«La mission de l'EPFL est de donner un avenir à nos jeunes»

Philippe Renaud a donné sa leçon d’honneur après près de 30 ans à la tête du laboratoire de microsystèmes 4 de l’EPFL. © 2023 Alain Herzog

Philippe Renaud a donné sa leçon d’honneur après près de 30 ans à la tête du laboratoire de microsystèmes 4 de l’EPFL. © 2023 Alain Herzog

Le professeur Philippe Renaud a donné sa leçon d’honneur après près de 30 ans à la tête du laboratoire de microsystèmes 4 de l’EPFL. Rencontre avec une des figures emblématiques de la microtechnologie à l’EPFL.

Malgré son départ à la retraite, c’est sur le campus de l’EPFL au Parc de l’Innovation, entre deux réunions, que nous retrouvons Philippe Renaud pour revenir sur sa longue carrière au sein de l’École. Son laboratoire ayant été à l’origine de nombreuses start-ups, il garde un lien fort avec l’écosystème entrepreneurial à l’EPFL : « J’ai envie de partager mon expérience avec les responsables de l’innovation à l’EPFL », explique-t-il. « L’avantage maintenant, c’est que je peux remplir mon propre agenda ! »

Philippe Renaud commence ses études en physique à l’université de Neuchâtel, d’où il est originaire, avant d’entamer un doctorat dans le même domaine à l’université de Lausanne. Après un passage à l’université de Californie à Berkeley, il travaille dans le laboratoire de recherche d’IBM à Zürich, puis au Centre Suisse d’Électronique et de Microtechnique (CSEM) à Neuchâtel, avant de prendre une position de professeur assistant à l’EPFL en 1993, où il fonde son laboratoire de microsystèmes 4, qu’il dirigera pendant presque 30 ans.

Cela me posait problème de former des ingénieurs sans savoir où elles et ils allaient après

Philippe Renaud

Un physicien dans le monde de l’ingénierie

Friand de nouvelles expériences, Philippe Renaud arrive à l’EPFL avec une formation de physicien, dans un domaine d’ingénierie qu’il vient tout juste de découvrir lors son passage au CSEM : « J’ai vu du silicium pour la première fois seulement une année avant de commencer à l’EPFL. La transition de physicien à ingénieur n’était pas simple : j’ai dédié beaucoup de temps à essayer de comprendre ce qu’était réellement l’ingénierie ». Il se fixe alors pour objectif de visiter chaque semaine une entreprise de la région, pour comprendre ce qu’il s’y passe. « Cela me posait problème de former des ingénieurs sans savoir où elles et ils allaient après » explique le professeur émérite.

L’essor des microsystèmes à l’EPFL

À son arrivée à l’EPFL en 1993 en tant que professeur assistant en microsystèmes, la microtechnique est une branche encore principalement tournée vers la robotique et l’automation. L’EPFL reconnait à ce moment-là le potentiel des microtechnologies et prend des actions décisives pour intégrer ce domaine scientifique naissant : « Je suis arrivé à l’EPFL en même temps que le nouveau président de l’époque Jean-Claude Badoux, qui a choisi la microtechnique et les systèmes de communication comme lignes directrices pour faire croître l’École. Il a notamment réalloué la construction du nouveau bâtiment BM à la microtechnique ».

C’est là que Philippe Renaud joue un rôle majeur dans ce qui a permis le développement des microtechnologies à l’EPFL, en convainquant la direction de l’École de l’époque d’investir dans la construction d’un vaste espace de salles blanches, ces salles propres où la quantité de poussières est minimisée pour permettre la fabrication de structures dans l’ordre de micro et nanomètres. Baptisé CMi (Center of MicroNanoTechnology), cet espace du bâtiment microtechnique (BM) offre aujourd’hui 1400 m2 de salle-blanche et 125 équipements scientifiques à des centaines d’utilisatrices et d’utilisateurs.

L’innovation radicale ou rien

Dans son laboratoire de microsystèmes, le cap était toujours clair : la recherche de l’innovation, radicale si possible. « J’ai toujours été transparent dans le recrutement de mes doctorantes et doctorants, en expliquant que nous nous engagions dans des projets de recherche, sans garantie d’aboutir sur une technologie qui fonctionne ». L’optimisation, ou améliorer des technologies déjà commercialisées étape par étape, est à ses yeux une tâche plus adaptée à l’industrie, et surtout beaucoup moins intéressante pour les scientifiques. « J’ai été extrêmement chanceux à l’EPFL : on n’est jamais venu me dire que ce que je faisais était trop farfelu ou dispersé. Cette liberté était extraordinaire ». D’abord focalisé sur les technologies des microcapteurs, il trouve ensuite des synergies avec le monde médical, qui motivent son intérêt pour, entre autres, la microfluidique, domaine qui ouvre un champ d’applications conséquent pour la manipulation et l’étude des cellules.

Un laboratoire berceau de l’innovation

À sa leçon d’honneur il est introduit comme “l’homme aux 25 start-ups”. Pour cause, son laboratoire est à l’origine d’un surprenant nombre de start-ups, fondées par ses doctorantes et doctorants. Face à ce constat, il souhaite quand même relativiser : « Il faut faire attention à ne pas prendre le nombre de start-ups comme la métrique du succès : on a tendance à le faire car ces dernières sont faciles à compter, mais celles qui réussissent réellement sont rares », explique-t-il. « En revanche, des personnes que nous formons à l’EPFL peuvent intégrer et transformer en innovant une entreprise déjà existante : cela peut représenter des milliers d’emplois, des millions en chiffre d’affaires, mais c’est plus difficile à quantifier ».

Pour l’ancien physicien, la réussite entrepreneuriale de son laboratoire est à créditer aux profils de ses doctorantes et doctorants : « Je n’ai jamais commencé un projet de recherche dans le but de faire une start-up. C’est la meilleure façon de ne faire aucune innovation ! J’ai par contre toujours cherché à recruter des personnes autonomes, créatives et désireuses de faire quelque chose au-delà de la thèse ».

Un enseignant attentionné

Enseignant à l’EPFL depuis son premier cours de « Capteurs », qu’il donne à son arrivée à l’EPFL jusqu’en 2022, Philippe Renaud voit dans ses cours l’occasion d’éveiller la curiosité des étudiantes et étudiants à l’application des connaissances qu’ils emmagasinent depuis leurs premières années en bachelor. Pour lui, l’enseignement reste le cœur de métier de l’EPFL : « Quand on arrive en tant que jeune professeur, on a tendance à se concentrer sur notre recherche et à voir l’enseignement comme secondaire. Plus on avance dans les années d’enseignement, plus on se rend compte que la mission fondamentale de l’EPFL est de former une nouvelle génération, de donner un avenir à nos jeunes ». Cette réalisation est pour lui une profonde source de motivation mais aussi d’inquiétudes. « Quand on quitte l’EPFL, ce qu’il reste c’est notre impact sur les gens. Les projets de recherche vieillissent très vite. Je me souviens me sentir toujours plus défait quand je réalisais à un examen qu’une ou un de mes élèves n’avait pas compris un point important de ma matière ».

Pour la suite, Philippe Renaud se dit très bien préparé à la retraite, même s’il avoue ne pas trop savoir encore de quoi ses journées seront faites. « Peut-être que je vais me passionner pour le jardinage. Si ce n’est pas arrivé jusqu’à maintenant, il y a toutefois peu de chances que ça arrive ».