La direction de l'EPFL récompense deux briseurs de silos
Remis lors de la Magistrale, l’« Outstanding Commitment Award » récompense cette année Aurore Nembrini, responsable du pôle opérations à l’unité durabilité, et Pascal Vuilliomenet, gestionnaire des projets DLL et Sportech.
L’une est notre travailleuse de l’ombre de la durabilité, l’autre le Charlemagne des projets appliqués étudiants interdisciplinaires. Aurore Nembrini, responsable du pôle opérations à l’unité durabilité, et Pascal Vuilliomenet, gestionnaire des projets Discovery Learning Labs (DLL) et Sportech, œuvrent avec autant de discrétion que de détermination à une cause qui leur est chère. Aurore conduit l’École sur la voie de la durabilité tandis que Pascal se démène pour que les futurs ingénieures et ingénieurs aient l’occasion de mettre les mains dans le cambouis en parallèle de leur apprentissage académique. L’une et l’autre se croisent rarement, mais partagent un engagement pour l’EPFL qui dépasse largement la décennie et un acharnement à briser les silos dans une institution relativement cloisonnée. Leur engagement est aujourd’hui récompensé par l’« Outstanding Commitment Award », décerné par la Direction de l’EPFL sur présélection de l’Assemblée d’École. Le prix leur a été remis lors de la Magistrale, le 7 octobre 2023. Nous les avons réunis pour une discussion qui a conjugué leur vocation sur les modes de l’action, de l’interdisciplinarité et de la persévérance.
Que peuvent avoir en commun l’intégration de la durabilité et la création de « couveuses » pour des projets appliqués étudiants?
Pascal Vuilliomenet (PV): Je dirais que nous travaillons tous deux à des projets transversaux qui intègrent l’ensemble de l’École. Nos deux activités ont pour objectif de briser les silos et de tisser des liens. D’ailleurs nos rôles sont assez difficiles à définir, car, étant transverses, ils ne rentrent pas dans des cases de fonction et d’unité. Toi comme moi, nous devons nous appuyer sur différents services.
Aurore Nembrini (AN): C’est tout à fait juste. Avec un double niveau d’intrication puisque pour atteindre cette transversalité le pôle éducation de l’unité durabilité s’appuie en partie sur les Discovery Learning Labs (DLL) que tu as initiés.
Comment faites-vous pour briser les silos?
PV: Ma méthode consiste à chercher les ressources là où elles sont et m’appuyer sur les personnes compétentes. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier les leviers potentiels. Puis commence un travail de fourmi pour motiver les gens et les faire monter à bord. Issus d’une vision top-down, ce sont en fait des projets bottom-up pour lesquels il faut construire brique par brique la relation avec les différentes parties prenantes.
AN: Je mise sur une intégration dans les services. À part pour la mobilité et les aménagements extérieurs qui sont maintenant sous la responsabilité de la Vice-présidence pour la transformation responsable (VPT), nous devons inciter et motiver les différentes structures à faire évoluer leurs pratiques dans le sens de la durabilité. Notre mode d’action se fonde sur la décentralisation: l’idée est que les personnes à la VPT qui sont responsables d’un domaine, les achats ou le numérique par exemple, travaillent physiquement un ou deux jours par semaine dans les équipes en charge des achats ou des services informatiques. Elles vont ainsi mieux comprendre leurs enjeux, leur culture de travail et comment engager les parties prenantes. Idem au niveau des facultés, avec la nomination de responsable de la durabilité, pour être au plus près de leurs besoins et comprendre leurs enjeux propres. Ça fonctionne bien!
Fondamentalement, notre travail consiste à instaurer un changement de culture.
PV: Nous exploitons aussi cet ancrage dans le terrain. Les personnes qui travaillent dans les DLL sont associées à des laboratoires. Les DLL sont au service de la communauté et pour cela on doit comprendre ce dont les gens ont besoin. Nous cassons également les frontières entre les aspects d’éducation, de recherche, d’outreach ou les structures. On utilise une partie des projets pour apporter une réelle valeur ajoutée au campus, englobant les différents aspects. C’est une approche systémique.
AN: Le périmètre dépasse d’ailleurs celui du campus. Il inclut aussi le tissu urbain voisin avec des besoins dont nous devons aussi tenir compte.
PV: Tout à fait, le réseautage se retrouve dans la logique des DLL et pour l’initiative Sportech. Ce n’est pas de l’éducation ou de la recherche toutes seules dans leur coin, mais elle s’intègre dans un tissu économique et sollicite des acteurs divers. Pour appréhender toute la complexité de l’écosystème, il faut y avoir passé du temps. Ça ne s’enseigne pas. Et ce n’est pas pour rien que nous sommes depuis longtemps dans l’institution! À l’ère de la communication courte, instantanée et périssable, notre défi est de travailler à des projets à 10-15 ans. Nous sommes sur une temporalité totalement différente. Le DLL, c’est 12 ans de travail, les balbutiements de l’initiative Sportech avec Alinghi datent d’il y a 20 ans!
AN: Fondamentalement, notre travail consiste à instaurer un changement de culture. Au fil des années, j’ai pu mesurer une évolution profonde de la façon dont nous sommes perçus. Au début, il y avait beaucoup de résistance. C’est souvent le cas quand on essaie de faire changer les pratiques: même si les faits sont incontestables, les gens adhèrent plus ou moins. Maintenant, la communauté est beaucoup plus engagée, à tous les niveaux. Nous avons également beaucoup plus de légitimité grâce au soutien de la direction et à la création de la VPT.
PV: On avance souvent par accident, par petits pas. Au départ, c’étaient des étudiants dans une cave qui fabriquaient un bateau. Puis, on a obtenu un conteneur, puis quelqu’un pour les encadrer… Nous avons dû faire preuve de résilience et de ténacité ! Il a fallu convaincre, argumenter, mettre en valeur, institutionnaliser des trucs bricolés pour qu’ils deviennent un rouage de l’institution. De temps en temps, on passe des paliers. La construction du SPOT, le dernier des DLL, en est un dont il est impossible de revenir en arrière.
AN: J’ai aussi commencé par des petits projets pilotes ponctuels là où des personnes étaient intéressées à tester de nouvelles pratiques. Par exemple en matière d’alimentation, on a commencé à mesurer la quantité de déchets organiques jetés dans un restaurant. Aujourd’hui, c’est une mesure obligatoire pour tous les restaurants. Il faut essayer, tester, contourner, se remettre en question. Puis, petit à petit, les nouvelles pratiques s’installent, voire s’institutionnalisent. Nous l’avons expérimenté avec les journées sans viande. En 2014, on avait proposé d’en faire 4 par an. Ç’a été le tollé! La communauté n’était pas mûre. On a réessayé quelques années plus tard avec une campagne de sensibilisation visant à mobiliser la communauté en axant sur le positif, en proposant notamment des ateliers de cuisine végétarienne. Puis, les choses se sont enchainées, une personne en charge de la restauration a été engagée avec une mission très claire en termes de durabilité. Aujourd’hui plus de 50% des repas consommés sont végétariens! Nos paliers ont certainement été la création de la VPT et la publication de la Stratégie climat & durabilité. Maintenant, nos actions s’inscrivent dans une stratégie portée par la direction. C’est important, car ça valorise ce qui a été fait et ça fixe un objectif pour la suite.
À l’ère de la communication courte, instantanée et périssable, notre défi est de travailler à des projets à 10-15 ans.
Comment recevez-vous ce prix?
PV: Ce prix est une belle reconnaissance. Mais il me met en porte-à-faux, car c’est le travail d’une équipe! Celles et ceux qui sont sur le terrain ont droit à autant de reconnaissance. Nous sommes des coordinateurs et notre rôle est que les gens avec lesquels on travaille puissent le faire dans les meilleures conditions possibles. On sait que tout seul, on ne sert à rien.
AN: Je reçois également ce prix comme une reconnaissance pour l’engagement de toute l’équipe durabilité. L’équipe est très investie, dynamique, multidisciplinaire et compétente. Il est important que nous restions humbles, proches des membres de la communauté, pour comprendre leurs réticences. Souvent on aimerait aller plus vite, mais le plus important c’est d’y aller ensemble, pour ancrer le changement dans la durée, de manière à pouvoir augmenter les ambitions.
Quels sont vos prochains gros défis?
AN: Il y a des défis de réduction des impacts et d’information dans toutes les thématiques environnementales: mobilité, énergie, numérique, alimentation, construction, etc. Le plus grand défi est certainement l’instauration d’une culture de la sobriété : comment consommer moins, partager davantage, mutualiser. Ça ne veut pas forcément dire faire moins ou moins bien, mais différemment, peut-être même mieux. Nous devons accompagner le campus dans l’imagination de futurs différents, mais pas moins bons.
PV: Avec les DLL, nous sommes au milieu du gué. Il est clair que nous disposons d’un outil magnifique. Mais quand on voit toutes les compétences que les étudiantes et étudiants doivent acquérir aujourd’hui, il y a toute une palette que l’on ne peut pas enseigner d’un point de vue pratique à l’EPFL. Le défi est de réussir à continuer le mouvement malgré tout ce que l’on a aujourd’hui. Parallèlement, un autre défi est de faire des projets qui répondent aux besoins de la société et qui dépassent les aspects techniques. Comment intégrer les aspects éthiques, juridiques, économiques…
AN: …mais aussi sociaux, environnementaux et politiques?