«L'atmosphère de l'Arctique est une clé pour comprendre le climat»
Cet été, l’expédition GLACE fera le tour complet du Groenland dans le but d’étudier les effets du changement climatique dans la région arctique. Quinze projets scientifiques ont été sélectionnés, dont un mené par Athanasios Nenes, spécialiste des processus atmosphériques à l’EPFL.
Recul de la banquise, modification de la végétation, diminution de la biodiversité, pollution au plastique, processus atmosphériques altérés… Les quelque quarante chercheurs internationaux qui prendront part à l’expédition GLACE cet été aborderont une vaste palette de sujets touchant au changement climatique. Organisée par le Swiss Polar Institute (SPI) et la Fondation polaire suisse, cette aventure scientifique aura lieu sur deux mois entre juillet et septembre 2019. Elle fera le tour complet et dans le sens des aiguilles d’une montre du Groenland (lire encadré ci-dessous).
Quinze projets de recherche ont été sélectionnés pour être menés durant l’expédition, dont l’un de l’EPFL. Son but est d’étudier comment les particules atmosphériques influencent l’environnement de l’Arctique. Son responsable, Athanasios Nenes, professeur au Laboratoire des processus atmosphériques et de leurs impacts (LAPI), nous l’explique.
- De quoi l’atmosphère de l’Arctique est-il fait ?
L’Arctique est un environnement vraiment unique. C’est l’une des régions les plus sensibles aux évolutions climatiques. Le réchauffement, qui est deux fois plus rapide là-bas que dans le reste du monde, est initié par un système d’interactions complexes entre la glace, l’atmosphère, la biosphère et l’océan. Nous pensons que les particules aériennes - aussi appelées aérosols - y jouent un rôle significatif. Mais la manière exacte dont elles interagissent avec l’atmosphère et le climat reste largement méconnue.
- Qu’allez-vous étudier plus précisément durant l’expédition ?
Nous allons collecter différents échantillons atmosphériques en mer et sur terre. Avec ce matériel, nous espérons pouvoir déterminer l’origine des particules présentes en Arctique: viennent-elles de feux de forêt, de sources biologiques ou d’activités humaines? Nous étudierons ensuite comment elles influencent le climat local. Pour cela, nous rechercherons plus particulièrement un type de molécules, qui restent plus sombre que d’autres et tendent donc à absorber davantage de lumière, ceci sur de longues périodes et même lorsqu’elles se sont déposées sur la glace, dont elles accélèrent la fonte.
- Les particules jouent donc un rôle particulièrement important en Arctique ?
Oui, surtout parce qu’elles ont des rôles multiples. Il y a des aérosols qui contribuent au réchauffement et d’autres qui, en reflétant la lumière du soleil, tendent au contraire à refroidir le climat. Certains sont aussi porteurs de métaux tels que fer ou cuivre qui, lorsqu’ils atterrissent dans l’océan, deviennent de précieux nutriments pour les organismes qui y vivent. Pour sa croissance, le phytoplancton, par exemple, utilise le fer fourni par l’atmosphère, qui a alors une fonction de fertiliseur. Or, ces micro-algues sont essentielles à la mécanique climatique: à la base même de la chaîne alimentaire, elles absorbent par la photosynthèse de grandes quantités de CO2. Enfin, nous allons également voir s’il y a, dans l’air, d’importantes quantités de particules biologiques - telles que bactéries, virus ou débris d’activité biologique émis de l’océan ou de la terre ferme. Certaines d’entre elles peuvent générer très rapidement de la glace au sein des nuages. Elles ont donc potentiellement une forte influence sur les précipitations et la couverture nuageuse. Or, en Arctique, les moindres modifications du rayonnement solaire atteignant le sol ont vite de gros impacts sur la glace et le climat local.
- Étudier ces particules permet-il de mieux comprendre le réchauffement global ?
L’environnement arctique est un système complexe et en évolution rapide, et les aérosols sont en tous cas un élément clé pour le comprendre. Mais les étudier est un vrai défi, en raison de leur grande variété d’effets, et du fait que chacun est extrêmement subtile mais continu, ne rendant leur action sur l’environnement visible qu’à l’échelle de plusieurs décennies. Aller sur place pour étudier et caractériser avec précision les origines, propriétés et fonctions de ces particules est donc essentiel pour comprendre les changements en cours et prédire ceux à venir, aussi bien dans la région et que dans le reste du monde.
Quarante scientifiques autour du Groenland
L’expédition GLACE - Greenland Circumnavigation Expedition - fera le tour complet du Groenland entre le 30 juillet et le 29 septembre 2019. Organisée par le Swiss Polar Institute (SPI), basé à l’EPFL, et soutenue par la Swiss Polar Foundation, cette initiative représente une occasion unique d’étudier cette région, où les effets du réchauffement climatique se sont faits de plus en plus tangibles ces dernières décennies. Cette nouvelle aventure est la deuxième après l’expédition ACE, qui s’était tenue en 2017 en Antarctique.
Sélectionnés par un panel international d’experts, quinze projets de recherche seront menés durant l’expédition - dont six sous la direction de chercheurs suisses - dans des domaines aussi variés que l’océanographie, les sciences atmosphériques, la biologie, la glaciologie ou les cycles chimiques. Quarante-quatre scientifiques y participeront. Le voyage se déroulera, tout comme l’expédition ACE, à bord du vaisseau russe Akademik Tchernikov. Il sera accompagné pour la deuxième partie du voyage d’un brise-glace nucléaire capable de passer au-travers des glaces pérennes du Nord du Groenland. Le périple démarrera à Kiel en Allemagne. Six sites de débarquement sont prévus, dont certains dans des zones particulièrement reculées et encore très peu étudiées.
Source: communiqué de presse du SPI