«Je suis un facilitateur entre la théorie et la pratique»

Pierre-Etienne Bourban - 2025 EPFL - CC-BY-SA 4.0
Pierre-Etienne Bourban a quarante ans d’EPFL au compteur, dont trente en tant qu’enseignant. La motivation du meilleur enseignant 2024 de la section matériaux, elle, n’a pas pris une ride. Ni son combat pour le développement d’un esprit critique éclairé.
Que peut faire un joueur de basketball amateur lorsqu’il se «détruit les cartilages»? Lever le pied et se mettre au yoga? Étudier le génie des matériaux afin d’apporter sa contribution à l’amélioration de l’équipement! C’est pour cette deuxième solution qu’a opté le meilleur enseignant 2024 de la section matériaux de l’EPFL.
Près de quarante ans après son arrivée dans l’institution en tant qu’étudiant, Pierre-Etienne Bourban cite toujours le sport comme l’un de ses domaines d’application favoris. Ce maître d’enseignement et de recherche au Laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance (LPAC) évoque néanmoins une seconde impulsion dans le choix de son orientation académique. Celle-ci est à chercher du côté du «Poly» lui-même. «Alors que je fréquentais le gymnase de Sion, je suis tombé sur une brochure publiée par la section matériaux de l’EPFL.» La publication était agrémentée d’une photo montrant les fibres composant le fascicule. «Attiré depuis tout petit par les microstructures et les propriétés des objets qui m’entourent, j’ai été intrigué.» La vocation du jeune homme était sur le point de naître…
Pierre-Etienne Bourban reconnaît que choisir un cursus en génie des matériaux lui a aussi permis «de ne pas avoir à me spécialiser trop tôt dans mon parcours», puisqu’il s’agit d’une discipline très large, alliant notamment la chimie et la mécanique. «Comme de nombreux autres étudiantes et étudiants, je n’ai donc fait que repousser l’épineux problème du choix à la fin de mes études», commente-t-il en souriant.
Ce choix l’a mené vers une thèse – toujours à l’EPFL - dans le domaine des matériaux composites, puis à passer un an en tant que chercheur-boursier FNS au sein du Center for Composite Materials de l’Université du Delaware, aux Etats-Unis. De retour à l’EPFL, il a coordonné des programmes de recherche transdisciplinaires dans les secteurs du sport et de la réhabilitation, puis dans le développement de matériaux pour le biomédical.

ont mis au point un hydrogel biocompatible qui adhère naturellement à des tissus mous.
2018 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Les meilleures conditions pour apprendre
«Mes étudiantes et étudiants sont comme moi à l’époque, ils veulent en apprendre le plus possible sur les mystères de la nature.» Selon lui, son rôle consiste d’ailleurs davantage à «leur offrir les meilleures conditions pour apprendre» que d’enseigner à proprement parler. «La plus belle des reconnaissances que je puisse recevoir, c’est lorsque ces futurs ingénieures et ingénieurs me disent que leurs savoirs théoriques se transforment en savoirs pratiques.»
Ce n’est donc pas un hasard si Pierre-Etienne Bourban est le directeur des Discovery Learning Laboratories (DLL) en ingénierie, matériaux et bioingénierie, des espaces dédiés à l’enseignement de travaux pratiques par thématique. «Pour le formuler différemment, je dirais que je suis un facilitateur entre la théorie et la pratique.» Sans surprise, ce spécialiste des composites polymères et des biocomposites encourage volontiers ses étudiantes et étudiants à transformer leurs recherches en projets entrepreneuriaux. «Je suis ravi lorsque des doctorantes et doctorants lancent une start-up et les soutiens volontiers dans cette démarche.»
Par renvoi d’ascenseur, ces anciens étudiants et étudiantes devenus entrepreneuses et entrepreneurs offrent et partagent leurs expériences lors des cours actuels de leur ex-enseignant. C’est notamment le cas des fondateurs de la société Bcomp, active dans les matériaux biosourcés de haute performance, ou de ceux de CompPair, une entreprise spécialisée dans l’augmentation de la durée de vie des composites.
Éviter la pseudo-durabilité
Un autre grand axe sous-tend la philosophie d’enseignement de Pierre-Etienne Bourban. «Alors que l’accès à l’information, y compris hyper spécialisée, est de plus en plus large, il devient d’autant plus important d’aider les étudiantes et étudiants à développer leur esprit critique.» Le responsable des DLL cite bien évidemment la montée en puissance de l’intelligence artificielle, «qui rend nécessaire un questionnement permanent de la valeur et de la pertinence des informations récoltées». Quant à la sensibilité croissante à la durabilité, «même si elle est en soi très positive, elle doit elle aussi s’assortir d’un regard critique pour entraîner des actions éclairées».
Dans le cas spécifique des matériaux, il s’agira notamment de prendre en compte toute la chaîne de production «afin de ne pas tomber dans le piège de la pseudo-durabilité». Durant les cours, les étudiantes et étudiants sont par exemple encouragés à se demander quand utiliser des fibres naturelles et quand le carbone est plus pertinent. Ou si, dans un cas donné, les polymères biodégradables sont préférables aux polymères biosourcés. «Ce genre de questionnement permet ensuite de dévier sur les nouveaux procédés de fabrication.»

© 2019 EPFL
Engagement sur toute la chaîne
Ses quelque trente ans d’enseignement à l’EPFL le lui ont appris, il est particulièrement intéressant de mélanger les disciplines, par exemple de réunir des étudiantes et étudiants en matériaux, en mécanique et en sciences de la vie. «Ils sont alors confrontés à la fois à tout ce qu’ils savent… et à tout ce qu’ils ne savent pas!» Pierre-Etienne Bourban a par ailleurs à cœur de leur transmettre l’importance de s’engager sur toute la chaîne de production. «Un bon ingénieur ou ingénieure en matériaux qui travaille dans l’industrie devrait être capable de discuter aussi bien avec les chimistes qu’avec les membres de l’équipe de communication.» Il en va, là aussi, de la capacité «à exercer un esprit critique éclairé au sein de l’entreprise et de la société».