L'imagerie à haute-résolution révèle une toxine bactérienne

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Beaucoup de bactéries se servent de toxines spécialisées pour attaquer et infecter d'autres cellules. Des scientifiques de l'EPFL et de l'Université de Berne viennent de modéliser une des plus importantes de ces toxines, avec une résolution jamais atteinte jusqu'ici. Ils ont ainsi découvert, pas-à-pas, la manière dont elle agit.

Pour infecter d'autres cellules, de nombreuses bactéries sécrètent un type de toxine qui perfore la membrane de la cellule-cible et crée un pore; il en résulte la mort de la cellule. Ces «toxines porogènes» partagent des caractéristiques structurelles qui sont fortement liées à leur mode de fonctionnement. Une toxine porogène importante est l'aérolysine, qu'utilise la bactérie qui provoque la gastro-entérite humaine, les infections de blessures profondes, et la septicémie. Au moyen de techniques microscopiques de pointe, des scientifiques de l'EPFL et de l'Université de Berne ont créé le modèle structurel de l'aérolysine le plus détaillé, montrant par étapes comment elle pénètre une cellule. Ce travail est publié dans Nature Communications.

Les toxines porogènes (TP) sont des protéines qui sont sécrétées par la bactérie sur la cellule-cible, par exemple l'intestin d'un humain. Une fois sécrétée, la TP se fixe sur la membrane de la cellule et commence à former une structure en forme de tube, et pénètre à travers celle-ci – c'est le pore. Sa membrane étant perforée par de multiples TP, la cellule ne peut plus maintenir sa pression intérieure ni son équilibre chimique avec l'environnement extérieur, et elle s'autodétruit.

Pendant des décennies, les microbiologistes et les biologistes structuraux ont concentré leur attention sur la TP afin de trouver des stratégies à leur opposer. Cependant, cela exige une compréhension détaillée des TP, ce qui, jusqu'ici, s'est avéré difficile à atteindre en raison des limites des technologies microscopiques.

Au moyen d'une nouvelle technologie de pointe, le laboratoire de Gisou van der Goot à l'EPFL et le laboratoire de Benoît Zuber à l'Université de Berne ont réussi à produire le modèle le plus détaillé d'une toxine porogène nommée aérolysine. L'aérolysine est produite par la bactérie Aeromonas hydrophila, elle est «membre fondateur» d'une grande famille de TP que l'on retrouve dans tout le spectre des organismes vivants. La bactérie elle-même infecte les humains, provoquant la gastro-entérite, les infections de blessures profondes, et la septicémie.

Les scientifiques ont profité d'une forme de photographie récemment développée nommée «détection directe d'électrons». Cette technique peut former des images à partir d'électrons provenant d'un échantillon, ce qui offre une résolution jamais atteinte.

L'équipe a pu visualiser des molécules d'aérolysine en combinant la détection directe d'électrons et la microscopie cryo-électronique. Ce type de microscopie peut observer des molécules biologiques dans leur état naturel et leur configuration, ce qui offre une information précise et une haute résolution. De fait, les scientifiques ont pu visualiser de l'aérolysine avec une résolution de 3.9-4.5 Å (0.39-0.45mm), ce qui est virtuellement à l'échelle des atomes individuels.

Mais, plus important, la méthode de visualisation a pu voir l'aérolysine à l'oeuvre, en la capturant à la manière d'un time-lapse, en accéléré. Lorsque l'aérolysine attaque une cellule, elle est sécrétée en tant que molécule unique par la bactérie. En formant un pore à travers la membrane de sa cellule-cible, elle subit trois changement structurels distincts, des états appelés «prépore», «post-prépore», et «quasi-pore».

La nouvelle méthode a été capable de prendre des instantanés à haute-résolution de chaque état, révélant des informations inaccessibles précédemment sur le lien entre sa structure et sa fonction. Par exemple, lorsque l'aérolysine pénètre la cellule-cible, elle forme ce que les biologistes structurels appellent un «cylindre-beta», une structure rigide qui permet à l'aérolysine de se river sur la cellule-cible et de percer un trou à travers sa membrane, comme un piston.

«Ce que nous avons trouvé ici peut très vraisemblablement s'appliquer à la famille entière de l'aérolysine, à d'autres TP, et peut-être même à des protéines de type prion», dit Gisou van der Groot, dont le groupe a travaillé sur l'aérolysine pendant des années sous l'égide de Ioan Iacovache. Iacovache est actuellement au laboratoire de Benoît Zuber à l'Université de Berne, où certaines des images de l'aérolysine ont été prises et traitées.

Ces découvertes peuvent s'avérer cruciales dans les efforts en cours pour combattre la résistance aux antibiotiques, en fournissant l'information nécessaire au développement de nouveau médicaments.

Ce travail résulte de la collaboration entre le Global Health Institute de l'EPFL et l'Université de Berne (Laboratory of Experimental Morphology), avec des contributions de la FEI Company (Pays-Bas), de l'Institut de bioengineering de l'EPFL, de l'Universidade Federal de Rio de Janeiro, et du Swiss Institute of Bioinformatics. Il a été financé par le Fonds National Suisse, le Conselho Nacional de Desenvolvimento Cientifico e Tecnólogico du Brésil.

Référence

Iacovache I, De Carlo S, Cirauqui N, Dal Peraro M, van der Goot FG, Zuber B. Cryo-EM structure of aerolysin variants reveals a novel protein fold and the pore formation process. Nature Communications 13 July 2016. DOI: 10.1038/NCOMMS12062