trajet plus agréable. Les enquêtes sur les préférences déclarées n’ont malheureusement jamais été concluantes. Nous devons donc nous fier aux données de comptages, soit les montées et descentes de passagers à chaque arrêt, et expliquer cette préférence grâce à la calibration. Notre but est de représenter au mieux ce qu’il se passe sur le réseau d’aujourd’hui et d’isoler ce «bonus rail léger» de manière générale pour expliquer une préférence de mode que ce soit à Zurich ou à Lausanne.»
La diplômée a finalement contrôlé et validé les améliorations apportées au modèle SIMBA MOBi en comparant ses résultats avec les données existantes du réseau de transports publics des villes de Lausanne et Zurich.
Anne-Valérie Preto “Differentiation of Modal Preferences in Public Transportation: Analysis and Enhancement of the MOBi Model for Scenario Simulation in Lausanne”, Supervisors, Antonin Danalet (SBB), Joschka Bischoff (SBB), Negar Rezvany (EPFL Transp-or), Fabian Torres (EPFL Transp-or), Michel Bierlaire (EPFL Transp-or), January 10, 2025.