La bactérie du choléra tue pour voler l'ADN

Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL

Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL

Des scientifiques de l’EPFL ont pu observer comment la bactérie du choléra transperce et tue d’autres bactéries pour subtiliser leur ADN et accroître sa virulence. Une découverte surprenante publiée dans «Science».

Le choléra est causé par la bactérie Vibrio cholerae, qui infecte l’intestin grêle. Cette maladie se caractérise par de fortes diarrhées entraînant une déshydratation sévère. Des chercheurs de l’EPFL ont démontré que la Vibrio cholerae utilisait une sorte de petite lance pour perforer et tuer les bactéries environnantes – même de sa propre espèce – et leur vole leur ADN. Ce mécanisme, appelé «transfert horizontal de gènes», leur permet de devenir encore plus agressives en intégrant certaines qualités de leur proie. L’étude est publiée par Science.

Le laboratoire de Melanie Blokesch de l’EPFL a observé que la Vibrio cholerae utilisait un dispositif létal de prédation pour rester compétitive face aux bactéries environnantes et leur soustraire leur ADN. Ce dispositif tueur est fait d’une lance à ressort. Cette arme, nommée « système de sécrétion de type VI » (T6SS), est intégrée à de nombreux types de bactéries. Lorsque V. cholerae s’approche d’autres bactéries, elle les perce de sa lance et les tue. L’attaque libère du matériel génétique que la bactérie prédatrice aspire ensuite en elle.

Assassiner son prochain et voler ses gènes

Cette attitude destructrice est déclenchée par l’environnement de la bactérie. L’agent du choléra vit dans l’eau, par exemple la mer, où elle s’attache à de petits crustacés planctoniques. Elle s’y nourrit de composants de leurs coquilles: un polymère de sucre, la chitine. Lorsque cette dernière est présente, la V. cholerae passe en mode de survie agressif. Elle attaque les bactéries environnantes – même celles de sa propre espèce.

Comment la V. cholerae utilise-t-elle cet atout pour survivre? L’équipe de Mélanie Blokesch a testé des souches de la bactérie du monde entier, la plupart impliquées dans la 7e pandémie de choléra, qui a débuté en Indonésie dans les années 60 avant de se propager en Asie, Europe et Amérique latine. Une souche qui continue de faire des ravages aujourd’hui.

Les chercheurs ont cultivé la bactérie sur des surfaces de chitine, afin de simuler leur habitat usuel, à la surface des crustacés. Ils ont découvert que la minuscule lance de la V. cholerae était non seulement une arme visant à neutraliser la concurrence, mais aussi qu’elle contribuait à transférer des gènes susceptibles de la rendre plus résistante contre les menaces - antibiotiques compris. Les scientifiques ont ensuite eu recours à des techniques de génétique et de bio-imagerie pour identifier en temps réel les mécanismes impliqués dans ce transfert horizontal de gènes.

«Grâce à ce mode d’acquisition d’ADN, une seule cellule de V. cholerae est capable d’absorber des fragments contenant plus de 40 gènes provenant d’une autre bactérie, explique Melanie Blokesch. C’est une quantité considérable d’informations génétiques». Ce phénomène est appelé «transfert horizontal de gènes» précisément parce qu’il s’oppose au passage conventionnel dit «vertical» de parent à enfant.

Cette étude s’avère primordiale, car le transfert horizontal de gènes est très commun chez les bactéries, et contribue à répandre les facteurs de virulence et les résistances aux antibiotiques. L’activation par la chitine du processus rend en outre les bactéries encore plus dangereuses pour l’homme en cas d’ingestion, car la lance moléculaire est également susceptible de détruire les bactéries bénéfiques naturellement présentes dans notre intestin.

Les scientifiques étendent en ce moment leurs recherches à l’interaction entre l’utilisation de la lance induite par la chitine et le transfert horizontal de gènes. «L’étude de cette interaction devrait nous permettre de mieux comprendre les forces évolutionnaires qui forment les agents pathogènes pour l’homme, ainsi que, peut-être, les phénomènes de transmission du choléra», ajoute Blokesch.

Source

Borgeaud S, Metzger LC, Scrignari T, Blokesch M. The type VI secretion system of V. cholerae fosters horizontal gene transfer.Science, 2015; 347 (6217): 63 DOI: 10.1126/science.1260064



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Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL
Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL
Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL
Vibrio cholerae sur une surface de chitine © Graham Knott & Melanie Blokesch/EPFL

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