Jean-Louis Scartezzini: Une vie dédiée au soleil

© 2023 EPFL Alain Herzog

© 2023 EPFL Alain Herzog

« Je ne peux même plus vous offrir un café, j’ai embarqué la cafetière hier dans mes cartons ! »
Le professeur Jean-Louis Scartezzini, directeur du Laboratoire d’énergie solaire et physique du bâtiment (LESO-PB) pendant 30 ans à l’EPFL, ne semble pas trop affecté par son départ à la retraite. Retour sur une carrière bien remplie et pleine de rebondissements.

La retraite c’est dans l’ordre des choses, le professeur a de nombreux projets en tête et ne manque pas de centres d’intérêts, lui qui, jeune assistant en physique en 1981 avait hésité à embrasser la carrière de journaliste scientifique. « J’ai fait de la radio avec Madeleine Caboche. J’ai encore des cassettes à la maison. » Parallèlement, Jacques Pillet lui propose de travailler pour l’Hebdo, il devient chroniqueur scientifique : « Après une vingtaine d’émissions, et un certain nombre de papiers, j’ai dû choisir entre faire un doctorat ou continuer à la radio. »

Ce touche-à-tout choisit la science. Dans le laboratoire du professeur Faist, qui dirige alors le Groupe de recherche en énergie solaire (GRES), il aide activement à faire sortir de terre le premier édifice suisse qui devait démontrer qu’il pouvait être chauffé avec 5 fois moins d’énergie que les bâtiments construits jusque-là. LE LESO, le Laboratoire expérimental en énergie solaire. « J’ai participé à son instrumentation, le bâtiment recèle quelque 600 sondes placées dans le terrain, sur la toiture, les façades, dans les bureaux, partout. À cette époque personne n’y croyait, mais la démonstration a été faite. »

© 2004 EPFL Alain Herzog, Le bâtiment du LESO est truffé de sondes

Il va parcourir les Etats-Unis, découvrir les premières installations solaires. Au cours de sa carrière, son choix de travailler dans l’énergie solaire, va lui mettre des bâtons dans les roues. Il sera même fiché par les services secrets suisses.

Le Serment d’Archimède
Mais revenons à ses premiers pas sur le Campus en tant qu’étudiant, brillant, diplômant en physique avec la note maximale en 1980 à l’EPFL et en 1981 à l’UNIL: « J’ai eu la chance d’être choisi pour faire le discours du diplômé à l’EPFL, que j’ai écrit selon mes convictions en précisant que l’action des scientifiques devait aller dans un sens positif et constructif et que l’on doit refuser d’agir de manière négative. »

À cette époque, le génie nucléaire est considéré comme l’énergie de l’avenir mais le jeune diplômé pense qu’il y existe une autre voie plus durable. Une idée à contre-courant.

« En entendant mon discours, certains de mes professeurs m’avaient tiré les oreilles. Le président de l’EPFL, Bernard Vittoz, m’avait dit qu’il ne partageait pas mes idées mais qu’il les respectait. J’ose croire que, par la suite, mon discours a donné l’idée à l’EPFL du Serment d’Archimède créé en 1990 et qui se calque pour le scientifique sur le Serment d’Hippocrate. »

© Jean-Louis Scartezzini participe à la Conférence Solaire & Architecture à Toulouse en 1982

Une thèse aux Etats-Unis
Ses diplômes en poche, Jean-Louis Scartezzini entre donc comme assistant en physique dans le GRES créé par André Faist, l’un des premiers scientifiques à initier la recherche sur le solaire à l’EPFL, et qui sera également son directeur de thèse. Il y découvre le monde de l’énergie solaire et cela l’enthousiasme. « Nous étions un petit groupe convaincu par l’énergie solaire. Leur passion m’a gagné et ne m’a plus jamais quitté. »

Il choisit de partir aux Etats-Unis pour effectuer une partie de sa thèse en 1984 dans le « Solar Energy Application Lab » à l’Université du Colorado. Il y rencontre des pontes de la discipline tels que George Oscar Löf, pionnier de la recherche solaire et concepteur du premier chauffage solaire domestique sur sa propre maison.

© SCI, Le cuiseur solaire parabolique Umbroiler,
utilisé avec la fille de George Löf en 1955.

Il fait aussi un crochet par le Lawrence Berkeley National Laboratory en 1988. L'ère Carter avait permis un développement important d'installations photovoltaïques. « Lors de mon séjour, j’ai visité beaucoup d’installations solaires au Nouveau Mexique, au Nevada et en Californie. Il y avait un dynamisme fou qui est retombé après et que l’on voit ressurgir à présent. »

À son retour en Suisse, il est nommé professeur associé à l’Université de Genève. En 1994, Jean-Claude Badoux, nouveau président de l’EPFL, crée le premier poste de professeur de physique du bâtiment et l’engage comme professeur ordinaire.

© Jimmy Carter Library, Le président Jimmy Carter inaugure les capteurs solaires de la Maison-Blanche, 20 juin 1979

Fichés par les services secrets
Dans les années 90, la Suisse fait partie des pays les plus nucléarisés du monde avec ses 5 centrales. Les énergies renouvelables n’ont pas la cote. Jean-Louis Scartezzini passe de nombreuses années à tenter de convaincre chercheurs et politiques. « Nous n’étions pas dans le « mainstream », c’était la traversée du désert. Nous étions considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, des dissidents, comme des gens mécontents. »

Des prises de positions qui l’ont amené à vivre un épisode rocambolesque. C’était l’époque de la guerre froide et de « l’affaire des fiches ». « Le secrétaire général de la Société Suisse pour l’Energie Solaire (SSES), dont j’étais le président, s’était volatilisé avec la caisse. Nous avons appris plus tard que ce vol avait été fomenté par la P-26, les services secrets suisses, afin d’affaiblir le milieu de l’énergie solaire. Il est vrai que parmi les membres de notre association il y en avait qui étaient très engagés à gauche et certains tellement à gauche qu’ils travaillaient peut-être pour l’URSS, ce n’est pas exclu. Nous avions porté plainte et notre avocat, dans cette affaire, était le futur conseiller fédéral Moritz Leuenberger. »

© "La fondation de la SSES" dont Jean-Louis Scartezzini fut président 1987 – 1995

Aujourd’hui, la page peut se tourner, avec le sentiment d’avoir réussi un tour de force, convaincre de l’indispensable utilité de l’énergie solaire. Un carrière qui lui a permis de former près de 50 doctorants, actifs dans les universités du monde entier. Nombre d’entre eux ont créé leur entreprise. Solstis, Kromatix, E4tech Software, Estia, EPIQR Rénovation, ShadeMe, et d’autres encore.

« Il faut aller dans le sens de la vie et voir ailleurs »
À la question, comment allez-vous occuper vos journées, la réponse fuse : « Faire tout ce que je n’ai pas pu faire à fond. Lorsque l’on est professeur on doit s’investir, se sacrifier un peu aussi. » Parmi les activités qu’il rêve d’inscrire dans son agenda : jouer de la musique avec ses fils, même s’il va devoir travailler dur pour les rattraper. Ce sera également le cas avec ses amis cyclistes, dont certains avalent 10'000 km par année et attaquent le Mont Ventoux chaque été. Il y a aussi la navigation à voile qu’il pratique depuis plus de 40 ans et qu’il souhaite poursuivre sur le lac Léman comme en Méditerranée. Et, il rêve de se lancer dans l’astrophotographie.

© Navigateur

Mais la science ne tombera pas aux oubliettes. « Ma fibre scientifique va vibrer même à la retraite. Je participe toujours au conseil scientifique du Plan Climat de certains gouvernements cantonaux, à l’Académie Suisse des Arts et des Sciences à Berne et à la Daylight Academy, que j’ai contribué à créer, présidée et qui regroupe des scientifiques, des ingénieurs et des architectes de l’Europe entière, travaillant sur la lumière naturelle. »