L'opéra de Sydney fête ses 50 ans et révèle encore des secrets
Le professeur de l’EPFL Paolo Tombesi réécrit un pan de l’histoire du joyau architectural australien à la lumière d’archives inédites. Ces dernières révèlent la prouesse technique jusque-là oubliée, qui a permis d’assembler la complexe toiture en forme de voiles.
Sydney est intrinsèquement lié à son opéra comme Paris à sa tour Eiffel. Ces monuments architecturaux iconiques du 20e siècle n’ont toujours pas fini de susciter admiration et intérêt scientifique. Le 20 octobre 2023, le bâtiment en forme de voiles dominant le port de la plus grande ville australienne célèbrera ses 50 ans. Des commémorations qui remettront en lumière la longue et tumultueuse histoire de sa construction qui aura duré 15 ans.
Notre découverte est importante, car elle nous permet de reconstituer de manière scientifique l’histoire de sa construction à l’aide de plans jusqu’ici oubliés dans des archives.
Spécialiste de l’étude des grands monuments, le professeur ordinaire Paolo Tombesi a consacré plus de 20 ans de sa carrière à étudier l’opéra de Sydney. L’un de ses derniers articles sur le sujet paru dans la revue Frontiers of Architectural Research met en lumière un aspect méconnu de son histoire : le rôle majeur de l’entreprise de construction australienne Hornibrook derrière la fabrication des fameuses voiles (1963 – 1967), ignoré jusqu’ici dans les ouvrages consacrés à l’édifice. «Notre découverte est importante, car elle nous permet de reconstituer de manière scientifique l’histoire de sa construction à l’aide de plans jusqu’ici oubliés dans des archives», explique le professeur de la faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC).
Innovation architecturale radicale
A l’origine, l’architecte de l’opéra, le danois Jørn Utzon, a imaginé un concept unique très difficile à appliquer. Dans son édifice perché au-dessus de l’eau, tout est caché. «Il a créé un objet dans lequel on a dû adapter le contenu. C’est une innovation radicale qui réinvente le processus de construction classique. On peut comparer ce défi à la construction d’une cathédrale gothique.» L’opéra est composé de trois structures : les fondations, la toiture en forme de voiles et la partie fonctionnelle du théâtre niché à l’intérieur.
En étudiant scrupuleusement la vingtaine de monographies existantes du bâtiment, Paolo Tombesi n’y trouve que des croquis d’architecte, mais jamais les plans de constructions. «Si l’on veut regarder les détails d’un bâtiment, comment les éléments sont mis ensemble, on doit consulter les documents techniques afin de comprendre le processus.» Avec ses collègues de l’Université de Sydney et de New South Wales Paolo Stracchi et Luciano Cardellicchio, ils décident de partir à leur recherche et finissent par les trouver dans des archives nationales en Australie. Ces dessins détaillent en particulier la structure très complexe des arches qui constituent les fameuses voiles. Ils permettent de mieux comprendre quelles décisions ont été prises et pourquoi, avec des simulations à petite échelle.
Au-delà du mythe
«On a pu établir que l’entreprise de construction a joué un rôle central pour fournir des informations sur la manière dont les différents éléments devaient être assemblés. Elle a été particulièrement innovante avec la création de nouveaux outils comme une arche télescopique qui serait aujourd’hui dans un musée si elle n’avait pas été détruite. A l’origine, Hornibrook était spécialisée dans la construction des ponts. Les voiles de l’opéra ont par conséquent été assemblées sur le même principe. Le rôle crucial de l’entreprise australienne n’est pourtant jamais mentionné dans la littérature. Seuls les ingénieurs et architectes ont reçu les honneurs.»
Pour Paolo Tombesi, il est important de mettre en lumière une autre histoire du bâtiment, qui n’est pas fondée sur un mythe, mais sur des documents scientifiques. Et pour aller plus loin dans cette démarche, il a entrepris avec l’aide d’étudiantes et étudiants de l’Université de Sydney de digitaliser toute cette nouvelle matière. «Ces plans sont difficiles à lire, mais nous avons réussi à identifier chaque composant fabriqué à l’intérieur de la voile.» Ils ont ainsi reproduit la géométrie de l’édifice et séquencé les différentes étapes de construction que l’on peut voir dans cette vidéo. «La technologie d’aujourd’hui nous offre des outils pour détailler le processus de construction afin de mieux comprendre les prises de décision de l’époque», conclut-il.
- Cette recherche a été récompensée par le Heritage Award 2024, décerné par le National Trust (NSW) australien pour l'éducation et l'interprétation. Le prix est dédié à l'Université de Sydney et à l'EPFL.
Paolo Stracchi, Luciano Cardellicchio, Paolo Tombesi, “Not really an aftermath. The role of actual construction in the design process of the Sydney Opera House roof”, Frontiers of Architectural Research, Avril 2023 (version papier). L’article a été couronné meilleure publication 2022 (version online) de la revue.
Une série d’articles sur l’opéra de Sydney de Paolo Tombesi paraîtront ces prochains moins dans les revues spécialisées "Architectural Research Quarterly", "Casabella" et "L'Architecture d'Aujourd'hui".