«L'agriculture suisse aurait de l'espace pour plus de biodiversité»

Nicolas Bissardon et Agathe Crosnier, lauréats Durabilis 2023 © 2023 EPFL/Alain Herzog  - CC-BY-SA 4.0

Nicolas Bissardon et Agathe Crosnier, lauréats Durabilis 2023 © 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

La cuvée 2023 du prix Durabilis UNIL-EPFL consacre deux mémoires de Master portant sur l’agroalimentaire. Les travaux d’Agathe Crosnier (EPFL - SSIE) et Nicolas Bissardon (UNIL) apportent chacun à leur manière des idées neuves pour réduire l’impact environnemental de la production et consommation de nourriture.

Agathe Crosnier, titulaire d’un Master en Sciences et Ingénierie de l’Environnement de l’EPFL, et Nicolas Bissardon, diplômé de la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne (UNIL), ont présenté, jeudi 30 novembre, le résultat de leur recherche respective, pour laquelle ils ont reçu le prix Durabilis, qui récompense chaque année depuis 2007 des travaux étudiants particulièrement méritants en termes de durabilité.

Parmi les 40 candidatures reçues cette année pour le concours, celle d’Agathe Crosnier s’est particulièrement démarquée en raison de son travail rigoureux, offrant une base solide de recommandations pour orienter la production agroalimentaire suisse vers plus de durabilité, comme l’a relevé le jury dans son laudatio. La jeune femme a exploré l’interaction entre différents types de régime alimentaire et différents modes de production agricole.

Quatre scénarios plus durables

Sachant que l’alimentation représente un quart des impacts environnementaux de la Suisse et que le secteur agricole émet 10% des émissions totales de gaz à effet de serre, Agathe Crosnier s’est intéressée à comparer quatre scénarios de production et consommation pour réduire d’ici 2050 l’impact du secteur agroalimentaire sur le climat, les écosystèmes, l’utilisation des sols et l’épuisement des ressources telles que l’eau.

Si l’on part de la situation actuelle, on constate que le bio en Suisse représente 17% de la surface agricole utile, un taux parmi les plus élevés à l’échelle mondiale, et que 70% des surfaces de production nécessaires à nourrir les habitantes et habitants du pays se trouvent à l’étranger. Actuellement, la population consomme trop de viande et de calories liées aux sucres et aux huiles, avec des impacts importants tant sur l’environnement que sur la santé.

L’Office fédéral de la santé publique recommande de suivre la Pyramide alimentaire suisse pour un régime plus équilibré et durable. La recherche a montré que pour réduire au maximum les impacts environnementaux tout en garantissant un régime alimentaire équilibré, la part des produits laitiers devrait être encore réduite par rapport aux recommandations suisses, en augmentant la part de céréales complètes, de légumineuses et d’oléagineux. C’est le régime dit «EAT-Lancet», communément utilisé pour des recommandations d’alimentation durable à l’échelle globale.

Un premier scénario serait de respecter les recommandations de la Confédération en continuant à produire de manière principalement conventionnelle. Le deuxième scénario imagine que l’on passe au régime EAT-Lancet, moins lacté, sans changer non plus de mode de production. Le troisième impliquerait de passer à un mode de production entièrement bio avec le régime de la Pyramide alimentaire suisse. Enfin le quatrième scénario envisage un régime EAT-Lancet nourri intégralement par une production organique.

Moins de viande = moins d’impact

Les résultats sont plus nuancés que prévu. Tous ces scénarios réduiraient déjà l’impact environnemental du secteur agroalimentaire suisse et sont réalisables du point de vue de l’utilisation des sols. Le régime EAT-Lancet avec production biologique aurait plus de bénéfices pour le climat, l’écotoxicité et pour l’utilisation de l’eau, mais créerait cependant d’autres externalités défavorables pour l’environnement, par exemple sur l’utilisation des sols, puisque le rendement des cultures en mode bio est moindre. À noter que cette différence de rendement devrait s’égaliser dans le futur. De plus, les terres consacrées au pâturage des cheptels de production laitière en altitude ne pourraient pas forcément être utilisées pour d’autres types de culture.

Dans tous les cas de figure, réduire la consommation de viande apparaît comme la voie à suivre, mais le type de production idéal devrait combiner différentes approches selon les aliments recherchés. De nouvelles recherches devraient aussi étudier et quantifier l’impact d’autres opportunités comme l’agroécologie ou l’agriculture régénérative. «L’agriculture suisse aurait de l’espace pour plus de biodiversité», a conclu Agathe Crosnier, en recommandant de s’intéresser aux vrais coûts de l’alimentation, qui intégreraient les externalités environnementales, sociales et sanitaires. C’est ce à quoi la jeune diplômée se destine dorénavant, comme doctorante au sein du projet «The True Cost Accounting for Food» porté par plusieurs partenaires, dont l’EPFL.

Une boussole pour la permacircularité

L’autre projet primé par le prix Durabilis 2023 s’est également intéressé à l’alimentation, et comprend notamment une étude de cas portant sur Le Panier bio à 2 Roues, une coopérative vaudoise dont les activités maraîchères et les productions de 30 autres exploitations locales, dans un rayon de moins de 50 kilomètres, permettent d’approvisionner hebdomadairement 330 foyers de la région lausannoise. Cette coopérative a été utilisé pour tester un modèle de «boussole» développée par Nicolas Bissardon sur la base de 17 indicateurs contextuels aux activités agroalimentaires et 36 indicateurs universels touchant par exemple aux modes de production, aux usages énergétiques, à la gestion du personnel, etc. Ce diagnostic a permis d’identifier des points d’améliorations pour rendre les activités de la coopérative encore plus durables et porteuses d’une dimension régénérative.

Le modèle permet de prendre en considération l’ensemble des impacts sur les limites planétaires en vue d’une « écologie intégrale » et apporte une nouvelle méthode dans le cadre théorique de la «permacircularité», un concept développé par Dominique Bourg et Christian Arnsperger à l’Université de Lausanne. L'outil de diagnostic que propose Nicolas Bissardon «facilite l'évaluation de la durabilité d’une organisation dans plusieurs dimensions et à diverses échelles», a relevé le jury du prix Durabilis. Sa boussole simple d’utilisation pourrait être utilisée pour apprécier et faire évoluer d’autres structures engagées en faveur d’un monde plus soutenable.

Comme chaque année, la cérémonie de remise des prix s’est achevée avec le partage convivial d’une raclette, agrémentée de nombreux légumes à la place de viande des Grisons. Et sans gaspillage : tous les restes ont été distribués aux participantes et participants, repartis le ventre plein et l’esprit bien nourri.


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: LEURE - Laboratoire d'économie urbaine et de l'environnement

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