La glace plastique: une nouvelle phase de l'eau

Crédit: Institut Laue-Langevin Communications Office
Des scientifiques de l’EPFL ont observé une nouvelle phase de la glace: la glace plastique VII. Dans cette état, les molécules d’eau sont emprisonnées dans une structure solide tout en tournant comme dans un liquide. Cette découverte pourrait redéfinir notre compréhension des planètes glacées et de leurs processus géophysiques.
La glace ne se limite pas aux à ce que l’on trouve dans notre congélateur. Grâce à sa structure moléculaire unique, l’eau peut exister au minimum sous vingt formes solides différentes, en fonction de la pression et de la température.
L’une des plus fascinantes est la glace VII, une phase de haute pression de la glace qui se forme au plus profond des planètes géantes et des lunes glacées. Dans la glace VII, les molécules d’eau sont disposées en une structure cubique serrée.
Une phase mystérieuse enfin observée
Cependant, depuis des décennies, les scientifiques ont émis l’hypothèse qu’à des températures et des pressions encore plus élevées, une nouvelle phase de glace VII pourrait émerger : la glace plastique VII. Dans cet état, les molécules d’eau restent emprisonnées dans un réseau solide comme dans la glace VII, mais au lieu de vibrer autour de leur position d’équilibre, elles peuvent tourner librement, comme les molécules dans un liquide.
Cette phase «plastique» de la glace pourrait jouer un rôle clé dans la formation de l’intérieur de planètes glacées comme Neptune et Uranus, ainsi que de certaines des lunes galiléennes de Jupiter, en influençant leurs propriétés thermiques et la manière dont elles transportent la chaleur et les matières. Mais la glace plastique VII n’a jamais été observée directement dans les expériences, jusqu’à présent.
Une équipe de chercheuses et chercheurs a utilisé la diffusion quasi-élastique des neutrons (QENS) pour observer la glace plastique VII pour la première fois. Ils ont soumis l’eau à des pressions allant jusqu’à 6 GPa (60 000 fois la pression atmosphérique de la Terre) et à des températures comprises entre 450 et 600 K (170-325 °C). Leurs résultats confirment que dans ces conditions extrêmes, les molécules d’eau dans la glace VII maintiennent un réseau cristallin tout en subissant un mouvement rotationnel rapide.
Cette recherche a été menée par Livia E. Bove, scientifique au Laboratoire de magnétisme quantique de l’EPFL et au CNRS à Paris.
Des preuves expérimentales directes de cet état de l’eau
Pour découvrir cette forme de glace insaisissable, l’équipe a utilisé les instruments de diffusion neutronique de l’Institut Laue-Langevin. La technique de diffusion quasi-élastique des neutrons (QENS) est particulièrement adaptée à la détection des mouvements des atomes d’hydrogène, ce qui la rend idéale pour étudier le comportement de l’eau au niveau moléculaire.
La diffusion neutronique a permis aux chercheuses et chercheurs d’observer comment les atomes d’hydrogène dans la structure de la glace VII se déplaçaient au fil du temps, en distinguant différents types de mouvement moléculaire. Cette technique a fourni des informations cruciales sur la dynamique rotationnelle des molécules d’eau dans la phase de glace plastique.
Les expériences ont été menées à l’aide de la presse Paris-Édimbourg, qui est spécialement conçue pour générer des pressions extrêmement élevées dans de petits échantillons. En comprimant l’eau à des pressions allant jusqu’à 6 GPa tout en la chauffant, les chercheuses et chercheurs ont créé les conditions dans lesquelles la glace plastique VII pouvait se former. La presse a assuré la stabilité de la glace lors des mesures de diffusion neutronique, ce qui a permis d’observer avec précision ses propriétés dynamiques.
En comparant les données de diffusion neutronique à des simulations de dynamique moléculaire, les chercheuses et chercheurs ont confirmé que la phase observée correspondait aux caractéristiques de la glace plastique VII. La combinaison de la génération à haute pression et de l’analyse neutronique avancée a fourni des preuves expérimentales directes de cet état de l’eau longtemps théorisé.
Les propriétés uniques de la glace plastique VII
Dans la glace plastique VII, les molécules d’eau adoptent une structure cubique centrée, comme la glace classique VII. Mais contrairement à la glace standard, où les molécules sont strictement emprisonnées, la glace plastique VII permet des rotations moléculaires rapides sur une échelle de temps picoseconde (un trillionième de seconde). Au lieu de se comporter comme des rotors libres, les molécules effectuent des sauts d’orientation soudains, contraints par de faibles barrières énergétiques. Ce mouvement dynamique distingue la glace plastique VII des autres phases de la glace.
Au-delà de la nouveauté de la découverte d’une nouvelle phase de la glace, la glace plastique VII a d’importantes implications pour la planétologie. Cette phase pourrait expliquer comment le transport de chaleur et de matières se produit à l’intérieur des planètes et des lunes glacées, affectant leur évolution et leur structure. Elle peut également influencer la façon dont les grands corps glacés se différencient, ce qui permet de comprendre pourquoi certaines lunes, comme Ganymède, ont des noyaux métalliques alors que d’autres, comme Callisto, n’en ont pas.
Comprendre la glace plastique VII enrichit également nos connaissances en physique des hautes pressions et pourrait éclairer les recherches futures sur d’autres matières exotiques présentes dans des environnements extrêmes.
Liste des contributeurs
- Laboratoire de magnétisme quantique de l’EPFL
- Sapienza Università di Roma
- Institut Laue-Langevin
- CNRS-CEA
- Université de la Sorbonne
- Université de Bristol
- IBM Research Europe
- Université de Manchester
- Université d’Édimbourg
Conseil Européen de la Recherche (CER)
Fonds national suisse de la recherche scientifique (SNSF)
Union européenne – NextGenerationEU
ANR-23-CE30-0034 EXOTIC-ICE
Maria Rescigno, Alberto Toffano, Umbertoluca Ranieri, Leon Andriambariarijaona, Richard Gaal, Stefan Klotz, Michael Marek Koza, Jacques Ollivier, Fausto Martelli, John Russo, Francesco Sciortino, Jose Teixeira et Livia Eleonora Bove. Observation of Plastic Ice VII by Quasi-Elastic Neutron Scattering. Nature 12 février 2025. DOI: 10.1038/s41586-025-08750-4