La mémoire dévoile le secret de son «carburant»

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Des chercheurs du Brain Mind Institute de l’EPFL et la Mount Sinai School of Medicine à New York ont mis en lumière le rôle crucial d’un dérivé du glucose, le lactate, dans la constitution de la mémoire à long terme. Cela pourrait ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques pour certains troubles neurologiques.
Le «disque dur biologique» qui garde nos souvenirs conserve aussi une grande part de mystère. Une étape cruciale dans la compréhension des mécanismes de la mémoire vient toutefois d’être franchie par une équipe de recherche helvético-américaine. Pierre Magistretti, titulaire de la chaire Astérion et directeur du Brain Mind Institute de l’EPFL, et Christina Alberini, de la Mount Sinai School of Medicine de New York, viennent de publier dans Cell les résultats – surprenants – de leur recherche conjointe.
Celle-ci a permis de prouver l’importance des astrocytes dans la mémorisation. Ces cellules, présentes en très grande quantité dans le cerveau (elles y sont plus nombreuses que les neurones) et dont on sait qu’elles se trouvent à l’interface entre le réseau sanguin et les synapses, se révèlent être un pourvoyeur d’énergie pour les neurones. Elles les alimentent avec du lactate, un «cousin» du glucose dans la mesure où il est issu du même précurseur, le glycogène, dont une réserve est présente dans ces cellules en forme d’étoile. Les chercheurs ont pu prouver que ce lactate était une condition sine qua non pour qu’un processus de mémorisation puisse avoir lieu.
Leurs expériences ont été menées sur des rats, entraînés à se méfier d’une pièce sombre dans laquelle ils ont reçu une décharge électrique. Dans les conditions normales, ils apprennent du premier coup qu’il y a un problème et hésitent donc par la suite à quitter une zone plus claire, alors même qu’ils apprécient davantage l’obscurité. «En intervenant au niveau de leur hippocampe, nous parvenons à bloquer la production ou le transport de lactate par les astrocytes, raconte Pierre Magistretti. Et nous avons pu constater que si ces rats conservaient une mémoire à court terme, en revanche ils oubliaient totalement la menace après 24 heures et se précipitaient alors dans la pièce sombre.»
Pas de remplacement par le glucose
Mieux encore, dans une deuxième phase de l’expérience, l’apport de lactate exogène directement dans l’hippocampe a eu pour effet de restaurer les capacités de mémorisation du rat. La même procédure réalisée avec du glucose n’a par contre rien donné. «Cela démontre l’importance de cette substance particulière et ouvre de nouveaux champs d’investigation dans le domaine des maladies neurologiques où la mémoire est affectée, comme Alzheimer», reprend Pierre Magistretti. Qui n’exclut pas que l’on pourrait même stimuler artificiellement la mémoire en intervenant sur la production et le transport de ce lactate.
Les neuroscientifiques avaient déjà pu établir que la mémorisation s’appuyait sur la «plasticité neuronale», soit une modification physique et durable du réseau de synapses qui connectent les neurones entre eux. Mais on ignore toujours comment et pourquoi ces changements s’opèrent. «Nos recherches apportent un élément de réponse: il semble que ce lactate soit en quelque sorte le carburant de ces modifications. Et nous le suspectons de jouer un rôle encore bien plus important», suggère le professeur, qui a déjà entrepris de nouvelles recherches dans cette direction.
Il y aura donc très certainement des suites à cette recherche qui, déjà, fera date. «L’intérêt pour les astrocytes et le lactate, encore peu étudiés, va certainement augmenter au cours des prochaines années», prévoit Pierre Magistretti.