Koffi N'Guessan, ambassadeur de la francophonie

© Alain Herzog / EPFL
Koffi N'Guessan a repris la présidence du Réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la francophonie (RESCIF). Le passage de témoin entre l’EPFL et l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INP-HB), en Côte d’Ivoire, s’est déroulé en juillet sur le campus. L’occasion de revenir sur l’importance des collaborations Nord-Sud et la valeur de la francophonie.
La langue anglaise prend toujours plus d’importance dans le monde scientifique. Quel intérêt y-a-t-il alors à former un réseau d’universités francophones ?
L’espace francophone possède une formation d’ingénieurs dont l’excellence contribue à l’innovation dans le monde. La constitution d’un réseau d’universités francophones des sciences de l’ingénieur octroie donc aux établissements membres une meilleure visibilité, favorise une plus grande mutualisation et offre des opportunités aussi bien pour la formation que pour la recherche. Lorsque le RESCIF a été créé en octobre 2010, l’un des objectifs était de développer l’innovation, de soutenir la formation scientifique dans l’espace francophone et de contribuer à l’émergence de certains pays francophones du Sud grâce aux sciences de l’ingénieur.
En se constituant en réseau, les écoles d’ingénieurs francophones ne se positionnent pas comme une force opposée à un univers anglophone. Elles n’essaient pas non plus de dépasser un quelconque complexe. Elles tentent de développer et de perpétuer les valeurs communes qui ont permis l’émergence des Etats. Ces valeurs ont permis qu’aujourd’hui, à la Silicon Valley, en Californie, les ingénieurs francophones soient reconnus pour la qualité de leur formation, notamment en mathématiques. Je ne crois donc pas qu’il y ait vraiment de scission entre les scientifiques anglophones et francophones. Les valeurs scientifiques restent des valeurs communes au-delà de la langue.
Quels sont vos projets en tant que nouveau président du RESCIF ?
Le développement de l’expertise et du savoir-faire dans la recherche se poursuivra. Il s’agira également d’œuvrer à la valorisation et à la diffusion des résultats de cette recherche en vue de l’amélioration significative du bien-être des sociétés, particulièrement celles du Sud.
Dans ce contexte, il me paraît essentiel que la science puisse briser les barrières linguistiques. Il s’agira, durant mon mandat, d’y contribuer parce que le monde d’aujourd’hui est un village planétaire. En Afrique par exemple, quel que soit l’espace linguistique (anglophone, francophone, hispanophone ou lusophone), les défis à relever sont les mêmes : la qualité et la redistribution de l’eau, les problèmes d’énergie ou de nutrition, les questions de voirie et de construction durable, etc. Je pense que le milieu francophone possède des expertises à partager avec les autres.
Comment faire pour favoriser ces échanges ?
Une des stratégies serait de développer la mobilité Sud-Sud en créant des parcours doubles diplômants entre les institutions du Sud. Ils existent déjà avec nos partenaires en France par exemple. Un étudiant peut commencer sa formation à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire et la terminer à Lyon ou à Montpellier. Ils ont alors le diplôme des deux institutions, ce qui donne une très grande valeur ajoutée au diplôme.
Ce type de parcours pourrait être construit entre les institutions du Sud, qu’elles soient francophones à Dakar (Sénégal) ou à Yaoundé (Cameroun), mais aussi avec les institutions des autres régions linguistiques. Notre Institut d’agronomie de Yamoussoukro a des thématiques centrées sur le cacao par exemple, tout comme l’Université polytechnique de Ho au Ghana, pays anglophone. En créant un programme commun, avec des contenus équivalents, on pourrait avoir le même diplôme pour les étudiants des deux pays. Ceux qui en sortiraient seraient parfaitement bilingues et auraient des connaissances scientifiques partagées de part et d’autre. Ce programme devrait voir le jour d’ici quatre ans, et je crois que ce sera une innovation importante et inédite, une révolution même dans l’enseignement supérieur !
Mon expérience personnelle m’a montré que le fait d’être ensemble brisait sensiblement les barrières entre les anglophones et francophones. J’ai été président durant quatre années d’une association importante en Afrique, l’Union pour l’étude de la population africaine (UEPA). Dans cette organisation panafricaine, lorsque le président est francophone, le vice-président doit obligatoirement être anglophone, et inversement. On est nécessairement amené à travailler ensemble et les deux langues cohabitent. C’est une des choses que je voudrais faire valoir dans le milieu de la francophonie, ces échanges permettent de faire émerger les scientifiques francophones talentueux et de faire venir les anglophones dans notre espace.
Et la mobilité Nord-Sud ?
Ce sujet sera aussi une de nos priorités. Aujourd’hui, les étudiants et enseignants du Sud viennent dans les universités du Nord, mais beaucoup moins en sens inverse. Je crois que nous devons mettre tout en œuvre pour développer la mobilité Nord-Sud. Elle permettrait aux étudiants de mieux comprendre le système dans lequel évoluent les pays du Sud ainsi que les problématiques de recherche à adresser et les contributions à y apporter. Cela encouragera également les enseignants du Sud à s’améliorer, à chercher l’excellence. Il faudra que les cours proposés répondent à leurs attentes afin que la mobilité Nord-Sud s’inscrive comme une opportunité. Le RESCIF octroiera une subvention à l’association EtuRESCIF, qui est déjà à l’œuvre dans ce sens, de manière à amplifier cette dimension.
L’Afrique est-elle concernée par le phénomène de « fuite des cerveaux », ces étudiants et chercheurs qui après avoir étudié dans un pays étranger ne reviennent pas dans leur pays d’origine ? Si oui, comment faire pour les encourager à revenir ?
Effectivement, et d’après moi les Etats et gouvernements devraient tout mettre en œuvre pour que les talents africains formés dans les pays du Nord reviennent en Afrique.
Le problème, c’est qu’un individu africain peut tout à fait être excellent dans le système du Nord, mais une fois revenu en Afrique il peut avoir du mal à s’exprimer et à faire éclore ses talents. Ce qui lui manque, c’est le système mis en place dans le Nord qui lui permettait vraiment de se découvrir et de s’épanouir. L’Afrique devrait chercher à construire autour de ces talents un système qui favoriserait leur insertion et le déploiement de leurs capacités au service du développement.
En 2012, l’EPFL créait le programme MOOCS pour l’Afrique, très vite soutenu par le RESCIF. Quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui ?
Un bilan très positif. Ce programme constitue un acquis significatif du RESCIF. A l’époque, les MOOCS étaient de nouveaux outils pédagogiques qui, pour certains pays, répondaient à un problème de surpopulation estudiantine. En diffusant des cours en ligne, ils permettaient d’offrir de bonnes conditions d’études. Au départ, les enseignants étaient méfiants, car le système n’a pas tout de suite été compris. Puis progressivement, il y a eu des changements d’attitudes vis-à-vis des MOOCS. Aujourd’hui, les enseignants se décident volontairement à produire des MOOCS pour pouvoir les partager avec leurs étudiants. Ce qui contribue énormément à leur formation.
Depuis 2012, des progrès énormes ont été réalisés. Chacun des trois centres africains de la région au sud du Sahara, membres du RESCIF, a été équipé d’un studio d’enregistrement et le personnel qui y travaille a été formé à l’EPFL. A l’avenir, nous allons continuer à améliorer la qualité des MOOCS pour optimiser les stratégies de nos établissements. Il faudra alors, pour y arriver, rechercher davantage de financement.
Concernant les échanges et collaborations entre les universités du Nord et du Sud , quels sont les atouts des uns et des autres ?
En termes de recherches, les grands défis de développement des pays du Sud constituent des champs thématiques de recherche qui pourraient fédérer les équipes du Sud et du Nord à travers des projets collaboratifs. Les chercheurs du Sud ont l’avantage de la connaissance des défis endogènes, tandis que ceux du Nord ont les équipements lourds trop onéreux pour être acquis au Sud. On comprend dès lors qu’une mutualisation de ces atouts permettrait de mener des recherches innovantes pour le bien de nos populations.
BIO
1981
Diplôme de l’Institut de formation et de recherche démographiques au Cameroun.
1983
Doctorat en démographie à l’Université de Paris 1, France.
1995-2015
Directeur de l’Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (ENSEA) d’Abidjan, Côte d'Ivoire.
Depuis 2011
Directeur de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INP-HB) à Yamoussoukro, Côte d'Ivoire.
2016
Officier de l’Ordre national de Côte d’Ivoire.
Dès 2018
Président du RESCIF.
Qu’est-ce que le RESCIF ?
Créé en 2010 à l’initiative de l’EPFL, le Réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la francophonie (RESCIF) comprend 15 universités francophones issues de 12 pays d’Afrique, Amérique, Asie, Europe et Moyen-Orient.
Ses objectifs principaux :
- Promouvoir de la recherche utile pour le développement des pays dits émergents, notamment dans les domaines de l’eau, l’énergie, la nutrition, la sécurité alimentaire et l’urbain.
- Encourager la formation (dans les institutions) de jeunes chercheurs aux technologies les plus avancées.
- Mettre en œuvre une coopération novatrice, ciblée et durable entre des universités technologiques d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient.
- Favoriser le transfert et l’implémentation des dernières innovations technologiques en encourageant et développant une approche entrepreneuriale au sein de chaque institution.