La culture du maïs aura-t-elle encore sa place en Europe en 2100?

Pour son projet de Master, Juliette Salles a décidé de se projeter dans le futur. 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Pour son projet de Master, Juliette Salles a décidé de se projeter dans le futur. 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

C’est la question que Juliette Salles s’est posée pour son projet de Master en sciences et ingénierie de l’environnement à l’EPFL. Une aubaine pour celle qui aime autant manipuler les données qu’explorer les enjeux porteurs de sens.

En 2100, la génération de Juliette Salles sera presque centenaire. 2100 est aussi l’horizon de projection que les ingénieures en environnement comme elle entendent durant leurs études: disparition des glaciers, hausse des températures, événements extrêmes… La transition vers un nouveau monde.

Pour son projet de Master, l’ingénieure a décidé de se projeter dans cet inconnu. En cherchant sur les sites des laboratoires de sa section les domaines qui l’intéressent le plus, soit la gestion de l’eau et les systèmes d’information géographique, elle tombe sur un sujet proposé par la professeure assistante tenure-track Sara Bonetti: évaluer le taux de production céréalière en Suisse et en Europe d’ici à 2100. «Les grands modèles climatiques peuvent nous fournir des estimations sur les changements futurs en termes de précipitations et de température, qui sont des facteurs déterminants pour la production agricole», explique la diplômée née dans la région parisienne. «Ce que j'ai apprécié dans ce projet, c'est qu'il impliquait l'analyse de prévisions de précipitations.»

Scénario du pire

Les scientifiques spécialisés dans le changement climatique basent leurs projections sur différents scénarios, allant du meilleur, dans lequel des mesures agressives sont prises pour limiter le réchauffement climatique, au pire, caractérisé par l'absence de mise en œuvre de politiques climatiques et l'adoption limitée des énergies renouvelables. «Le scénario optimiste n’existe plus», déplore l’ingénieure. «J’ai opté pour le plus extrême, le scénario ‘RCP8.5’». Un scénario du pire qui se produira si les tendances actuelles des émissions de carbone se maintiennent, sans effort significatif. En Suisse, les températures augmenteront de 3 à 5 degrés en moyenne annuelle, avec des pics de chaleur pouvant dépasser les 40 degrés. Les épisodes de pluies diluviennes, de canicules et d’inondations seront aussi plus fréquents.

Cultiver le maïs sans irrigation sera impossible et sa culture irriguée pourra créer des conflits liés aux allocations de la ressource.

Juliette Salles

L’avenir de la culture du maïs l’intéresse en particulier dans ce contexte. Cette céréale est actuellement la plus produite en Europe derrière le blé. Son point faible? Sa période de croissance – et donc d’irrigation – correspond aux mois de juillet et août, là où l’eau sera la plus rare. «De grandes régions céréalières comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Ukraine et la France vont être impactées. Cultiver le maïs sans irrigation sera impossible et sa culture irriguée pourra créer des conflits liés aux allocations de la ressource», prévient la diplômée.

Changements de climats

Afin de se projeter dans le contexte agricole de 2100, l’ingénieure compare entre les années 2000 et 2100 quatre variables climatiques pertinentes pour la production du maïs: le nombre de jours de pluie par année, la durée maximale de périodes de sécheresse, l’intensité moyenne par jour de pluie et la température moyenne. «En évaluant ces quatre variables sur le territoire suisse, j’ai pu diviser le pays en six régions. J’ai fait la même chose pour l’Europe. On voit à ce moment-là que certains types de climats vont changer, à l’exemple du climat boréal, au nord de l’Europe, du climat atlantique, en Bretagne et dans les îles britanniques, et du climat continental, à l’est de l’Europe», explique l’ingénieure. Le climat méditerranéen couvre actuellement 19% de l’Europe. Selon ses projections, il représentera 41,6% de ses territoires en 2100.

Nouvelles céréales

Qu’en sera-t-il de la production de maïs non irrigué? Juliette Salles montre que celle-ci chutera de 80% par rapport à l’année 2000 dans les grandes régions productrices européennes. De quoi se poser la question de sa pertinence. Une réflexion que la diplômée a elle-même menée en découvrant ces résultats: «Il faudra sans doute se tourner vers des céréales cultivées dans les régions du Sud, comme le sorgo et le millet, pour assurer notre sécurité alimentaire. Aussi, il faudra réfléchir au sens même de cultiver du maïs, quand on sait que deux tiers de sa production en Europe sert à nourrir le bétail.»

Seule l’Europe du Nord verra sa production augmenter. En Suisse, le rendement sur le Plateau augmentera de 35%, mais les régions du Tessin et du Valais se caractériseront par des périodes de sécheresse et de pluies faibles peu propices à la culture agricole. Faute de temps, l’étudiante n’a pas pu évaluer la production totale de maïs pour la Suisse en 2100, en la comparant à l’année 2000. Cette recherche se poursuit toutefois à l’EPFL au sein du Laboratoire d'hydrologie et de géomorphologie des bassins versants (CHANGE), dirigé par Sara Bonetti.

Motivée par cette recherche qui a obtenu l’une des meilleures évaluations de sa volée, Juliette Salles s’oriente à présent vers un doctorat en ingénierie de l’environnement. Des études qu’elle a choisies pour leur «aspect concret et ancré dans la réalité» et «pour apporter des solutions aux problèmes que l’on connaît toutes et tous.»

Références

Juliette Salles, "Implications of changes in rainfall and temperature variability for Swiss and European maize production", supervised by Prof. Sara Bonetti and Dr Francesca Bassani, Laboratory of Catchment Hydrology and Geomorphology (CHANGE), EPFL, 2025.


Auteur: Sandrine Perroud

Source: People

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