«L'EPFL poursuit sa progression stupéfiante»

© 2020 EPFL

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Thomas Weber, professeur au Collège du management de la technologie (CDM), travaille à l’EPFL depuis neuf ans. Il nous parle des différentes étapes de sa carrière scientifique, à la croisée entre ingénierie, opérations, économie et stratégie.

Pouvez-vous vous décrire en quelques mots?

Je suis né en Sarre, un petit Land dans le sud-ouest de l’Allemagne, et j’ai commencé mes études en 1989 en génie électrique et en mathématiques à l’université RWTH d’Aix-la-Chapelle. Environ 800 étudiants assistaient aux cours. Cherchant à échapper à ces auditoires bondés, j’ai aussi fait des études dans une petite école d’ingénieurs en France. En 1995, j’ai donc obtenu un diplôme d’ingénieur des arts et manufactures à l’Ecole centrale de Paris, et d’ingénieur à la RWTH d’Aix-la-Chapelle, ayant passé une année entre deux à l’Imperial College London pour écrire mon mémoire sur un sujet en théorie du contrôle. J’ai ensuite poursuivi mes études au MIT pour obtenir un diplôme d’études supérieures en génie électrique, en informatique et en technologie et politique. C’est là que mon centre d’intérêt est passé de l’ingénierie à l’économie. Travailler au Boston Consulting Group (BCG) à Munich m’a aidé dans cette réorientation, et le BCG a bien voulu parrainer mon doctorat à la Wharton School, après lequel j’ai commencé à enseigner en 2003 dans le groupe d’économie et de finance du département de sciences de la gestion et ingénierie à l’université de Stanford. Lorsque l’occasion s’est présentée de rejoindre l’EPFL en 2011, j’avais hâte de revenir en Europe, bien plus près de mes proches et de ma maison, après plus d’une décennie passée aux Etats-Unis. A l’EPFL, je travaille à la croisée entre opérations, économie et stratégie.

Voilà bientôt neuf ans que vous êtes à l’EPFL. Comment votre vision de cette institution a-t-elle évolué?

En arrivant à l’EPFL, j’ai été directement «jeté à l’eau» quand on m’a confié la direction de l’Institut de management de la technologie et entrepreneuriat (MTEI) au Collège du management de la technologie (CDM). A l’époque, il n’y avait qu’un directeur ad interim au Collège, ce qui fait que j’ai souvent dû m’adresser directement à la présidence. C’était à la fois intéressant et exigeant, et ça m’a entraîné pour traiter des questions administratives complexes. L’EPFL poursuit sa progression stupéfiante pour devenir une institution véritablement leader au niveau mondial. Je suis curieux de voir comment elle va évoluer et j’espère que le sens profond d’humanité et de générosité qui règne dans cette institution pour encourager la diversité dans les travaux universitaires demeurera intact dans les années à venir. En tant que directeur du programme de doctorat en management de la technologie (EDMT), j’ai la chance de pouvoir interagir avec la prochaine génération de chercheurs, qui constituent vraiment le pivot de nos recherches au CDM. Revenant un peu à mes racines en ingénierie, je me réjouis aussi de voir ce que donneront divers efforts transversaux, avec la conception d’un cours commun avec la faculté Sciences et Techniques de l’Ingénieur (STI) de l’EPFL, ainsi que dans le cadre général du Mineur interdisciplinaire en Systems Engineering, que je dirige depuis 2017.

Vous vous définissez comme un scientifique à la croisée entre opérations, économie et stratégie. Qu’est-ce que ça signifie?

Ces trois domaines sont en lien avec les systèmes et leur contrôle. Au niveau inférieur, les opérations concernent l’optimisation d’un flux de travail et, de manière plus générale, la sélection d’entrées pour qu’un système se comporte de façon optimale en vue de maximiser certains aspects fonctionnels de ses résultats. L’économie porte sur l’interaction stratégique entre ces systèmes et la conception de mécanismes qui régissent ces jeux, qui peuvent eux-mêmes être vus comme des systèmes. Enfin, au niveau de la stratégie, il s’agit de trouver des règles pour faire correspondre des états naturels identifiables à des actions réalisables. Je me suis intéressé à l’interaction entre ces types de problèmes décisionnels en présence d’incertitude sur une période prolongée, ce qui mène à un programme de recherche plutôt diversifié, qui va de l’optimisation à l’économie de partage et à l’environnement en passant par la théorie des jeux.

Quel est votre projet de recherche phare et en quoi est-il important?

Les recouvrements optimaux de crédit constituent un projet intéressant sur lequel j’ai travaillé pendant plus d’une décennie. La première étape consiste à évaluer une procédure de remboursement stochastique à partir d’observations du comportement des débiteurs en matière de remboursement, sur la base de différentes sources de données. Pour la deuxième étape, il s’agit de trouver une stratégie de recouvrement pour faire correspondre l’état d’un prêt en difficulté à des actions, afin de maximiser le rendement attendu d’un portefeuille. Ce problème est intéressant pour plusieurs raisons. Il présente les caractéristiques hiérarchiques des opérations, de l’économie et de la stratégie expliquées plus haut. Il comporte également beaucoup de défis techniques fondés sur la théorie sous-jacente des processus ponctuels autoexcités et cross-excités, avec des connaissances acquises via nos recherches qui peuvent être appliquées dans d’autres contextes, par exemple pour comprendre le comportement de leader/suiveur sur les marchés de cryptomonnaie. Avec le soutien d’une bourse du Fonds national suisse de la recherche scientifique, nous examinons le problème sous différents angles comme l’analyse mathématique, l’analytique, l’apprentissage automatique et les implications réglementaires. 

Pouvez-vous décrire à quoi ressemble pour vous une journée ordinaire pendant le semestre et l’intersemestre?

En temps normal, quand il n’y a pas de crise sanitaire, ma journée ordinaire à l’EPFL peut être consacrée à l’enseignement ou à la recherche. Lors d’une journée d’enseignement, je prépare mon cours, je le donne et je fais des heures de bureau plus tard dans l’après-midi. J’ai souvent d’autres rendez-vous avant et après, par exemple pour des projets ou des mémoires. Lors d’une journée de recherche, je rencontre des gens de mon groupe, je travaille moi-même sur des idées et des articles et j’ai aussi des discussions avec des collègues du monde entier. Pendant l’intersemestre, je voyage pour assister à des conférences, j’effectue des recherches plus larges ou je prépare un nouveau cours. C’est une période nécessaire pour respirer un peu et refaire le plein d’énergie pour le semestre suivant.

Hormis la recherche, avez-vous une autre passion ou un autre intérêt?

A l’EPFL, j’ai redécouvert le judo, un sport que j’avais déjà pratiqué pendant dix ans dans ma jeunesse. C’est une activité très physique qui me permet de trouver l’équilibre parfait par rapport au quotidien de chercheur plutôt sédentaire. Soit dit en passant, le principe du judo, à savoir de maximiser l’effet avec un minimum d’effort, est dans l’idée assez proche de mes intérêts de recherche. A part ça, j’ai aussi commencé la basse il y a six ans à l’Ecole de Jazz et de Musique Actuelle (EJMA) à Lausanne. C’est un environnement stimulant pour développer ses compétences musicales et s’entraîner à jouer avec d’autres musiciens.


Auteur: Alexandra von Schack

Source: People