Joueur, Hadi Barkat aime rebattre les cartes

Je n’ai jamais douté, par contre, la pression de la réussite, je me l’inflige continuellement", Hadi Barkat. 2025 EPFL/Jamani Caillet.

Je n’ai jamais douté, par contre, la pression de la réussite, je me l’inflige continuellement", Hadi Barkat. 2025 EPFL/Jamani Caillet.

Diplômé de l’EPFL, Hadi Barkat est passé de l’univers du capital-risque au milieu de l’édition. Ce jeudi 25 septembre, le fondateur et CEO d’Helvetiq évoquera son parcours atypique et le pouvoir des jeux pour créer des liens, stimuler la réflexion et l’apprentissage.

Un des jeux préférés d’Hadi Barkat, ce sont les échecs, 64 cases sur lesquelles se focaliser, se recentrer. Ce n’est pas étonnant, car dans son parcours, le fondateur de la maison d’édition Helvetiq a toujours imaginé de belles ouvertures et avancé ses pions avec stratégie, rigueur et créativité. Son parcours, il l’a façonné grâce à sa « trousse à outils » assez fournie pour qu’il puisse changer de carrière professionnelle et transformer une fraîche passion pour les jeux en un job à plein temps. Parfois, il faut savoir « bousculer le hasard », dit-il. Interview d’un ingénieur en informatique qui ne cesse de chambouler les codes.

Au départ, qu’est-ce qui vous a guidé vers des études scientifiques?

J’ai grandi en Algérie, où peu de professions étaient valorisées en dehors de la médecine et de la fonction publique. Il y a d’ailleurs beaucoup de médecins dans ma famille. J’ai donc décidé ce que je n’allais pas faire et je suis allé au lycée technique d’Alger, car j’aime les mathématiques. Résoudre un problème, pour moi c’est un peu comme réaliser un escape game.

Comment vous êtes-vous retrouvé à l’EPFL?

J’ai découvert l’EPFL à 14 ans avec mon oncle lors d’un séjour estival en Suisse. Je me rappelle encore avoir visité le CM (Centre Midi), avec des couloirs vides. Je me dis que c’est quand même drôle que cela m’ait attiré. Mais il y avait une ambiance, les affiches de tous les événements étudiants, et puis j’ai feuilleté la brochure de présentation et le mix entre rigueur et apprentissage par projet m’a encore plus motivé. Je fréquentais un très bon lycée technique, le plus dur d’Alger, j’ai travaillé à fond et j’ai réussi. L’envie d’aller à l’EPFL a agi comme une grande motivation durant mes études.

Est-ce que d’autres personnes dans votre famille ont effectué l’université?

Dans ma famille, je suis le benjamin, ma sœur a décidé de faire des études de médecine et mon frère a fait des études d’ingénieur. Mes parents ont eu une vie plus compliquée, traversée par la guerre. Ils ont fait des études en cours d’emploi. Mon père a perdu ses deux parents à l’âge de 14 ans, mais il a réussi à tracer sa voie par lui-même. Ça m’a beaucoup inspiré et influencé.

Outre cette inspiration, est-ce qu’un livre, une personne ou une expérience vous ont marqué?

Un livre qui m’a inspiré est mindset de Carol Dweck. En résumé, elle déconstruit le fait que la réussite et le talent sont basés sur des capacités innées. Je ne crois pas qu’on est doué ou non, je pense qu’on peut sans cesse s’améliorer. Lorsque je suis arrivé à l’EPFL, c’était facile pour moi, car j’avais vraiment beaucoup bossé en mathématiques au lycée. Certaines personnes me disaient ‘mais comment est-ce que tu y arrives aussi facilement ?‘ Ce n’était pas parce que j’avais particulièrement de facilité mais parce que j’avais déjà une habitude et une éthique du travail et je l’ai maintenue.

On pense souvent que pour arriver à des résultats satisfaisants il faut atteindre la perfection. Mais ce n’est pas la perfection qui fait réussir, les personnes qui ont les meilleures notes, ne sont pas forcément celles qui ont ensuite le parcours le plus intéressant.

Chaque nouveau projet, je commence par le rêver et, ensuite, j’essaye de le réaliser au plus vite, en étant rigoureux mais sans être bloqué dans une recherche de perfection. La rigueur permet de rendre la créativité concrète, c’est ce qui fait qu’on sait où on va à chaque étape.

Hadi Barkat, fondateur et CEO d'Helvetiq

Au long de votre parcours, avez-vous vécu des moments plus difficiles ou des moments de doute?

Je n’ai jamais douté, par contre, la pression de la réussite, je me l’inflige continuellement. C’est à la fois une qualité et un défaut. Au fil du temps, je me suis rendu compte qu’en raison de ceci, je ne laissais parfois pas assez d’espace aux autres.

En 2024, vous avez reçu l’EPFL Alumni Award. Quels souvenirs gardez-vous de votre cursus?

Je suis curieux d’esprit et je me suis toujours intéressé à plein de choses, dont la vie associative. J’ai fait partie de l’organisation du Challenge EPFL-EPFZ puis de la Junior Entreprise. Au sein de celle-ci, j’ai eu le mandat d’organiser un salon télécoms, c’était un énorme projet, j’ai passé tout un été là-dessus. J’avais 19 ans et c’était dur de gérer toute cette pression, de superviser d’autres étudiantes et étudiants plus âgés, mais ça a été une expérience très marquante.

Avec d’autres étudiants, j’ai ensuite créé une start-up, Cod-it. On a gagné la compétition suisse >>venture>>, c’était super cool. Nous avions imaginé un système de sécurité biométrique avec l’empreinte digitale pour se connecter à son ebanking. C’était il y a 20 ans et notre technologie était encore plus forte que celle utilisée aujourd’hui. Mais elle était très complexe, et le reste de l’équipe n’était pas aussi impliqué que moi, donc je n’ai pas poursuivi projet. Après, j’ai travaillé pendant 5 ans comme investment manager chez Logispring, une entreprise de capital-risque, ça m’a passionné, ça répondait à mon côté analytique.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer la maison d’édition Helvetiq?

Lorsque j’ai fait les examens pour obtenir ma naturalisation suisse, j’étais ultra préparé ; mais comme pour tout le monde, la préparation a été pénible. Je me suis alors dit que je pourrais faire un jeu pour que les personnes apprennent toute la matière nécessaire en s’amusant. J’avais confiance que c’était le bon chemin à prendre. J’ai soigné le narratif autour du jeu Helvetiq et je pense que cela a contribué à ce que cela fonctionne. Des communes m’ont commandé le jeu, puis la presse en a parlé et ce fut un gros succès. Maintenant Helvetiq, c’est une maison d’édition internationale de livres et de jeux. J’apprécie l’ouverture sur le monde ; mon objectif, c’est de faire jouer des gens partout, de créer des expériences universelles.

Enfant, vous étiez déjà adepte de jeux de société?

En Algérie, il n’y a pas vraiment de culture du jeu de société, je me souviens seulement d’un jeu de cartes, proche de la belote. C’est bien plus tard que j’ai commencé à m’intéresser aux jeux de société, en organisant une sortie d’entreprise. Je travaillais dans le capital-risque, mais on me demandait toujours de me coller à ce genre de choses, car ça me plaisait.

En ce moment, je suis accro à Odin, avec lequel on a gagné un as d’or-jeu de l’année 2025 au Festival international des jeux à Cannes. Mais j’aime aussi bien les jeux d’ambiance, une activité qu’on continue à effectuer en famille avec mes deux filles adolescentes.

Quelle est votre vision du succès?

D’abord, il faut se connaître soi-même pour définir ce qui peut nous satisfaire et constamment progresser. L’as d’or que nous venons de gagner avec Odin est une énorme récompense. Mais ce succès, c’est le fruit d’un gros travail, de toute une série de choix que nous avons fait. Je pense qu’il faut se faire confiance, savoir prendre des risques calculés, faire des choix et s’y tenir. J’ai quitté un travail dans l’investissement très bien payé, dont beaucoup de monde rêve, pour me lancer dans une aventure qui est partie d’un hobby. Ce hobby s’est transformé en job et c’est incroyable. Mais je pense que, grâce à toutes mes expériences, j’ai acquis des connaissances qui m’ont permis d’effectuer des choix éclairés. Le succès, ça implique toujours de prendre des risques.

Que conseillerez-vous à une personne qui souhaite changer de parcours?

On pense tout de suite changement radical, mais en réalité c’est bien d’avoir une version intermédiaire. De mener ceci en parallèle, pas sur le long terme mais le temps que cela se mette en place. Pour ma part, j’ai beaucoup travaillé dans l’associatif, donc je suis habitué à faire plusieurs trucs en même temps. Le jeu Helvetiq, je l’ai conçu à coté de mon travail. Chaque nouveau projet, je commence par le rêver et, ensuite, j’essaye de le réaliser au plus vite, en étant rigoureux mais sans être bloqué dans une recherche de perfection. La rigueur permet de rendre la créativité concrète, c’est ce qui fait qu’on sait où on va à chaque étape.

Campus Lecture de Hadi Barkat, CEO et fondateur d’Helvetiq, Alumni Award 2024.
Jeudi 25 septembre à 18h au Forum Rolex, en anglais, sur inscription.

Auteur: Laureline Duvillard

Source: People

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