«L'informatique quantique n'a pas encore son moment ChatGPT»

Professor Thomas Vidick © 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Professor Thomas Vidick © 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Le professeur Thomas Vidick a rejoint l’EPFL fin 2024. Il travaille sur des problèmes à l’interface de l’information quantique, de l’informatique théorique et de la cryptographie.

Thomas Vidick a découvert la mécanique quantique en master et l’a trouvée fascinante. «Les mathématiques», explique-t-il, «sont très élégantes et très simples. Cela me passionnait beaucoup car cela me disait que si vous mettez à jour votre modèle du monde, du fonctionnement des choses, de la mécanique classique à la mécanique quantique, cela fait une différence dans ce que vous pouvez calculer.»

Qu’est-ce que l’information quantique et quel est son lien avec l’informatique et/ou la cryptographie? C’est une bonne question en cette Année internationale de la science et de la technologie quantiques proclamée par les Nations Unies.

Pour y répondre, on peut commencer par expliquer la mécanique quantique. Il s’agit de l’étude des propriétés fondamentales de la matière au niveau subatomique, ou ce qui se passe à l’intérieur des cellules. Nous savons qu’à ce niveau microscopique, il est possible d’encoder des données. Pour aller plus loin, la recherche sur l’information quantique se concentre sur la façon d’extraire ces données et de les utiliser pour la communication, y compris dans l’informatique quantique.

Il s’agit d’un domaine de l’informatique de pointe qui vise à exploiter les qualités de la mécanique quantique pour résoudre des problèmes plus rapidement que les ordinateurs classiques les plus puissants. Il devrait révolutionner le calcul, la communication et la cryptographie modernes.

À la découverte du quantique

L’informatique classique traite des données qui sont représentées par des séquences de zéros et de uns alors que l’informatique quantique manipule des données encodées d’une manière différente.

«C’est parce que les lois de la physique à un niveau infiniment petit – une particule à la fois – ont une nature différente des lois classiques de la physique qui sous-tendent la théorie générale de la relativité d’Einstein. L’ordinateur quantique essaie d’exploiter la nature des données dans de très petits systèmes physiques afin d’améliorer le calcul. Ce n’est donc pas seulement la façon dont vous calculez qui a changé, mais aussi, plus fondamentalement, la façon dont ces données sont représentées», précise Thomas Vidick.

Théorie de la complexité et intrication

Responsable du Laboratoire de complexité quantique et de cryptographie (QCC) de la Faculté informatique et communications (IC), Thomas Vidick utilise la théorie de la complexité comme outil pour étudier les problèmes de l’informatique quantique afin d’acquérir de nouvelles perspectives sur les concepts classiques issus de l’informatique théorique.

«Dans la théorie de la complexité, nous étudions le type de limites intrinsèques de ce qui peut être calculé dans un modèle de calcul. Il y a des calculs classiques et aussi ce qu’on appelle des calculs aléatoires, où la question principale que vous posez est: si j’ai le droit de tirer à pile ou face et de faire des suppositions, et que je ne suis pas obligé de déterminer la bonne réponse à chaque fois, mais la plupart du temps, est-ce que je peux accélérer certaines choses», dit-il. «C’est un vaste domaine en soi!»

Thomas Vidick travaille également sur l’intrication, qui est une autre caractéristique fondamentale de la mécanique quantique dans laquelle deux ou plusieurs systèmes quantiques ou particules peuvent avoir un état commun et corrélé, même s’ils sont séparés par une grande distance. Cela signifie que lorsque vous faites des observations d’une particule et des observations d’une autre particule, ce que vous voyez sera corrélé.

«C’est intéressant pour moi d’un point de vue philosophique, car depuis les fondements de la mécanique quantique, c’est très difficile à définir. Même si elle a maintenant été définie mathématiquement, ce qu’elle signifie pour les expériences, les corrélations et les choses que vous pouvez observer peut être très déroutant», confie Thomas Vidick. «En informatique, nous avons nos propres questions. Nous ne nous soucions pas des paradoxes, mais l’intrication fait-elle une différence? Cela change-t-il ce que nous pouvons vérifier? Peut-on calculer avec elle, communiquer avec elle, faire de la cryptographie avec elle? Je m’intéresse à cela pour le modèle lui-même, pas pour résoudre un problème spécifique.»

L’informatique quantique a-t-elle son moment ChatGPT?

L’engouement suscité par l’informatique quantique a commencé dans les années 1980 à la suite de deux découvertes majeures: le développement du premier algorithme quantique et la prise de conscience que le quantique n’est pas une question d’informatique, mais qu’il s’agit de la manière dont les données sont encodées et peuvent être exploitées pour une communication sécurisée. Pourtant, malgré les développements dans le domaine depuis lors, Thomas Vidick ne pense pas que l’informatique quantique ait encore son «moment ChatGPT».

«Cela fait beaucoup de bruit en ce moment, mais c’est un peu exagéré. Dans la pratique, il n’y a pas un seul problème intéressant qui ait été résolu par l’une de ces machines. Cela ne veut pas dire que je ne pense pas qu’elles le feront parce qu’il y a eu des progrès expérimentaux très impressionnants, mais pas encore. Je pense qu’il faudra une dizaine d’années avant que cela ne se produise.»

Et il compare la situation actuelle de l’informatique quantique à celle de l’apprentissage machine il y a plusieurs années, lorsqu’il y avait une forte impulsion théorique mais peu de choses se passaient dans la pratique.

«Au-delà de belles observations, nous ne faisions pas grand-chose avec l’apprentissage machine à l’époque, car nous n’avions pas d’ordinateurs suffisamment puissants. Puis, soudain, les machines le sont devenues et nous nous sommes rendu compte que l’apprentissage machine est vraiment incroyable, qu’il est capable de faire tant de choses dont nous n’avions aucune idée, que la théorie ne prévoyait pas. Je pense que c’est aussi le cas de l’informatique quantique.»

Faire avancer la théorie de l’information quantique à l’EPFL

À l’EPFL, Thomas Vidick se concentrera sur les questions de la théorie de la complexité liées à ce que l’on appelle les systèmes à plusieurs corps, qui se posent naturellement lorsque les physiciennes et physiciens modélisent certains types d’expériences ou de configurations où les particules sont disposées dans un treillis ou réseau. Il y a des forces qui agissent sur ces particules, comme l’attraction ou la répulsion.

«Vous modélisez cela et regardez l’état le plus stable de la configuration. C’est quelque chose qui intéresse les physiciennes et physiciens, car si elle a les bonnes propriétés, elle peut conduire à des matériaux intéressants comme les supraconducteurs. Je m’y intéresse du point de vue de la théorie de la complexité. Quel type d’intrication allez-vous observer? Peut-être que l’intrication a un schéma local. Si c’est le cas, pouvez-vous représenter l’état de ce système mathématiquement, d’une manière élégante, de sorte à pouvoir effectuer des calculs dessus?»

Thomas Vidick est également ravi de faire ces recherches à l’EPFL. Originaire de Belgique, il a obtenu son doctorat à Berkeley et a ensuite occupé des postes de professeur aux États-Unis au California Institute of Technology et en Israël au Weizmann Institute of Science.

«J’ai encore du mal à m’orienter à l’EPFL, mais je suis très heureux d’y être. Les gens sont extrêmement serviables et amicaux. Mon impression après quelques mois est que les étudiantes et étudiants ici ont un très haut niveau. La région est aussi très belle. Nous avons mis les enfants sur les skis et j’adore faire du vélo. Maintenant je vais à l’EPFL à vélo, c’est génial!»


Auteur: Tanya Petersen

Source: Informatique et Communications | IC

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