L'anxiété peut ruiner votre statut social

Les mitochondries dans les neurones du nucleus accumbens © Graham Knott (EPFL)

Les mitochondries dans les neurones du nucleus accumbens © Graham Knott (EPFL)

Des neuroscientifiques de l’EPFL ont identifié une région du cerveau qui fait le lien entre un tempérament anxieux et un faible statut social. Les chercheurs ont été capables de chambouler la hiérarchie animale au moyen de vitamine B3.

La façon d’aborder la vie peut différer du tout au tout d’un individu à l’autre. Si d’aucuns sont calmes et détendus, d’autres perçoivent certaines situations comme menaçantes, ce qui les angoisse et les tend. Ce « trait » anxieux a des conséquences importantes sur leur vie sociale, et sape leur confiance en leur capacité d’atteindre un fort niveau hiérarchique. A notre époque compétitive, les anxieux sont désavantagés et peuvent se sentir négligés et rejetés, ce qui peut entraîner ce que les psychologues appellent une « subordination sociale ». Or, un aricle du journal PNASannonce que des neuroscientifiques de l’EPFL ont localisé une zone du cerveau liée à la motivation et à la dépression qui établirait un lien entre subordination sociale et anxiété.

Un cercle vicieux

Les animaux comme les humains définissent des rangs par le biais de la compétition, qui fixe à son tour la hiérarchie sociale. La capacité d’être concurrentiel dépend de diverses caractéristiques comme la taille, l’âge et l’expérience sociale antérieure. Si des recherches ont prouvé que la compétition sociale était également influencée par les traits de la personnalité, cette piste n’avait jusqu’ici jamais été approfondie.

Les scientifiques et les psychologues sont de plus en plus nombreux à penser que les individus dotés d’un fort état anxieux comme trait de personnalité seraient prédisposés à être de piètres compétiteurs sociaux, ce qui les enferme dans un cercle vicieux d’anxiété et de statut hiérarchique bas. Nous savons néanmoins peu de choses sur les neurosciences derrière ce cycle infernal, ce qui pourrait être la clé pour y mettre fin.

Des révélations grâce aux rats

Or, le laboratoire de Carmen Sandi de l’EPFL a découvert de nouvelles preuves biologiques dans ce domaine. Les chercheurs ont pratiqué une série d’expériences pour cibler les zones du cerveau impliquées dans le trait anxieux et dans la compétition sociale. Pour ce faire, ils ont classé des rats par catégories de caractère, du moins angoissé au plus soucieux, modélisant ce trait anxieux.

Les rongeurs ont ensuite subi divers tests de comportement demandant aux plus anxieux d’entrer en compétition avec les spécimens plus à l’aise, afin que leurs performances soient quantifiées et analysées. Les chercheurs ont en outre examiné leurs cerveaux en quête de modifications de fonctions biologiques.

Résultat, leurs expériences ont isolé une zone du cerveau connue sous le nom de « noyau accumbens » et longtemps associée à la motivation, à la récompense et à la dépression, aussi chez les humains. En compétition, la plupart des rats anxieux ont acquis un faible statut social – donc sont devenus « socialement subordonnés ».

Or, le noyau accumbens desdits rongeurs a présenté un métabolisme énergétique moindre, renvoyant aux mitochondries, les organelles cellulaires en charge de la respiration et production énergétique. Les scientifiques ont observé que la fonction mitochondriale des rats anxieux était plus faible que chez les animaux détendus.

Des médicaments pour bouleverser le statut social?

Les chercheurs ont ensuite corroboré leurs découvertes au moyen de manipulations pharmacologiques: ils ont administré au nucleus accumbens des rats des remèdes inhibant ou stimulant les mitochondries – l’un d’entre eux étant une fraction de la vitamine B3 usuelle (niacine). Lorsque les rongeurs ont reçu des agents bloquants, leur compétitivité sociale a chuté, entraînant leur statut hiérarchique avec elle.

D’un autre côté, les rats hautement anxieux ayant reçu des exhausteurs se sont bien mieux comportés socialement, et donc ont progressé dans la hiérarchie. Toutefois, les effets observés sont restés temporaires: une fois les substances éliminées, les rongeurs sont retournés à leur position d’origine sur l’échelle sociale.

Cette étude confirme que le trait d’anxiété peut prédisposer un individu à un rang social médiocre. Cela pourrait signifier que la manipulation pharmacologique des mitochondries du noyau accumbens pourrait influer sur la position sociale d’une personne. Cette recherche est en outre la première à affirmer que le métabolisme énergétique du cerveau influence l’établissement des hiérarchies sociales.

Carmen Sandi reste toutefois prudente, l’étude traitent de rats et non d’humains; après tout, le cerveau n’est que l’un des divers éléments influençant les dynamiques sociales. « Les interactions entre individus sont complexes, » explique-t-elle. « Elles impliquent tant de facteurs qu’il est difficile d’étudier l’impact de chacun de façon isolée. Cela reste toutefois une découverte enthousiasmante autour d’un mécanisme du cerveau qui fait que la personnalité anxieuse affecte la compétitivité sociale – et cela nous ouvre de toutes nouvelles perspectives de recherche dans le domaine. »

Cette étude a été financée par le Fonds National suisse de la recherche scientifique, le Pôle de Recherche national Synapsy et l’EPFL.

Dossier de presse : http://bit.ly/1IulLMq

Source

Hollis F, van der Kooij MA, Zanoletti O, Lozano L, Cantó C, Sandi C. Mitochondrial function in the brain links anxiety with social subordination.PNAS 30 November 2015. DOI: 10.1073/pnas.1512653112