L'importance d'entrainer la prochaine génération de scientifiques

Stéphanie Lacour au Campus Biotech à Genève - 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Stéphanie Lacour au Campus Biotech à Genève - 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Stéphanie Lacour conçoit des électrodes souples interfaçables avec le système nerveux. Engagée pour la recherche et la formation des futurs ingénieurs, elle a lancé et dirige Neuro-X, un institut interécole à l’EPFL. Cette année, elle est titulaire de la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane Bettencourt au Collège de France.

La carrière d’ingénieure de Stéphanie Lacour est jalonnée d’étapes décisives, toujours négociées avec une perception lucide de ses propres intérêts, ainsi que le projet de conjuguer biologie et électronique. En 2002, à Princeton, elle découvre comment produire des couches d’or minces et étirables, pendant un premier postdoc au sein d’un laboratoire réputé pour ses travaux dans le domaine des écrans flexibles. En 2006, elle s’engage dans un second postdoc à Cambridge, pour approfondir sa compréhension du système nerveux et étudier la conception de l’«électrode idéale», à même de fonctionner en interface avec le corps humain. Elle rejoint l’EPFL en 2011 avant de devenir professeure ordinaire et titulaire de la chaire Bertarelli en technologie neuroprosthétique en 2016. Elle lance ensuite l’Institut interécole Neuro-X à l’EPFL, qu'elle dirige actuellement et qui promeut la recherche et la formation à l’interface des technologies et des neurosciences. Aujourd'hui, elle prononcera son discours inaugural au Collège de France, où elle est titulaire de la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane Bettencourt.

«C’est à la croisée des disciplines que je me sens le plus à l’aise, et c’est pour cela que l’ingénierie et les neurosciences m’ont attirée. C’est ainsi que j’envisage mon travail comme ingénieure en électricité, mais aussi la mission de l’Institut Neuro-X, explique Stéphanie Lacour. Une opportunité unique s’est fait jour, avec la convergence de notre compréhension du système nerveux et l’apparition de nouvelles technologies. Je pense qu’il est aujourd’hui judicieux d’appliquer une stratégie d’ingénierie pour résoudre des problèmes médicaux, et de former la prochaine génération de technologues à cette approche interdisciplinaire.»

Stéphanie Lacour a été récompensée à de multiples reprises tout au long de sa carrière. Elle a figuré parmi les «Top 35 Innovators under the age of 35» du MIT Technology Review en 2006; elle a reçu le Prix Zonta 2011; elle a été choisie comme WEF Young Scientist en 2014 et WEF Young Global Leader en 2015.

Musique, microélectronique et carrière universitaire

Stéphanie Lacour avoue n’avoir pas su — avant ses années universitaires — qu’elle allait devenir ingénieure dans le monde académique. Adolescente, elle voulait poursuivre une carrière de musicienne, comme flûtiste. Une option rapidement écartée par ses parents, un enseignant de maths et une spécialiste en ressources humaines, convaincus qu’il s’agissait d’une voie professionnelle difficile, et qu’elle pourrait toujours poursuivre la musique en tant que hobby.

Stéphanie Lacour s’est donc orientée vers des études d’ingénieur à l’INSA de Lyon, avec en tête l’idée de continuer la flûte et de se pencher sur l’acoustique, pour maintenir une connexion avec la musique.

«Pendant ces deux premières années, je me suis rendu compte que l’acoustique ne correspondait pas vraiment à mes aspirations. C’est là que j’ai découvert d’autres sujets en science, et que j’ai commencé à me diriger vers l’électronique, raconte Stéphanie Lacour. Alors que je me spécialisais dans ce domaine, j’ai réalisé que j’étais intéressée par la façon dont on manufacture les appareils et les circuits, plus que par la conception de circuits ou d’électronique de puissance.»

Pendant sa cinquième année à l’INSA, elle a concentré ses efforts sur la microfabrication. C’est également dans cette école qu’elle a réalisé sa volonté de poursuivre une carrière académique, à la fois pour les aspects d’enseignement et la liberté de se consacrer à des projets motivés par la simple curiosité.

Des électrodes en or étirables et les États-Unis

Stéphanie Lacour a poursuivi avec un doctorat à l’INSA, où elle étudiait des capteurs d’hydratation de la peau. Sa carrière en France était toute tracée, mais la sérendipité en avait décidé autrement avec la rencontre du professeur Sigurd Wagner de Princeton, pendant une conférence. Il l’a invitée à visiter son laboratoire, puis il lui a proposé une place de postdoc. L’équipe était spécialisée dans l’électronique à couche mince – à ce moment, les écrans étaient un sujet d’actualité brûlant. Non seulement Stéphanie Lacour s’est immergée dans un domaine totalement nouveau, mais elle a aussi plongé dans une autre manière de faire de la recherche, inspirée par la curiosité et des idées hétérodoxes.

C’est à Princeton qu’elle a fait la découverte cruciale des films métalliques étirables et de leurs applications dans des dispositifs souples. «J’explorais la conception d’électrodes qui puissent se conformer à des objets de courbure irrégulière. La première idée, c’était de déposer un métal sur un support polymère souple. J’ai commencé avec de l’or — un matériau ductile — et du silicone – un élastomère. A ma grande surprise, le métal pouvait s’évaporer sur le silicone, être conducteur d’électricité et conserver cette propriété en cas d’étirement! De nombreuses expériences systématiques ont suivi pour reproduire, comprendre et exploiter les métaux étirables».

Désireuse de faire le lien entre ses électrodes étirables et la biologie, elle s’est lancée dans un second postdoc au Royaume-Uni, à Cambridge, cette fois-ci sous la direction du professeur James Fawcett – un neuroscientifique spécialisé dans la régénération des axones après des lésions du système nerveux. Titulaire d’une bourse de la Royal Society, elle a pu devenir une chercheuse indépendante et créer son propre groupe. Dans le même temps, elle jouait encore de la flûte – et de souligner cette «occasion unique de jouer du baroque dans les chapelles des collèges de Cambridge».

A l’EPFL depuis 2011, elle continue d’innover et de mettre en place un environnement fertile pour les approches interdisciplinaire, entre électronique, matériaux et sciences de la vie – à travers l’enseignement et la recherche.

Un électrode étirable developpé dans le laboratoire de Stéphanie Lacour. - 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Le rôle des mentors et du mentorat en général

Stéphanie Lacour exprime sa gratitude envers ses anciens superviseurs. «J’ai eu de magnifiques mentors. Mon directeur de thèse soutenait mon travail et ma participation aux conférences. Sigurd m’a mise en contact avec tant de personnes, il m’a encouragée à me rendre à des colloques, à être curieuse à propos de domaines scientifiques étrangers à ma formation initiale. Travailler aux Etats-Unis m’a vraiment ouvert les yeux sur la manière dont on peut diriger la recherche. Avec ses conseils, j’ai pu m’exprimer à de nombreuses reprises dans des conférences, y compris sur l’or étirable. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré un professeur de Columbia qui, de manière un peu similaire, étirait des neurones. C’est ainsi que je me suis intéressée aux neurosciences. A Cambridge, James m’a appris l’importance de la recherche translationnelle et clinique. Il m’a fait bénéficier de ses perspectives uniques pour comprendre le système nerveux. Tous mes superviseurs se préoccupaient sincèrement de la formation des membres de leur laboratoire, ils partageaient avec nous leurs contacts. Aujourd’hui encore, je m’appuie sur le réseau que j’ai construit pendant mes postdocs.»

«Entraîner la prochaine génération d’ingénieurs et de scientifiques, c’est quelque chose d’important pour moi, conclut Stéphanie Lacour. Comme professeur enseignant aux niveaux bachelor et master, on s’adresse à de nombreux étudiantes et étudiants, et on espère pouvoir les inspirer. Au laboratoire, il y a également plus de mentorat sur mesure, les discussions en privé s’enchaînent au fil des années avec les doctorants et les postdocs. Au-delà du soutien que peut fournir l’environnement, comme c’est le cas ici à l’EPFL, les mentors sont cruciaux. Ils sont vraiment ceux qui transmettent les ficelles du métier. J’espère être à la hauteur de mes anciens mentors».

Et oui, elle continue de jouer de la flûte.

Stéphanie Lacour tient un électrode étirable developpé dans son laboratoire. - 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Collège de France Série de Lectures

La série comprend huit leçons, un colloque et la conférence inaugurale, qui aura lieu le jeudi 29 février (également diffusée en ligne) à 18h00 CET. La première leçon aura lieu dès le lendemain, le 1er mars, avec une revue du système nerveux, envisagé du point de vue technologique. Stéphanie Lacour mettra en parallèle l’anatomie des connections neuronales et les échelles auxquelles la technologie peut intéragir avec le vivant. L’ensemble du cursus est conçu pour démystifier le lien entre technologie et neurosciences et rendre la neurotechnologie de pointe accessible non pas seulement aux spécialistes mais à tous ceux intéressés par ce domaine. Cet enseignement vise à enseigner en français la recherche en train de se faire, et les leçons seront mises en ligne sur le site du Collège de France.

Auteur: Hillary Sanctuary

Source: Éducation

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