«Je suis devenue une experte du camouflage»

Nathalie Bui © Alain Herzog / EPFL 2023

Nathalie Bui © Alain Herzog / EPFL 2023

Nathalie Bui est étudiante en Master de chimie. Souffrant d’une légère forme d’autisme, elle participera à une table ronde le 9 octobre dans le cadre des Jours santé.

Elle vous regarde droit dans les yeux, sans ciller. Seule sa respiration un peu saccadée laisse entrevoir son stress. Ses réponses sont courtes ; elle n’a pas l’habitude des longs discours. Et pourtant elle en a, des choses à dire ! Tant de choses qu’elle essayait avant de dissimuler: «A force, je suis devenue une experte du camouflage», reconnaît Nathalie Bui, étudiante en 1e année de Master de chimie.

Atteinte du syndrome d’Asperger, elle a rejoint le projet EPFL sans barrières, qui vise à améliorer l’accessibilité et l’inclusion des personnes rencontrant différents types de difficultés. A ce titre, elle participera lundi 9 octobre à la table ronde Work environments for neurodiverse people dans le cadre des Jours santé organisés par la Task Force santé mentale et bien-être de l’EPFL, le Centre Sport Santé UNIL-EPFL et l’Université de Lausanne.

Elle prévoit d’être «un peu stressée, mais je ferai de mon mieux». Alors pourquoi le faire? «Pour sensibiliser les profs et les acteurs principaux, les étudiants aussi, en particulier ceux qui ont le même problème que moi. Je pourrai peut-être leur donner des conseils pour s’en sortir mieux.»

Car elle sait ce qui est possible, et ce que cela coûte: «Quand une personne autiste se fait interviewer, elle a tendance à détourner le regard. Mais depuis petite, je me suis forcée à regarder dans les yeux.» Est-ce épuisant? «De l’extérieur on ne le voit pas trop, mais j’ai la sensation d’être fatiguée, d’être paralysée aussi, d’être un peu effondrée.»

Quand une personne autiste se fait interviewer, elle a tendance à détourner le regard. Mais depuis petite, je me suis forcée à regarder dans les yeux.

Nathalie Bui, étudiante en Master de chimie, membre du projet EPFL sans barrières

Une scolarité en marge

Petite, elle a été placée dans une classe d’accueil avec des enfants allophones, alors qu’elle est née et a grandi à Lausanne. «Ils n’avaient pas trop compris», dit-elle avec un petit rire en évoquant la direction de l’école. Pendant sa scolarité, elle restait dans son coin. Comme beaucoup de gens dans son cas, elle répétait certaines phrases de manière compulsive. «Maintenant mon subconscient me dit non. J’arrive à me contrôler si le sujet a déjà été dit.»

Elle n’a connu que ce type de classe jusqu’à la fin de sa scolarité obligatoire, ce qui ne l’a pas empêchée de progresser. Puis elle a passé sa maturité fédérale dans une classe normale, mais en école privée, option maths renforcés, où elle excellait. Ce qui l’a conduite tout naturellement à s’inscrire à l’EPFL, section maths. Le premier semestre, en 2014, la mène tout droit au burn-out et à l’arrêt. A l’époque, la MAN (mise à niveau) n’existait pas. «Plein de gens tombaient», se souvient-elle.

Aménagements

Elle reprend l’année suivante en chimie, discipline «moins abstraite, plus concrète» que les mathématiques. «Au début, en propédeutique, c’était très difficile, je ne connaissais pas les aménagements. Mais ensuite on m’en a parlé et j’ai pu les avoir.» Cela lui permet d’effectuer ses études à temps partiel, avec un tiers temps supplémentaire pour les examens, et de bénéficier de l’accompagnement d’un assistant-doctorant pour les manipulations pendant les travaux pratiques. En tout, elle mettra huit ans à terminer son Bachelor.

Loin du cliché de la personne autiste surdouée avec les chiffres, elle explique qu’il lui faut toujours énormément de temps pour s’adapter à une situation nouvelle. «Si je suis face à des choses dont je suis déjà familière, je m’en sors mieux. C’est difficile pour moi de réussir du premier coup.» Quand on lui pose des questions pièges aux examens, elle dit avoir de la peine à les interpréter. Avec le temps, elle a appris à interroger davantage les enseignants, surtout quand elle refait un cours pour la deuxième fois.

Si je suis face à des choses dont je suis déjà familière, je m’en sors mieux. C’est difficile pour moi de réussir du premier coup.

Vaincre la solitude

L’autre aspect dont elle souffre se situe au niveau des relations sociales. «On m’a toujours trouvée bizarre», avoue-t-elle. «Mais j’essaie d’aller vers les autres. J’ai fait du coaching en 2e année, j’ai aussi été déléguée de classe pendant une année en plein covid, et suis au Conseil de la Faculté des sciences de base depuis 2021. C’est mon troisième mandat.»

Elle a aussi un peu goûté à la vie associative, «mais ce n’était pas pour moi. Chronophage et néfaste pour ma santé mentale». En voyage avec son groupe, elle avait dû se faire accompagner par ses parents: «Mon indépendance était loin d’être au top».

Le fait d’être hypersensible au bruit ne l’aide pas non plus à socialiser. Aujourd’hui pourtant, elle dit avoir « des amis très proches, très complices: des personnes très diverses, certaines homosexuelles ou transgenre, toutes valides». Se voit-elle donc comme invalide? «Disons plutôt neuro-divergente…» Avec la difficulté supplémentaire d’être une migrante de deuxième génération: «J’ai connu des difficultés d'acceptation en étant racisée, et des fois on me parle en anglais plutôt qu’en français.»

Un nouveau type de mentorat

Avec le projet «EPFL sans barrières», elle espère que l’Ecole réussira à mettre en place un système de mentorat spécialisé par des personnes concernées au premier degré, «pour d’autres handicaps aussi, comme les handicaps sensoriels ou les maladies chroniques». Elle-même se verrait bien mentorer d’autres autistes en 1e année de Bachelor. Elle les encouragerait à «travailler en groupe, se faire des amis, parler à leur coach».

Elle attend aussi beaucoup du résultat de l’appel à témoignages lancé pendant l’été 2023 par le groupe de travail. Peut-être que cela lui permettra de connaître d’autres personnes dans son cas, qu’elle appelle à la contacter personnellement si besoin.

Il faut être honnête avec soi-même, je ne veux plus me cacher. Cela pourra sûrement aider d’autres personnes.

Elle espère aussi que les données récoltées lui permettront plus tard d’alimenter une thèse, qu’elle se verrait bien réaliser sous la direction de sa propre psychiatre, la Doctoresse Nadia Chabane, professeure au CHUV. Quel serait alors son sujet? «Le cadre social, le fait que les personnes autistes sont toutes perdues, la solitude…».

Elle rêve ainsi de faire mieux comprendre le vécu des personnes comme elle. C’est pourquoi Nathalie Bui a maintenant non seulement accepté - mais surtout envie - de s’exposer: «Il faut être honnête avec soi-même, je ne veux plus me cacher. Cela pourra sûrement aider d’autres personnes.»