L'histoire du climat rectifiée par un infime phénomène biologique ?

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Une découverte sur la croissance de minuscules organismes marins permet de mieux interpréter le climat passé et présent.

Depuis des centaines de milliers d’années, s’accumulent au fond de l’océan les minuscules coquilles d’organismes marins unicellulaires, les foraminifères. Elles contiennent des indices quant aux eaux qui leur servent d’habitat. Une récente collaboration entre l’EPFL et l’Alfred Wegener Institute permet de mieux expliquer comment ces protozoaires absorbent les éléments environnants pour construire leur coquille. Véritables témoins de l’histoire du climat planétaire, ces sédiments peuvent désormais être interprétés avec plus d’exactitude. Les résultats de cette recherche ont été publiés en octobre par Biogeosciences. Le 22 novembre, Science lui a consacré un highlight.

Les historiens du climat se basent souvent sur des preuves indirectes, comme des carottes de glace ou sédiments. La composition des coquilles des foraminifères, notamment, leur permet de reconstruire un calendrier des températures, et d’analyser la couverture glaciaire de la planète. Or, comme l’explique Anders Meibom, coauteur de l’étude, les sédiments formés par ces êtres vivants sont plus difficiles à lire que les sédiments inorganiques - précisément parce qu’ils résultent de processus biologiques complexes.

Bien davantage qu’un transport passif
Les foraminifères construisent leur coquille en utilisant le calcium, le carbone et l’oxygène présents dans l’eau de mer. Jusqu’ici, les scientifiques pensaient que ces microorganismes avaient recours à de minuscules «bulles de transport» - ou vacuoles - pour absorber le liquide. On supposait que le carbonate de calcium cristallisait à partir de l’eau pour ériger la coquille.

Pourtant, ces mêmes chercheurs sont longtemps restés perplexes devant les faibles taux de magnésium mesurés dans les coquilles. L’eau de mer en contenant cinq fois plus que de calcium, les foraminifères auraient dû présenter des densités élevées de magnésium si les minéraux entraient effectivement via ces seules vacuoles…

Des pompes moléculaires pour sélectionner le calcium
Ces derniers travaux stipulent que le calcium n’est pas emmené par les vacuoles, mais capté par le transport transmembranaire, qui bloque le magnésium. Les infimes quantités de magnésium décelées dans les coquilles montreraient que ces mécanismes fonctionnent en tandem. Non sélectives, les vacuoles se chargent du magnésium.

En se basant sur le ratio calcium-magnésium des eaux environnantes, les chercheurs ont ainsi pu développer un modèle capable de prévoir les proportions de ces deux éléments dans les coquilles de foraminifères. « Nous avons testé nos prédictions avec des données obtenues en aquarium, et les correspondances obtenues étaient quasi parfaites, » explique Anders Meibom. Selon l’auteur principal de l’article Gernot Nehrkede, de l’Institut Alfred Wegener, ce modèle est le premier à pouvoir prédire la composition des coquilles de foraminifères sans utiliser les théories non confirmées de retrait de magnésium.

Au-delà des champs glaciaires
«Ces microorganismes peuvent nous donner toutes sortes d’informations sur le climat, mais ils ont jusqu’ici été utilisés comme de simples boîtes noires. Grâce à cette recherche, nous commençons à saisir comment ces organismes se développent au niveau subcellulaire, ce qui nous permet de mieux appréhender la précision comme les limites de cette manière de reconstituer le passé», explique Anders Meibom.