La matière noire garde son mystère

Le "Bullet Cluster"; La matière noire en violet (Crédit: NASA, STSCI, U.Arizona, ESO)

Le "Bullet Cluster"; La matière noire en violet (Crédit: NASA, STSCI, U.Arizona, ESO)

Lorsque des amas de galaxies entrent en collision, leurs matières noires se traversent les unes les autres, avec très peu d'interaction. Approfondissant le mystère, une étude menée par des scientifiques de l'EPFL et de l'Université d'Edimbourg remet en questions l'idée que la matière noire serait composée de particules.

La matière noire est l'un des plus grands mystères de la science. Elle constitue une énorme quantité de matière dans l'Univers, elle est invisible, et ne correspond à rien de connu dans le champ de nos connaissances. Différentes théories s'affrontent pour en fournir une explication, mais jusqu'ici aucune d'entre elles n'a prévalu. Dans une étude menée en collaboration par l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et l'Université d'Edimbourg, des scientifiques ont étudié la manière dont la matière noire se comporte lorsqu'un amas de galaxies entre en collision avec un autre amas, pendant des milliards d'années. Publiées dans Science, leurs découvertes remettent en question au moins une des principales théories sur la matière noire.

Matière noire et amas de galaxies

Alors même qu'elle représente 90% de toute la matière de l'Univers, et plus d'un quart de son énergie, nous savons très peu de choses de la matière noire. Une hypothèse prédominante parmi les astronomes est que la matière noire est constituée d'une particule subatomique nouvelle, que nous n'avons pas encore découverte. Des théories plus exotiques veulent que la matière noire soit une anomalie quantique remontant à la naissance de l'Univers, ou une masse extra-dimensionnelle, voire une forme de gravité modifiée.

Ce que nous savons, c'est que la matière noire interagit avec les structures cosmiques à travers la gravité : elle les façonne et les travaille. Par exemple, la matière noire infléchit la lumière qui la traverse, déformant l'image d'objets spatiaux lointains. De plus, la matière noire accélère le mouvement des galaxies à l'intérieur des amas galactiques, qui sont des ensembles de centaines de galaxies, contenant des quantités littéralement astronomiques d'étoiles, de planètes et de gaz. Les amas de galaxies, ce sont aussi 90% de matière noire, ce qui en fait des objets idéaux pour étudier celle-ci, particulièrement lorsqu'elles entrent en collision et forcent leur matière noire respective à interagir.

Explorer l'obscur

Au Laboratoire d'astrophysique de l'EPFL, David Harvey étudie les collisions d'amas galactiques, à la recherche d'indices sur la nature de la matière noire. Poursuivant son travail de thèse à l'Observatoire royal d'Edimbourg, lui et ses collègues ont étudié les données de 72 collisions d'amas de galaxies. Ces télescopages cosmiques durent des milliards d'années, lorsque les amas galactiques s'attirent mutuellement, en raison de leurs masses gargantuesques. Lorsque ces événements se produisent, la matière noire de chaque amas interagit avec celle de l'autre, offrant ainsi une opportunité unique d'étudier le phénomène.

Les données utilisées par Harvey proviennent du Chandra X-ray Space Observatory et du télescope Hubble, et comprennent la fameuse collision de l'Amas du Boulet (Bullet Cluster), une collision de deux amas galactiques dont les gaz ont été modelés en forme de boulet. Cette collision-là est en fait la meilleure preuve, à ce jour, de l'existence de la matière noire.

Les chercheurs ont analysé les données de la collision pour mesurer le changement de quantité de mouvement de la matière noire lorsque deux amas de galaxies entrent en collision. Des expériences menées sur Terre, par exemple au CERN dans le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider), nous montrent que quand des particules interagissent, elles échangent de la quantité de mouvement. Par conséquent, et en fonction de ce qui est arrivé à la matière noire après la collision, les chercheurs ont pu tirer des conclusions sur sa nature.

Pour mettre à l'épreuve la théorie selon laquelle la matière noire est constituée de particules, l'étude s'appuie sur deux scénarios possibles: ou bien les particules de la matière noire interagissent fréquemment mais échangent peu de quantité de mouvement, ou bien elles interagissent rarement mais échangent beaucoup de quantité de mouvement. Dans le premier cas, la matière noire devrait ralentir après la collision, parce que les interactions fréquentes entre particules devraient provoquer un effet de freinage additionnel. Dans le second scénario, la matière noire devrait tendre à s'échapper et à se perdre dans l'espace.

Aucune interaction

De manière surprenante, l'étude a révélé que dans les collisions d'amas galactiques, les masses de matière noire passent simplement l'une à travers l'autre. Cela implique que les particules de matière noire n'interagissaient pas entre elles, car alors un ralentissement de la matière noire devrait se produire. Au lieu de cela, il apparaît que, si la matière noire peut interagir de manière non-gravitationnelle avec la matière visible, ce n'est pas le cas lorsqu'elle interagit avec elle-même.

Plus important encore, l'étude remet en cause l'opinion selon laquelle la matière noire serait constituée de particules de type proton – ou de n'importe quel type de particule. «Nous avons mis en avant la probabilité de l'existence de deux «particules de matière noire» dont l'interaction est inférieure à la probabilité d'interaction de deux vrais protons. Cela signifie qu'il est peu vraisemblable que la matière noire soit simplement constituée de «protons sombres», dit David Harvey. «Si c'était le cas, nous pourrions nous attendre à les voir rebondir l'un sur l'autre.»

Ce travail résulte d'une collaboration entre le Laboratoire d'astrophysique de l'EPFL, le Royal Observatory de l'Université d'Edimbourg, l'Institute for Computational Cosmology at Durham University, et le Mullard Space Science Laboratory à l'University College London.

Source

Harvey D, Massey R, Kitching T, Taylor A, Tittley E. The non-gravitational interactions of dark matter in colliding galaxy clusters.Science 27 March 2015. DOI: 10.1126/science.1261381

Dossiere de presse: http://bit.ly/1Nbql5N



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Le "Bullet Cluster"; La matière noire en violet (Crédit: NASA, STSCI, U.Arizona, ESO)
Le "Bullet Cluster"; La matière noire en violet (Crédit: NASA, STSCI, U.Arizona, ESO)

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