«La justice, je la cherchais depuis toute petite»

Maryam Meylan, juriste à l'EPFL, a gagné le concours international de plaidoiries du Mémorial de Caen. ©DR

Maryam Meylan, juriste à l'EPFL, a gagné le concours international de plaidoiries du Mémorial de Caen. ©DR

Maryam Meylan, juriste à l’EPFL et avocate-stagiaire inscrite au barreau de Genève, vient de remporter le concours international de plaidoiries du Mémorial de Caen. L’Iranienne a livré un récit bouleversant de ce qui se passe dans son pays, honoré également du prix du public.

Après quelques mots qui pourraient commencer comme un conte de fées, Maryam Meylan prévient le public qu’il ne peut plus s’échapper : « Vous allez être les témoins forcés du récit en accéléré de 512 existences envolées. 512 disparitions. 512 tristesses. Un million d’injustices. » C’était le 12 mars dernier à Caen. La juriste de l’EPFL et avocate-stagiaire au barreau de Genève participe au concours de plaidoiries du Mémorial de Caen. Ils et elles sont 10 avocats francophones de tous pays, sélectionnés pour plaider un cas individuel réel de violation des droits humains. S’exprimant au nom de toutes les victimes du régime iranien, Maryam Meylan va bouleverser le jury autant que le public et remporter le prix du jury et celui du public.

La jeune femme de 36 ans a intitulé sa plaidoirie «Femme, vie, assassinée», transformant le slogan du soulèvement iranien «Femme, vie, liberté». C’est la femme qui plaide, mais c’est l’Iranienne qui souffre: «Je suis Masha. Je suis Sarina. Je suis Kian. Je suis Javad. Je suis Nima. Je suis toutes les femmes et hommes assassinés, ou sur le point de l’être». Elle ne s’arrêtera plus, égrenant les horreurs subies par les manifestants pacifiques, les droits bafoués, la justice lapidée. «La question est plutôt de savoir quels droits humains ne sont pas violés en Iran. On y viole tout.» Sa voix se tord, mais ne faiblit pas, quand elle avoue: «Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du jury, mes chers confrères, Mesdames et Messieurs, aujourd’hui je ne participe pas à un concours de plaidoiries, aujourd’hui j’utilise cette tribune pour faire écho à ces demandes de femmes et hommes qui supplient qu’on vienne à leur secours.»

Il faut l’écouter. Au terme de sa plaidoirie, le public est ébranlé, la gorge nouée, les larmes aux yeux. «Mon cœur pleurait, admet-elle. J’interprète ce prix comme le fait que la voix du peuple iranien a été entendue.» C’était bien son objectif en s’inscrivant sur les conseils de son maître de stage, Maître Nicolas Capt, à ce concours international. «Je cherchais une tribune publique pour alerter sur la situation en Iran. Car ce n’est pas parce que la couverture médiatique a diminué que la répression s’est calmée.»

Se consacrer au droit

Quand Maryam Meylan arrive à Genève, il y a environ dix ans, elle est inscrite pour un master en… littérature anglaise. Elle passera d’abord un an à apprendre le français en cours intensifs alors que ses études se poursuivront exclusivement en anglais. Puis, elle découvre le droit, c’est une révélation. «La justice, en fait je la cherchais depuis toute petite. Dans mon entourage, je prenais toujours la défense de ceux qui étaient opprimés ou accusés. Mais le droit n’a jamais été une option dans mon pays: il est impossible de le pratiquer librement. Aujourd’hui, les avocats finissent en prison.» Elle ne cache pas les difficultés rencontrées: la langue bien sûr dans une branche où les mots pèsent de tout leur poids, l’investissement nécessaire ou les démarches administratives pour une ressortissante d’un pays non européen. Mais elle est déterminée: «Je voulais consacrer ma vie à cela.»

Depuis novembre 2021, Maryam Meylan est juriste au service des affaires juridiques de l’EPFL. À mi-temps, elle s’occupe notamment des aspects légaux des collaborations entre l’EPFL et les partenaires externes ainsi que de questions estudiantines. Parallèlement, depuis 9 mois, elle a entamé son stage d’avocate dans une étude spécialisée en droit des nouvelles technologies à Genève. En outre, elle continue son activité dans un domaine qui la passionne : le droit humanitaire.

Partagée, la jeune femme l’est aussi dans son identité. «Je m’identifie totalement à la Suisse et à ses valeurs. C’est une chance énorme de pouvoir pratiquer le droit dans une telle démocratie et je veux continuer.» Mais celle qui déposera sa demande de naturalisation dès que les conditions seront remplies ne cache pas que «mon pays me manque énormément et je n’y suis retournée qu’une seule fois quelques jours depuis mon départ en Suisse.» Depuis 7 mois que son peuple résiste au prix de son sang, elle tremble pour lui. Et de plaider encore une fois, déterminée: «Aujourd’hui, il ne suffit plus de parler. Il faut une action, une entente au sein de la communauté internationale pour qu’il y ait une justice. On ne sait pas combien de temps la population peut encore tenir sans aide.»


Auteur: Anne-Muriel Brouet

Source: People

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