« Je voudrais faire quelque chose qui a un impact positif »

Doctorante en immunologie à l’EPFL, Angela Madurga Alonso a remporté le Prix Isabelle Musy. © Alain/EPFL

Doctorante en immunologie à l’EPFL, Angela Madurga Alonso a remporté le Prix Isabelle Musy. © Alain/EPFL

Doctorante en immunologie à l’EPFL, Angela Madurga Alonso a développé un traitement curatif contre la fibrose cardiaque, démontré in vitro. Elle vient de recevoir le Prix Isabelle Musy qui l’aidera à créer sa start-up.

Pour Angela, le plus gros effort a peut-être été de défendre son projet… en français. Mais à force d’entrainement et mue par la certitude que le jeu en vaut la chandelle, la doctorante a convaincu le jury du Prix Isabelle Musy. Remis jeudi soir lors de la Startup Champions Seed Night 2023 au Forum Rolex, il récompense tous les deux ans une femme issue d’une haute école de Suisse latine dont le projet d’entrepreneuriat dans le domaine des sciences ou des technologies a un potentiel impact dans la société.

Dans ses éprouvettes, Angela Madurga Alonso détient le premier traitement curatif de la fibrose cardiaque, un événement délétère qui se manifeste après une agression du cœur (infarctus, hypertension…) et altère considérablement les fonctions cardiaques. Sans traitement curatif à ce jour, elle conduit à l’insuffisance cardiaque et souvent au décès. La solution a été développée avec son collègue Mathieu Girardin, comme elle doctorant en fin de thèse au laboratoire du professeur Joerg Huelsken, spécialiste de la recherche sur le cancer. Basée sur l’immunothérapie, la technologie aide les cellules immunitaires - les lymphocytes -, à éliminer les cellules néfastes en les dotant de récepteurs synthétiques, les CARs, ou récepteurs antigéniques chimériques en français. Les CARs ont des propriétés supra-physiologiques qui leur permettent d’éliminer toute cellule ciblée par un marqueur établi au préalable. Les CAR T sont ainsi des lymphocytes T génétiquement modifiés pour cibler le cancer. Ils se sont révélés très efficaces contre certains types de cancer, les leucémies notamment, mais restent complexes à mettre en œuvre et non dénués d’effets secondaires.

Curieuse à l’âme artiste

Angela et Mathieu se concentrent eux sur les lymphocytes NK, un autre type de cellules immunitaires très prometteur, qui n’ont pas certains défauts des lymphocytes T. Dotées de leur nouveau récepteur CAR, les cellules CAR NK se montrent de fait redoutables contre divers types de cancers in vivo et in vitro. Toutefois les deux doctorants ont choisi de combattre à une autre affection, moins concurrentielle, la fibrose cardiaque qui touche plus d’un demi-million de personnes chaque année. Les scientifiques ont adapté leur CAR NK afin de cibler spécifiquement les fibroblastes activés, s’attaquant ainsi au moteur de la maladie. Les tests in vitro ont démontré leur efficacité. Dans une version thérapeutique, une injection pourrait donc permettre de stopper le processus et prévenir définitivement la progression fatale de la fibrose. Le duo a déposé une demande de brevet en janvier 2023 avec l’aide de l’Office de transfert de technologie de l’EPFL.

Curieuse à l’âme artiste, Angela Madurga Alonso est depuis toujours mue par deux facteurs : l’envie de faire quelque chose qui lui plait et qui a un impact positif. Enfant, elle aimait dessiner, mais à l’heure du choix a craint que son hobby ne devienne une contrainte si elle en fait son métier. La science répond en revanche bien à sa curiosité avec la perspective de comprendre ce que l’on ignore. L’immunologie viendra plus tard, séduisante par ses larges territoires encore inexplorés et ses applications potentielles pour la santé humaine. La vivacité et la rapidité (relative certes) de l’immunothérapie lui permettront de prendre un virage définitif dans cette direction.

Le problème est que lorsque l’on crée des choses dans les laboratoires, le plus souvent elles y restent.

Angela Madurga Alonso, doctorante au laboratoire du professeur Joerg Huelsken

C’est au cours de son bachelor en biotechnologie à l’Université de Barcelone que l’Espagnole quitte son pays, ses parents, ses cinq sœurs et son frère pour un Erasmus à Zurich. Elle poursuivra avec un master dans l’antenne bâloise de l’EPFZ, suivi de quelques mois de stage dans une start-up travaillant dans l’immunothérapie contre le cancer. « C’est là que j’ai découvert l’immunothérapie et que j’ai décidé de faire un doctorat. » Elle choisit pour ce faire l’EPFL, travaille avec Mathieu Girardin sur la technologie CAR, expérimente et développe en parallèle sa nouvelle technologie. « Tout ça prend beaucoup de temps, en parallèle de mon doctorat, c’est pour cela que j’aurai finalement pris le maximum de temps possible, près de 6 ans », justifie la récente trentenaire. Mais alors que le moment de la défense approche, Angela a déjà posé toutes les briques de sa future maison.

La technologie incube encore à la Forge, à l’EPFL Innovation Park, mais le duo est maintenant prêt à lancer des études pour confirmer et caractériser sa thérapie. « Le problème est que lorsque l’on crée des choses dans les laboratoires, le plus souvent elles y restent. C’est pourquoi nous avons décidé de constituer une start-up, de breveter notre technologie et de lancer les études précliniques. »

Pour la chercheuse, c’est un nouveau métier qui commence : entrepreneure. « Ça fait peur, mais c’est extrêmement excitant ! Il est nécessaire parfois de sortir de son laboratoire et très enrichissant de voir des gens externes séduits par quelque chose dans lequel nous sommes plongés jusqu’au cou. Je ne me sens pas à l’aise pour présenter et encore moins en français, mais j’y travaille, et c’est un défi passionnant. » Avec le Prix Isabelle Musy, doté de 50 000 francs, c’est donc bien plus qu’un financement qu’a décroché la jeune femme. D’autant que « c’est un prix compétitif qui ne revient qu’à une seule ou deux personnes. Il ne faut pas seulement être excellente, mais meilleure que les autres. »


Auteur: Anne-Muriel Brouet

Source: Innovation

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