«L'enseignement me permet de rester étudiant»
Jean-Philippe Brantut débarque chaque semaine au laboratoire avec une nouvelle idée. À ses étudiantes et étudiants, l'enseignant tente d’inculquer exactement le contraire: se pencher en profondeur sur un seul problème plutôt que de papillonner.
«Les étudiantes et les étudiants de l’EPFL aiment le challenge, apprendre des choses difficiles», constate Jean-Philippe Brantut. «Si un cours leur donne mal à la tête, c’est plutôt bon signe», plaisante celui qui a été désigné meilleur enseignant 2023 de la section de physique. «Cela tombe bien, j’enseigne une matière particulièrement difficile!» Il semble d’ailleurs que le professeur associé au Laboratoire des gaz quantiques (LQG) ait un certain talent pour la vulgarisation. «Les cours durant desquels je tente d’expliquer une matière complexe sont généralement ceux qui obtiennent la meilleure évaluation.»
Dans ces conditions, on s’imagine volontiers que Jean-Philippe Brantut est tombé dans la marmite de la physique lorsqu’il était petit. Pas si vite! Il a fallu attendre ses études d’ingénieur à CentraleSupélec, qui comprenaient «un peu de physique», pour qu’il se prenne de passion pour cette matière. Ni une ni deux, il s’inscrit parallèlement dans une université dispensant des cours de physique le soir.
Quelques années plus tard, au moment de choisir son sujet de thèse, le jeune homme assiste, médusé, à une présentation donnée par Alain Aspect, futur lauréat d’un Nobel (en 2022) pour ses travaux sur la physique quantique. «Je l’ai contacté dans la foulée et il a accepté de m’intégrer dans son groupe de recherche.» Au fil des quinze ans qui ont suivi, Jean-Philippe Brantut s’est fait sa propre place de choix dans le monde de la recherche. Ses travaux sur les gaz d’atomes froids et les simulations quantiques – au moyen de dispositifs expérimentaux innovants – l’ont placé à la pointe de la recherche en physique des atomes ultra-froids dans des cavités optiques.
Ce que je dis plutôt que ce que je fais
À la tête du LQG depuis septembre 2016, le physicien estime qu’évoluer au sein de l’EPFL «constitue un immense privilège pour un chercheur, tant au niveau de la liberté accordée que du budget à disposition». La seule contrainte est celle de l’enseignement. «Autant le faire bien!» Cette affirmation, le lauréat du Prix Latsis universitaire 2023 ne la prend pas à la légère. «J’estime que je dois à chaque étudiant qui rate ses examens de pouvoir le regarder dans les yeux et me dire que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui.» Jean-Philippe Brantut va plus loin. «Lorsqu’on fait de la recherche, parfois on réussit, parfois on échoue; l’enseignement, lui, est toujours gratifiant, même lorsqu’on commet des erreurs.»
Adepte du bon vieux précepte selon lequel les meilleurs cours sont ceux auxquels on aurait soi-même aimé assister en tant qu’étudiant, le professeur associé a opté pour «une combinaison entre méthode ‘old school’ et support moderne». Concrètement, «je reproduis le tableau noir de façon numérique, afin que les étudiants puissent se concentrer sur la matière sans avoir à se soucier de prendre des notes». Il réalise en outre des vidéos qu’il fait parvenir en amont à son auditoire en guise de préparation. «Durant le cours, il est ainsi possible de zoomer sur un aspect, de se concentrer sur l’essentiel.» C’est justement là le cœur de la philosophie d’enseignement de Jean-Philippe Brantut: «A mon avis, il est plus utile pour les étudiants d’aller au fond des choses, de se pencher longtemps sur un même problème, que de papillonner.»
Le physicien conclut en riant que ce qu’il demande à ses étudiants, «c’est de faire ce que je dis plutôt que ce que je fais, du moins en tant que chercheur». En effet, «je suis plutôt du genre à débarquer chaque lundi matin au laboratoire avec une nouvelle idée». Il l’admet volontiers: «Me concentrer sur une seule chose n’est pas dans mon caractère.»
Deuxième révolution quantique
Pour Jean-Philippe Brantut, l’intérêt principal de sa casquette d’enseignant réside d’une part dans la contribution à l’effort collectif pour préparer la prochaine génération d’ingénieurs à la deuxième révolution quantique. Pour ce faire, il n’a eu de cesse ces dernières années de s’engager en faveur de changements importants quant aux objectifs, à la méthodologie et au cursus dans le domaine de la physique.
D’autre part, «l’enseignement me permet de mettre le doigt sur mes propres lacunes en tant que chercheur et de m’évertuer à les combler». Il rapporte que ce n’est que lorsqu’il a commencé à donner des cours qu’il a pris l’ampleur «de tout ce que je ne comprends pas, alors que je suis chercheur en physique atomique depuis plus de quinze ans». Le professeur associé réfléchit un instant, avant d’ajouter avec un sourire malicieux: «Au fond, l’enseignement me permet de rester étudiant… et d’être payé pour cela!»