« Je passe rarement une journée sans construire quelque chose »
Stéphane Clerc coache les étudiantes et étudiants au SKIL depuis 6 ans, mais cela fait près de 20 ans qu’il navigue dans le sillage de l’EPFL via de grands projets qui ont marqué les esprits comme Alinghi ou Solar Impulse.
Trois containers, trois étages dédiés aux projets étudiants. Bienvenue au SKIL,Student Kreativity and Innovation Laboratory. On y scie, colle, fabrique, découpe, du bois, du carton. On y manipule des machines numériques, des imprimantes 3D, on y construit ses premiers prototypes. Au SKIL, on cultive sa créativité. Dans la poussière et la motivation, il y a Stéphane Clerc qui nourrit l’envie. « Mon rôle est d’apprendre aux étudiantes et étudiants à travailler de leurs mains. Je les aide à passer de la théorie à la pratique, à connaître les matériaux, les façons de concevoir, mais aussi comment gérer un projet. »
Une tâche que le coach accomplit depuis 6 ans avec ses deux autres collègues à l’expérience solide, un autre « Stéphane » Pilloud, ex-constructeur de bateau et apiculteur, et Marc Wettstein, globe-trotter qui a écumé le monde pour couvrir de grands évènements et des conflits. « Nous sommes là pour mettre au défi les étudiantes et étudiants, pour les pousser plus loin dans la réflexion, mais aussi pour les freiner. On aime à dire qu’à nous trois on a plus de 100 ans d’expérience. »
Du bois au carbone
Ébéniste de formation, Stéphane a effectué son apprentissage en Suisse. Un cursus rêvé avec un patron hyper motivé. « Pour l’anecdote, il avait obtenu une maîtrise provisoire, on lui avait accordé une dérogation pour m’avoir comme apprenti. J’étais obligé de réussir pour qu’il obtienne lui sa maîtrise fédérale. C’est vous dire s’il m’avait à l’œil. Pendant 4 ans il m’a drillé comme un fou. »
Très curieux et amoureux de la montagne, le jeune ébéniste décide, quelques années plus tard, de changer de cap. Il veut toucher à d’autres matières. Il saisit l’opportunité d’entrer dans le monde du snowboard, chez Nidecker à Rolle, pour y développer de prototypes et découvrir de nouveaux matériaux.
Stéphane est ensuite engagé chez Décision SA, spécialiste des matériaux composites. « Pendant les 22 ans que j’ai passés chez Décision, on a fait des centaines et des centaines de projets, de prototypes. Que cela soit dans le naval, l’aérospatiale, l’aéronautique, l’automobile, le sport, le bâtiment, c’était un champ d’action très vaste. J’ai eu l’occasion de participer à l’élaboration des différents bateaux d’Alinghi, qui ont gagné la Coupe de l'America en 2003 à Auckland et en 2007 à Valence. J’ai d’ailleurs suivi le bateau à Valence avec l’équipe de maintenance. On réparait et on modifiait le bateau selon les besoins. »
Solar Impulse, le projet fou
Puis est né le projet audacieux de Solar Impulse. Bertrand Cardis, directeur de Décision SA, connaissait depuis longtemps André Borschberg, pilote d’avion. Tous deux étaient amis et diplômés de l’EPFL. À cette époque, André Borschberg, en collaboration avec Bertrand Piccard, qui venait de boucler un tour du monde en ballon, envisageait de construire un avion solaire en carbone pour accomplir un tour du monde sans carburant fossile. Un projet d'une audace incroyable.
« On partait d’une feuille blanche. Au début, nous étions une quinzaine de collaborateurs dont certains n’avaient jamais touché un bout de carbone. Nous avons dû tout réaliser, de la construction des moules à la recherche des colles adéquates. Il a fallu tout concevoir à la main, les 2500 pièces en carbone de l’avion et les autres, soit 6000 pièces par avion, chacune étant un prototype, elles devaient être testées pour être certifiées « aptes à voler ».
D’autres défis titanesques restaient à relever, comme l'installation et l'encapsulation des 11 628 cellules photovoltaïques nécessaires pour couvrir les 63 mètres d'envergure des ailes. Il a fallu quatre ans de travail acharné avant de pouvoir réaliser les premiers essais de vol. « Je rentrais le soir et je continuais à travailler. Solar Impulse a hanté mes rêves et aussi mes cauchemars pendant dix ans. Ce projet dément est inscrit en grand dans mon CV. J’ai conservé quelques pièces que j’avais fabriquées à l’époque et je porte encore les t-shirts», plaisante-t-il. Lorsque le projet SKIL est né à l’EPFL, Stéphane Clerc a eu envie de partager toute cette expérience.
Coach la semaine, bricoleur le dimanche et même pendant les vacances : « Je passe rarement une journée sans construire quelque chose, que cela soit pour moi, pour mes amis ou mes voisins. » Pendant le Covid, son atelier privé était devenu le rendez-vous de tous les gamins du quartier, « un peu comme au SKIL, mais pour les enfants. Puis les parents sont venus aussi bricoler, on avait le temps. Une fois le Covid fini, les copains avaient pris l’habitude de venir : du coup, je continue à réparer, restaurer, conseiller. »