L'homme qui murmure à l'oreille des plantes du campus

Guillaume Rueff. 2024 EPFL/Niels Ackermann/Lundi13 - CC-BY-SA 4.0

Guillaume Rueff. 2024 EPFL/Niels Ackermann/Lundi13 - CC-BY-SA 4.0

Chef de projet «engagement communautaire» à l’EPFL, Guillaume Rueff organise des balades sur les plantes sauvages comestibles du campus. L’occasion selon lui de «rappeler aux gens que le vivant existe et que l’humain en fait partie.»

Faire un tour sur le campus avec Guillaume Rueff, c’est comme ouvrir une encyclopédie cachée dans un vieux recueil de poésie. Au bout de quelques pas seulement, il s’arrêtera et tout ce que vous aviez pris pour de vulgaires mauvaises herbes se transformera en plantes aromatiques ou légumes vitaminés, membres de vastes familles à l’étymologie savante. Après avoir détaillé pendant un quart d’heure la flore de ces quelques mètres de talus, il reprendra son chemin et fera juste un peu plus loin une nouvelle halte auprès de buissons épineux dont il vous racontera les vertus ou les dangers, les mythes et la chimie.

Chaque semaine, le presque trentenaire emmène ainsi un petit groupe de volontaires à la découverte des plantes sauvages comestibles du campus. «Comme on est en milieu urbain et que les sols et l’air sont très pollués, je déconseille de les consommer. Si on mangeait tous les jours des plantes ramassées ici, on aurait la même mauvaise santé que le milieu urbain.»

«Au fur et à mesure de la balade, je montre des plantes qui sont ambivalentes, qui peuvent être plus ou moins toxiques selon qu’elles sont consommées crues ou cuites, ou qui peuvent devenir toxiques si elles sont mal séchées», explique Guillaume Rueff. Il aborde aussi les parasitoses et les zoonoses, «même s’il y a moins de risque de mourir de l’échinococcose que d’être renversé par une voiture».

Pour lui, «tant qu’il y a une plante qui pousse entre deux dalles, il y a quelque chose à exprimer». Son objectif, c’est de reconnecter les personnes au vivant.

Peut-être que les gens feraient plus attention à leur milieu de vie s’ils savaient ce qu’il y a dedans.

Guillaume Rueff, chef de projet engagement communautaire

Incorporer la connaissance

Lui-même profite de chaque excursion en montagne pour glaner quelques espèces, «jamais plus de trois à la fois quand je ne les connais pas encore, comme ça on peut bien prendre le temps d’incorporer la connaissance de chacune. Ensuite c’est aussi un peu pour l’amusement de cueillir et de manger. En apprenant on découvre qu’il y a un peu tout qui se mange.»

Cet apprentissage passe aussi par les sens: la vue bien sûr, pour reconnaître les formes et les couleurs, mais aussi le toucher, l’odorat et le goût. Il faut le voir caresser les dessous d’une feuille pour la distinguer d’une cousine, ou casser une tige sous son nez pour en extraire l’arôme avant qu’il ne se sauve.

Sauge
Sauge. 2024 EPFL/Niels Ackermann/Lundi13 - CC-BY-SA 4.0

Aux personnes qui l’accompagnent, il explique les règles éthiques: «S’il y a moins d’une quinzaine de plants dans un endroit, il ne faut rien prendre car cela ne va pas se refaire l’année suivante. S’il y en a plus, on prend maximum dix pourcents, et seulement ce que l’on peut manger le jour-même pour éviter le gaspillage. Comme ça tu ne détruis pas la flore.» Il est également attentif à la saison: pendant la floraison, éviter de cueillir les fleurs «pour ne pas taper dans le garde-manger des insectes butineurs», ce qui empêcherait les fruits de se former.

Tisser des liens

Dans ses fonctions à la Vice-présidence pour la transformation responsable, Guillaume Rueff est notamment chargé de traiter les demandes de subvention émanant des associations qui s’engagent pour plus de durabilité ou de diversité dans leurs projets. Vous le trouverez cependant rarement assis à un bureau. Il aime surtout tisser des liens en se rendant sur le terrain. Et si possible, au grand air.

«J’ai fait mes études ici en durabilité, et je me suis rendu compte après coup que je ne connaissais rien du vivant, donc par définition mes connaissances n’étaient pas durables du tout. Cela m’a fait penser au sens de ces études. Tant qu’on ne connait pas le vivant et qu’on ne comprend pas comment on s’insère dedans, on ne peut pas avoir une manière durable de voir le monde, puisqu’on dépend de notre condition vivante.»

Ancien étudiant en génie civil et titulaire d’un master en durabilité, il a commencé par suivre un parcours assez stéréotypé, comme il dit, en cofondant une start-up. Puis divers événements l’ont fait dévier de cette route toute tracée: le COVID, qui a envoyé plusieurs projets de son entreprise «à la poubelle»; son service civil, qui lui a ouvert les portes du domaine social, dans lequel il a ensuite travaillé comme éducateur auprès de jeunes en difficulté; et un grave accident de grimpe, qui l’a immobilisé pendant plusieurs mois.

«Avant mon accident, j’avais commencé à apprendre les plantes en autodidacte à travers des livres. Puis on m’a annoncé que je ne remarcherais peut-être pas. Alors je me suis dit que ça ne me servirait plus à rien d’apprendre les plantes si je ne peux plus aller marcher pour les voir.» Après une très longue convalescence, il a pourtant fini par retrouver peu à peu ses facultés physiques. Il suit maintenant depuis un an une formation continue en ligne pour approfondir sa passion des plantes, avec plusieurs heures de lecture chaque semaine en parallèle de ses explorations dans la nature.

Aubépine
Aubépine. 2024 EPFL/Niels Ackermann / Lundi13 - CC-BY-SA 4.0

«J’aime bien trouver des références. Il y a encore peu d’études sur l’usage comestible des plantes, c’est un domaine peu reconnu car la chimie organique de l’alimentation humaine n’est pas développée. Il y a plein d’infos marketing détox qui ne veulent pas dire grand-chose du point de vue biologique, et aussi des usages traditionnels invalidés qui sont toujours présentés par certains spécialistes, alors qu’ils peuvent par exemple causer des crises hépatiques s’ils sont ingérés en grande quantité. Mais la connaissance progresse, et je pense que le nombre d’études va aller croissant avec le temps.»

Un ravin entre la tech et le vivant

De retour à l’EPFL dans un rôle très différent de celui d’étudiant, où il peut mettre à profit tant sa connaissance de l’école et sa formation de base que son parcours d’éducateur, Guillaume Rueff trouve du sens à y greffer aussi ce qui est devenu beaucoup plus qu’un hobby: «L’EPFL est une école tech, sous-entendu high tech, et pour moi il y a un énorme ravin entre le vivant et la tech. Si on pense qu’on peut résoudre les crises environnementales ou sociales avec uniquement des technologies, on se trompe.»

La tech a amené des progrès en matière de santé humaine, mais c’est aussi une des grandes raisons du dépassement des limites planétaires que l’on vit aujourd’hui.

Guillaume Rueff, chef de projet engagement communautaire

«Ces balades pour les plantes, ça peut paraître juste bucolique ou un peu simplet, mais il y a un tel chemin à faire qu’il faut déjà commencer par la première marche. Pour moi, c’est de rappeler aux gens que le vivant existe et que l’humain en fait partie. En fait l’humain est dépendant du vivant et c’est lui-même qui se met en péril en l’ignorant, alors que le vivant n’est pas du tout dépendant de l’être humain. Il a déjà survécu à des tonnes d’extinctions de masse.»

Guillaume Rueff
Guillaume Rueff. 2024 EPFL/Niels Ackermann / Lundi13 - CC-BY-SA 4.0

C’est ainsi que sa fascination pour le monde végétal entre en symbiose avec son rôle de facilitateur de projets en faveur de la durabilité: «Si on veut un changement sociétal, il faut un changement de valeurs et un changement de fonctionnement.» Graine par graine, marche après marche, Guillaume Rueff trace un sillon.


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: People