«Je tente de prendre en compte la diversité de représentations»

Jean-Yves Le Boudec a élaboré le premier plan d’études en systèmes de communication. © Alain Herzog 2019 EPFL

Jean-Yves Le Boudec a élaboré le premier plan d’études en systèmes de communication. © Alain Herzog 2019 EPFL

Le professeur Jean-Yves Le Boudec, à l’EPFL depuis 25 ans, a été désigné meilleur enseignant de la section d’informatique et systèmes de communication.

Vers 1995, Jean-Yves Le Boudec se balade dans les rues de San Francisco et voit un URL sur le panneau publicitaire d’une pizzeria. «J’étais fasciné de constater qu’un commerce privé utilise ce que j’avais uniquement vu dans le milieu de la recherche». Avec la popularisation d’Internet, le professeur responsable du laboratoire pour les communications informatiques et leurs applications 2, a vu son domaine de recherche et d’enseignement bouleversé au fil des ans. «J’enseigne une matière mouvante, même si les concepts de base, les ‘idées force’ restent les mêmes». Selon cet adepte de Wikipedia, «la plus belle invention du web», la grande accessibilité à l’information oblige à «être bon» afin que le cours conserve sa valeur. Un devoir accompli puisque Jean-Yves Le Boudec, arrivé à l’EPFL en 1994, est cette année lauréat du prix du meilleur enseignant de sa section.

Le chercheur qui a élaboré le premier plan d’études en systèmes de communication est un spécialiste des réseaux déterministes. Soit des réseaux qui garantissent une qualité de service de manière stricte. En bref, la garantie qu’un paquet de données soit transmis en quelques millisecondes, peu importe les conditions dans lesquelles se trouve le réseau. Le chercheur collabore par exemple avec Huawei dans le cadre de la 5G et a des contacts avec Airbus pour la qualité de service de l’informatique embarquée.

Diversité de points de vue

D’origine bretonne, Jean-Yves Le Boudec est issu d’une famille ouvrière de sept enfants. Les systèmes de communication, il s’y est d’abord intéressé par le biais de son frère ingénieur radio. Un grand frère de quatre ans son aîné, avec lequel il partageait sa chambre, et dont il est resté très proche. Mais avant de plonger dans l’univers des réseaux, de s’entourer de câbles, d’ordinateurs volumineux et dispendieux, le professeur s’est tourné vers les mathématiques. C’est Rached Mneime, enseignant d’algèbre à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud qui l’a encouragé à poursuivre dans cette matière. «C’était une révélation, avec lui, tout devenait clair, lumineux.»

Par la suite, il a donc effectué un doctorat en mathématiques à l’Université de Rennes. C’est au début de sa thèse qu’il a donné son premier cours. «C’était à des lycéens en dernière année de bac littéraire, j’avais 22 ans, j’ai essayé d’expliquer au mieux, mais à la fin du cours deux jeunes filles sont venues me dire qu’elles n’avaient rien compris. Cela m’a frappé. Depuis, je tente toujours de prendre en compte le fait qu’il y a une grande diversité de représentations. Chacun voit les choses différemment.»

Dans le cours TCP/IP Networking qu’il dispense aux étudiants de Master, le professeur privilégie une approche basée sur le «pourquoi» pour mieux appréhender le «comment». Ceci afin que les étudiants puissent ensuite se faire leur propre image mentale de la manière dont s’organise la communication en réseaux et de leur architecture. Pour leur permettre d’assimiler la matière au fur et à mesure et éviter un effet de panique à la fin de l’année, il teste leurs connaissances toutes les deux semaines. «Je suis satisfait, car mon enseignement est mieux assimilé, les questions sont plus pertinentes et cela permet de détecter un éventuel problème.»

En parallèle, il utilise aussi la méthode d’instruction par les pairs. Durant son cours, toutes les 20 minutes, il pose quelques questions auxquelles les étudiants doivent répondre à l’aide de clickers ou de l’application SpeakUp. Il invite ensuite les étudiants à défendre leur choix entre eux. «Si au départ il y a une large distribution de réponses fausses, après discussion c’est presque toujours la bonne réponse qui l’emporte.» Cette méthode qui demande beaucoup de préparation, notamment pour concevoir les questions, fait aussi ses preuves dans les autres cours Master de Jean-Yves Le Boudec, Performance Evaluation et Smart grids technologies qu’il coenseigne avec Mario Paolone. Un cours en lien avec un de ses champs de recherche, les réseaux informatiques pour contrôler la distribution d’énergie et gérer par exemple la surproduction d’énergie solaire en été.

Afin que les étudiants puissent expérimenter les concepts appris, il accompagne l’enseignement théorique, d’exercices et de travaux pratiques basés sur une approche ouverte. Et pour respecter les diverses manières d’assimiler la matière, il propose sur YouTube tous les enregistrements vidéo de ses cours et sur Moodle les supports. «L’enseignement, lorsque l’on a le temps, c’est un délice. Si on ne l’a pas, cela peut se révéler un enfer», plaisante le professeur. Il n’empêche, ce père de quatre enfants, dont l’un est à l’EPFL, a toujours aimé ça. Plusieurs fois directeur de section, il a développé l’évaluation systématique des enseignants. «Il ne faut pas se baser uniquement là-dessus, mais c’est un détecteur de fumée, si un cours se passe mal, cela se verra.» Son plus beau compliment ? «Un conseiller d’Etat m’a dit un jour que mon cours l’avait marqué. Mon but est que mon enseignement soit utile sur le long terme aux alumnis.»