«La masculinité transcende de nombreuses cultures»

© 2025 EPFL Alain Herzog
Quentin Delval est d’origine belge, mais n’en a pas l’accent. Docteur en philosophie des sciences, il travaille à l’égalité des chances de l’EPFL et a rédigé un livre, plus clin d’œil que coup de poing, sur la construction masculine ou, plus exactement, sur la déconstruction de l’esquive.
Charleroi, la ville de son enfance. Un papa journaliste qui « avait un gros accent bruxellois et une vision très acérée de la langue. Il pointait les inexactitudes de langage, les néologismes du présentateur du téléjournal. » Quentin Delval grandit dans cette atmosphère cultivée qui lui donne le plaisir de la langue et du vocabulaire, mais ne l’a jamais teinté de l’accent du pays. « Ma maman était roumaine, de Bucarest, elle roulait très fort les r. Je pense que ces deux influences ont créé une espèce d'équilibre. J’avais conscience des accents et j'entendais même l'accent belge de mes amis. Aujourd’hui, ce sont eux qui se moquent de moi en me disant : « Arrête de faire ton vaudois ! »
Louvain-la-Neuve, la ville de ses études. « J'ai obtenu un doctorat en philosophie des sciences en défendant une thèse sur la pratique de l'expertise scientifique. Ma recherche explorait comment intégrer une expertise souvent complexe dans des décisions démocratiques et inclusives, afin de les rendre compréhensibles pour tous. J’ai pointé la façon dont les experts sont souvent isolés dans notre société moderne, portant à la fois les responsabilités et les critiques, parfois comme des boucs émissaires. »
La Belgique, un pays à fuir, du moins pour un temps. À la fin de sa thèse, Quentin essuie plusieurs revers académiques et amoureux. Il en oublie même d’aller chercher son diplôme, qu’il récupèrera 10 ans plus tard. Sans se douter que les experts avaient rédigé un rapport dithyrambique sur son travail, lui exhortant de continuer ses recherches.

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La fibre égalitaire
En 2012, le docteur en philosophie s’installe en Suisse et est engagé au Rectorat de la HES-SO à Delémont comme collaborateur scientifique à l’égalité des chances. « En lisant le descriptif, je me suis dit : "Ça, c’est un truc qui pourrait me passionner !" » Sans se douter que le réseau de l’égalité était, jusque-là, presque exclusivement féminin. Pour compléter ses revenus, il donne aussi des cours de philosophie et prépare des élèves à la maturité fédérale dont les examens se passent à l’EPFL.
À l’aise dans cet univers, il s’intéresse aux ouvrages féministes, discute de sécurité avec sa sœur et échange avec une Québécoise – « le Québec est à l’avant-garde sur l’égalité. » Mais, malgré sa connaissance du sujet, il n’échappera pas à certains biais masculins. « En devenant parent, j’ai été confronté à mes biais et bousculé dans ma certitude d’être un homme qui en fait assez ou qui a tout bien compris. »
L’esquive masculine
« Comment devenir moins con en 10 étapes », publié chez Hors d’atteinte. Qu’est-ce qui a pu pousser Quentin Delval à piquer l’égo de ses pairs en choisissant un titre si provocateur ? Est-ce un ouvrage accusateur, culpabilisant, donneur de leçon ? Non, un livre introspectif et fondateur, né un peu par hasard dans la vague d’un mouvement féministe et quelques prises de conscience.

« J’avais écrit un billet sur la charge mentale en vacances : tandis que nous, les hommes, profitons avec les enfants, nos compagnes continuent les tâches domestiques, dans un endroit qu’elles ne connaissent pas. » Il partage son texte avec une blogueuse, qui avait rédigé un contenu similaire. Elle le publie sur les réseaux sociaux et la maison d’édition Hors d’atteinte le contacte. « L’équipe éditoriale, 100% féminine, cherchait un homme pour aborder des thématiques typiquement féministes, dont la part des hommes dans le partage des tâches. »
En 300 pages, il explore le non-travail émotionnel des hommes, leurs excuses et les esquives ancrées dans l’éducation et la société. « Ce terme d’esquive illustre ces autorisations tacites que l’on nous donne dans notre éducation masculine, de la part de toute la société, à ne pas faire telle chose et à s'en sortir sans pénalité. Exemples : ne pas se lever la nuit si bébé pleure, ne pas faire les courses, prioriser les copains, se rendre disponibles au travail jusque tard alors que l’on retarde, que l’on « esquive », les tâches à accomplir à la maison. »
Un homme à l’écoute
Depuis un semestre, Quentin s’intègre au Bureau de l’Égalité des chances de l’EPFL. « Ma cheffe, Hélène Fugger, m’a confié avoir acheté mon livre, mais ne pas l’avoir encore lu. »
« Ma motivation à postuler vient en partie de la prédominance masculine sur le campus. Fort de mon expérience dans le dialogue avec les hommes, je comprends que la masculinité transcende de nombreuses cultures. Je suis prêt à écouter avec humilité, et discuter avec les non convaincus ou les réticents à l’égalité. »

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Parmi les dossiers qui lui seront attribués, le projet Sans Barrières, visant l'inclusion des personnes en situation de handicap visible et invisible. Ce projet englobe divers aspects, tels que la mobilité réduite, la malvoyance, l’autisme, la santé mentale, et bien d'autres domaines. « Une évaluation récente à l’EPFL a conduit à l'élaboration d'un rapport avec des recommandations pour améliorer l'accessibilité générale. Il y avait plusieurs domaines, l’approche institutionnelle, l’accessibilité digitale, la construction des bâtiments plus orientés sécurité, l’emploi et le travail, les espaces extérieurs et la mobilité, les études, et les événements. »
Quentin Delval affirme son engagement à soutenir pleinement les efforts pour l’égalité, soulignant l’importance de préserver les avancées inscrites dans la loi, les règlements institutionnels et les valeurs fondamentales de l’institution. « Face à une polarisation croissante et au recul mondial des initiatives pour l’égalité — illustré par des décisions comme la fermeture brutale des bureaux fédéraux pour l’égalité et la diversité aux États-Unis — il faut travailler sur la nécessité de protéger ces acquis. »
Quentin Delval animera une table ronde le lundi 10 mars dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, en présence de l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss.