La fonte des glaciers menace des écosystèmes microbiens uniques

Les ruisseaux glaciaires pourraient bien subir un verdissement à l'avenir. © 2022 EPFL/Mike Styllas - CC-BY-SA 4.0

Les ruisseaux glaciaires pourraient bien subir un verdissement à l'avenir. © 2022 EPFL/Mike Styllas - CC-BY-SA 4.0

Une étude pionnière révèle l’impact du changement climatique sur les ruisseaux glaciaires et leurs communautés microbiennes essentielles, prédisant leur transformation d’ici la fin du siècle.

Les glaciers du monde disparaissent à un rythme alarmant sous l’effet du changement climatique. Si ce phénomène est étudié et modélisé depuis de nombreuses années, aucune modélisation de l’impact de la fonte des glaces sur les ruisseaux alimentés par les glaciers et leurs écosystèmes n’avait été effectuée jusqu’à aujourd’hui. Une étude — menée dans le cadre du projet dirigé par l’EPFL «Vanishing Glaciers» et qui vient de faire l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications — permet de prédire, pour la toute première fois, à quoi ces ruisseaux ainsi que leur microbiome ressembleront d’ici la fin du siècle sous différents scénarios de changement climatique.

Des sources vitales pour nos grands fleuves

« Les ruisseaux glaciaires constituent les sources qui alimentent certains des plus grands systèmes fluviaux du monde, fournissant des ressources en eau essentielles à des milliards de personnes. En Suisse, par exemple, presque tous les grands cours d’eau y prennent leur source : le Rhône, l’Inn, ou encore l’Adige. Ce qui se passe dans ces zones les plus élevées a donc un impact direct sur tout ce qui se trouve en aval », souligne Hannes Peter, collaborateur scientifique au Laboratoire de recherche en écosystèmes fluviaux (RIVER) de l’EPFL, et coauteur de l’étude. « Aujourd’hui, il est par conséquent crucial de mieux comprendre comment la fonte des glaciers va impacter l’évolution et la microbiologie de ces ruisseaux. »

Des milliers de bactéries analysées

« Nous avons reconstruit et analysé les données génétiques de 2333 types de bactéries différentes, extraites à partir d’échantillons provenant de 164 ruisseaux glaciaires répartis sur les principales chaînes de montagnes du monde », explique Massimo Bourquin, collaborateur technique au Laboratoire d’adaptation du microbiome à l’environnement changeant de l’EPFL, ancien doctorant au laboratoire RIVER et premier auteur de l’étude. « Nous avons ensuite créé des modèles prédictifs en combinant ces informations avec des données climatiques, glaciologiques et environnementales pour comprendre comment les différentes souches bactériennes réagissent à ces paramètres. »

« Notre approche ne s’est pas limitée à analyser des bactéries isolées », précise-t-il. « Nous avons également examiné des caractéristiques clés, comme la diversité et la distribution entre espèces dominantes et espèces rares. L’ensemble de ces analyses nous a offert une vision globale des impacts potentiels du changement climatique sur ces écosystèmes et leur microbiome selon différents scénarios. »

Vers un « verdissement » des ruisseaux glaciaires

L’étude prédit notamment un « verdissement » des ruisseaux glaciaires. « Les conditions actuelles de ces ruisseaux sont si contraignantes que les organismes classiques des ruisseaux alpins, notamment les algues, ne peuvent pas s’y développer », commente Massimo Bourquin. Les ruisseaux alimentés par des glaciers constituent en effet des environnements « extrêmes » caractérisés par plusieurs conditions difficiles : températures très basses, forte variabilité du débit, abondance de sédiments fins qui troublent l’eau et réduisent la pénétration de la lumière, rareté des nutriments et faible oxygénation. « Cette combinaison de facteurs crée un microbiome unique, spécifiquement adapté à ces conditions. Avec la perte progressive des caractéristiques glaciaires, ces écosystèmes vont évoluer pour ressembler davantage aux autres ruisseaux alpins. Nous assisterons alors à une augmentation des algues, entraînant plus de photosynthèse, plus de matière organique disponible pour les organismes, et par conséquent une prolifération des communautés bactériennes et algales. »

Nous voyons la glace fondre, mais il n’y a pas que l’eau qui disparaît

Tom Battin, professeur en sciences de l’environnement et directeur du laboratoire RIVER de l'EPFL

Un patrimoine microbien invisible en danger

Ces changements entraîneront la perte de groupes bactériens spécifiquement adaptés aux conditions extrêmes, avec des conséquences importantes pour le fonctionnement de ces écosystèmes et de tous ceux qui en découlent. « On peut s’attendre à ce qu’une partie des bactéries hautement spécialisées pour ces conditions rigoureuses ne parvienne pas à survivre face à l’émergence d’environnements plus “verts”, où d’autres espèces mieux adaptées aux nouvelles conditions prendront le dessus », avertit Massimo Bourquin.

« Nous voyons la glace fondre, mais il n’y a pas que l’eau qui disparaît », alarme Tom Battin, professeur ordinaire en sciences de l’environnement, directeur du laboratoire RIVER et coauteur de l’étude. « Nous allons également perdre un microbiome unique », regrette-t-il. « Bien qu’invisibles à l’œil nu, les microbes jouent un rôle fondamental dans les écosystèmes : ils purifient l’eau, recyclent les nutriments et régulent des cycles essentiels, comme ceux du carbone et de l’azote, soutenant ainsi la chaîne alimentaire et le bon fonctionnement des équilibres écologiques. »

Malgré la dispersion géographique des ruisseaux étudiés, leurs caractéristiques se révèlent étonnamment constantes. « Ce qui ressort de manière frappante de notre étude, c’est la similarité des microbiomes dans tous les ruisseaux glaciaires que nous avons analysés, explique Massimo Bourquin. Cette uniformité, dictée par les conditions extrêmes propres aux glaciers, met en lumière leur importance pour ces écosystèmes microbiens. Face au recul des glaciers, leur préservation représente la seule option pour ne pas perdre ces habitats uniques. »

Le Glacier Stewardship Program – une équipe internationale s’engage pour la préservation des glaciers

Afin de préserver les glaciers, d’atténuer les impacts environnementaux et économiques de leur fonte et de protéger leur biodiversité, des scientifiques de l’EPFL, de l’ETH Zurich, de l’Université d’Innsbruck lancent le Glacier Stewardship Program. Plus d’une vingtaine d’autres universités et instituts de recherche du monde entier participent à l’initiative.

Cette alliance de scientifiques s’engage à relever les défis et à faire face aux conséquences de la disparition des glaciers à travers trois priorités :
- Développer de nouvelles approches techniques pour ralentir la fonte des glaces à l’échelle locale, et procéder à des évaluations et des tests systématiques.
- Améliorer les systèmes d’alerte précoce afin de mieux protéger les communautés contre les risques liés aux glaciers dans certaines chaînes de montagnes.
- Créer une biobanque afin de préserver les micro-organismes des glaciers pour les générations futures et d’exploiter leur pouvoir pour atténuer les conséquences du changement climatique.

Références

Bourquin, M., Peter, H., Michoud, G. et al. Predicting climate-change impacts on the global glacier-fed stream microbiome. Nat Commun 16, 1264 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-56426-4


Auteur: Leila Ueberschlag

Source: Environnement Naturel, Architectural et Construit | ENAC

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