«Je suis fascinée par la manière dont les humains apprennent»
Tanja Käser a débuté à l’EPFL en pleine pandémie de Covid. Trois ans plus tard, elle donne un cours rassemblant quelque 600 personnes, et est la lauréate du Credit Suisse Award for Best Teaching 2023.
Lorsqu’elle a été engagée en tant que professeure assistante tenure track à l’EPFL en informatique et systèmes de communication, Tanja Käser ne s’imaginait pas son premier jour seule, assise à un bureau aménagé dans un coin de sa chambre à coucher. C’était en mai 2020, en pleine pandémie de Covid. « C’était bizarre dans cette situation de me dire que j’étais désormais professeure à l’EPFL », sourit-elle. « J’ai rencontré mes collègues en personne seulement après plusieurs mois.» Semestre d’automne, puis de printemps, ses premiers cours se déroulent en ligne. En face d’elle, un écran orné de visages ou de rectangles noirs affichant des noms encore inconnus.
La responsable du laboratoire d’intelligence artificielle pour l’éducation a plongé dans l’enseignement de manière atypique. De quoi consolider dès le départ une méthode pédagogique solide, basée sur trois piliers: l’apprentissage actif, la répétition et la connexion entre théorie et pratique. «Je pense qu’une bonne enseignante doit savoir « lire » une classe et fournir à chacune et chacun les ressources qui lui permettent d’apprendre au mieux.» Cet objectif la guide et a fait d’elle la lauréate 2023 du prix Credit Suisse pour le meilleur enseignement. «Je suis fascinée par la manière dont les humains apprennent.»
Quête de sens
Dans le cadre de sa recherche, Tanja Käser développe des modèles de machine learning qui permettent de comprendre cet apprentissage et de le favoriser. «C’est vraiment important pour moi d’avoir un impact, et j’aime aussi beaucoup le côté éthique, c’est essentiel lorsqu’on manipule des algorithmes en lien avec l’éducation.»
Je pense qu’une bonne enseignante doit savoir « lire » une classe et fournir à chacune et chacun les ressources qui lui permettent d’apprendre au mieux.
Si elle apprécie analyser l’acquisition de connaissances, l’enseignement n’était pas vraiment sur son plan de carrière. «Bien au contraire, je viens d’une famille d’enseignants, et je ne voulais surtout pas faire ça.» Par contre, elle a toujours souhaité effectuer un travail avec du sens, un impact concret. Les sciences de l’éducation sont donc naturellement venues se greffer à sa passion pour l’informatique. Elle a eu le déclic pour cette dernière grâce au génie civil. «Je participais à une semaine découverte dédiée aux filles à l’ETHZ et il y avait des démos virtuelles incroyables en génie civil, j’ai vu ces images et je me suis dit c’est génial.» Après ses études, elle travaille une année en tant que consultante chez McKinsey, avant de se replonger dans la recherche pour son doctorat.
600 personnes à captiver
Chercheuse passionnée par l’éducation, Tanja Käser s’engage aussi intensément pour ses cours, notamment celui de première année qu’elle donne pour la seconde fois cet automne à 600 étudiantes et étudiants. Chaque semaine, au Forum Rolex, elle leur transmet les fondements des mathématiques discrètes, essentielles pour créer et évaluer des algorithmes. Elle ne s’en cache pas, une audience aussi nombreuse n’est pas idéale d’un point de vue pédagogique. Et coordonner l’équipe de 30 assistants-étudiants et 10 assistants-doctorants qui la soutiennent demande beaucoup d’énergie.
Comment conserver l’attention de plusieurs centaines de personnes, dont il est impossible de saisir tous les regards ? «J’essaye de parler 10-15 minutes maximum, puis je pose des questions à l’aide de l’application SpeakUp. Les étudiantes et étudiants peuvent alors échanger entre eux et ça me permet de voir ce qu’ils ont compris ou non. Dans cette même optique, je fais aussi au cours du semestre 4 quizz sur la matière vue, pour m’assurer qu’ils sont à jour. Ca fonctionne bien et je suis vraiment contente car c’était un très gros job de mettre en place ce cours.»
Le travail prend parfois beaucoup de place, y compris le week-end. Mais elle ne se lasse pas d’explorer les algorithmes et les rouages de l’apprentissage. Pour son cours de Master « Machine Learning for Behavioral Data », elle a développé une approche par projet, en collaboration avec le Swiss EdTech Collider qui rassemble des starts-up actives dans les technologies éducatives.
«Pour chaque cours, nous sélectionnons 2-3 start-ups qui ont envie de partager leurs données. Les étudiantes et étudiants travaillent ensuite par groupe de trois sur les données de leur choix. Pour les start-ups, c’est l’occasion d’avoir des ressources pour exploiter leurs données. Pour les étudiantes et étudiants, ça leur permet de mettre en pratique ce qu’ils apprennent, en se confrontant à des problématiques concrètes et en faisant quelque chose d’utile.» Au terme du semestre, chaque groupe présente un poster aux start-ups et à l’équipe d’enseignement. Un moment d’échange stimulant qui tranche avec ses débuts seule face à son écran. Heureusement.