La maturité: une fin en soi ou une ressource pour se développer?

© 2024 EPFL

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Comment faut-il faire évoluer la formation gymnasiale pour l’adapter à un monde qui change rapidement, dont les repères deviennent moins lisibles? Quelles compétences faut-il transmettre aux élèves pour qu’ils soient à même de relever les défis émergeants? Comment travailler de concert avec les hautes écoles pour gagner en cohérence? Le nouveau plan d’études cadre est-il la base sur laquelle repose le gymnase du futur?

C’est à l’occasion d’un entretien avec Stefan Zumbrunn-Würsch que nous avons approfondi ces questions. L’expertise de cet ancien directeur du gymnase de Soleure (KSSO), directeur fondateur du gymnase de Rotkreuz (ZG), et aujourd’hui président de la Conférence des directrices et directeurs de gymnases suisses (CDGS), nous permet d’envisager d’entrevoir plusieurs perspectives.

M. Zumbrunn-Würsch, si vous deviez donner un cours, qu’enseigneriez-vous?

Le rapport à l’incertitude car je constate que nos jeunes y sont de plus en plus confrontés. Je considère que l’école a une responsabilité dans la construction de la résilience.

Il s’agit pour moi de l’un des défis majeurs du système éducatif, en parallèle de l’acquisition des compétences disciplinaires. Bien sûr il faut également préparer les élèves à la durabilité, aux aptitudes relationnelles dans une société en évolution. Armés de ces compétences transversales, j’espère qu’ils seront mieux préparés aux études universitaires.

Vous dites que l’école a une responsabilité dans la construction de la résilience. Pouvez-vous nous donner des exemples?

Si nous réfléchissons aux différentes compétences que le gymnase doit transmettre, la pandémie de Covid-19 a été un exemple édifiant: elle nous a montré le degré de responsabilité individuelle qu’il nous était possible d’accorder aux élèves dans leur processus d’apprentissage, mais aussi à quel point il était important de maintenir le tissu social d’une classe, nécessaire au développement des aptitudes relationnelles et aux compétences transversales. Le recours au numérique dans la formation représente un pas important vers l’autonomie et une évolution dont je suis un fervent défenseur, mais nous devons trouver un équilibre. Je pense que les processus d’apprentissage ont besoin d’un vrai lien social pour fonctionner.

Un autre exemple: je relativise l’importance des options spécifiques et n’encourage pas la création de classes regroupant un profil donné. Dans les classes avec une diversité d’options spécifiques, les échanges sont bien plus riches. Ce genre de configuration oblige les élèves à se confronter à des points de vue différents et stimule la résilience.

La maturité: juste un certificat?

La question est de savoir si, au sortir du gymnase, les élèves ont montré qu’ils sont capables d’obtenir un diplôme ou s’ils ont également acquis les compétences requises pour amorcer des études supérieures. Si les compétences disciplinaires sont sans aucun doute indispensables à l’obtention de la maturité, la formation gymnasiale devrait, à mon avis, également faire en sorte de faciliter le passage vers les études supérieures. Une façon d’y parvenir serait de proposer une transition entre la pédagogie du secondaire I et les méthodes d’enseignement universitaires. La première serait appliquée au début du cursus gymnasial puis progressivement les élèves se verraient proposer des formats d’enseignement universitaires. Pourquoi ne pas mettre en place des cours en amphithéâtre, des travaux de groupe? ou proposer des projets exigeant le recours à des méthodes scientifiques et la recherche de solutions privilégiant la créativité? Selon moi, les enseignantes et les enseignants ne devraient pas uniquement se positionner comme des spécialistes d’une discipline mais accorder davantage d’importance à leur rôle de pédagogues.

Le nouveau plan d’études constitue une base de travail pour entamer une telle transformation. Sa mise en œuvre ne peut toutefois réussir que si le corps enseignant est convaincu que ces compétences sont attendues au niveau universitaire. Pour cela, le dialogue entre les gymnases et les institutions universitaires est essentiel.

À cet égard, quel rôle joue l’interface gymnase-université?

La qualité d’un système éducatif se mesure à ses interfaces.

Stefan Zumbrunn-Würsch

Je pense qu’une transition d’un système éducatif vers un autre est réussie lorsque qu’une concordance est trouvée, en d’autres termes si les gymnases ont posé les jalons pour une transition réussie, la suite du parcours devrait être dépourvue d’embûches.

Comment y parvenir? Il s’agit dans un premier temps de faire en sorte que chacune et chacun comprenne le défi d’une telle transition. À cet égard, les interfaces gymnase-université sont une plateforme idéale. Si l’échange disciplinaire est très important, les aspects liés à la pédagogie devront également être abordés: quelles compétences sont exigées des études supérieures? Quelles sont les nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage? Que manque-t-il au niveau secondaire pour faciliter la transition? Quel soutien l’université peut-elle apporter aux enseignantes et aux enseignants?

C’est en nous posant ces questions que nous pourrons, selon moi, balayer les clichés. Nous, c’est-à-dire les gymnases et les universités, devons nous pencher ensemble sur la situation. Nous pouvons aussi examiner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas car nous n’avons pas nécessairement conscience des réformes opérées de part et d’autre. Si le dialogue est fructueux au niveau de cette interface, alors l’ensemble des parties concernées pourra contribuer à l’amélioration de la qualité du système éducatif.

De ce point de vue, quelles opportunités offre le nouveau plan d’études cadre?

Grâce au nouveau plan d’études cadre (PEC), nous disposons aujourd’hui d’une base légale: les compétences transversales sont désormais mises au même niveau que les compétences disciplinaires, ce qui nous permet d’améliorer la concordance avec les études supérieures. Comme j’ai pu le constater en tant que président de la CDGS, il s’agit d’un objectif partagé par les directrices et les directeurs de gymnases, mais dont la mise en œuvre constitue un défi.

Je pense qu’il est important de maintenir l’étendue du canon des disciplines mais de faire preuve d’innovation dans la façon d’introduire ces nouvelles exigences. Il s’agit d’identifier les redondances éventuelles dans des disciplines organisées aujourd’hui en silos, de tirer avantage de la composante transverse de certaines thématiques pour laisser du temps et de l’espace à ces approches.

J’estime que les universités ont également une part de responsabilité dans ce processus et qu’elles peuvent apporter leur pierre à l’édifice. Leur accessibilité demeure un élément essentiel pour une mise en œuvre réussie: au niveau bilatéral, il existe de nombreux exemples sur la manière d’y parvenir: il y a un an, l’EPFL a organisé une Journée thématique au gymnase de Soleure. Ce genre d’événement permet d’avoir un aperçu des méthodes de travail scientifiques, les compétences requises ainsi que les thèmes de recherche actuels. Au niveau institutionnel, je pense qu’au sein d’organes tels que les interfaces gymnase-université, l’échange par-delà les frontières disciplinaires et cantonales est essentiel afin de garantir l’accessibilité de l’université.

À votre avis, quels autres éléments sont essentiels pour l’avenir de la formation gymnasiale?

Deux choses me viennent à l’esprit. Tout d’abord, la mission centrale de notre système éducatif est de promouvoir la diversité au sens large c’est-à-dire au niveau de toutes les couches sociales mais également des régions linguistiques. Plus nous avançons dans le système éducatif, plus la diversité diminue. Promouvoir des classes intégrant plusieurs options spécifiques ou le renforcement des échanges linguistiques, par exemple, pourraient remédier à cela. En Suisse, nous mettons régulièrement en avant le plurilinguisme. Je pense qu’il est de notre devoir de préserver cette diversité culturelle. L’article figurant dans le nouveau plan d’études cadre et qui porte sur l’échange et la mobilité nous est assurément d’une grande aide pour franchir le pas.

D’autre part, nous devons oser rompre avec les traditions. Je pars du principe qu’il faut faire preuve d’innovation dans toute forme de changement et garder l’esprit ouvert. Ce qui implique de sortir de sa zone de confort. Dans une société en perpétuel changement, nous devons non seulement enseigner le rapport à l’incertitude mais également nous y confronter et apprendre à le gérer. En tant que pédagogues, et non uniquement en tant qu’enseignantes et enseignants d’une discipline, nous avons un rôle central à jouer. Profitons de ce nouveau plan d’études cadre pour prendre le taureau par les cornes!