«Je ne travaille pas pour l'EPFL, je travaille pour les étudiants»

Alice Emery-Goodman, coordinatrice du Summer Research Program. 2024 EPFL/Adrien Buttier - CC-BY-SA 4.0

Alice Emery-Goodman, coordinatrice du Summer Research Program. 2024 EPFL/Adrien Buttier - CC-BY-SA 4.0

Le 5 octobre 2024, Alice Emery-Goodman a reçu le Prix de l’engagement exceptionnel de l’EPFL. Depuis 15 ans, elle porte à bout de bras le Summer Research Program de la faculté des Sciences de la vie.

Donner de l’assurance. Aider les jeunes à atteindre un but. C’est le carburant durable et renouvelable d’Alice Emery-Goodman. Elle l’a utilisé pour élever ses enfants; elle l’emploie aujourd’hui pour accompagner les étudiantes et étudiants du Summer Research Program. Son engagement remarquable depuis 15 ans pour offrir ce tremplin lui a valu le Prix de l’engagement exceptionnel de l’EPFL. Il lui a été remis lors de la Magistrale, le 5 octobre dernier.

D’origine américaine, la scientifique suisse a traversé l’Atlantique en 1989 pour travailler à l’ISREC, fondation active dans la recherche contre le cancer. Quatre ans plus tard, la maman choisit d’abandonner sa carrière pour élever ses enfants. «C’est un choix que je ne regrette absolument pas.» En 2009, la progéniture sur de bons rails, elle décide de reprendre un travail rémunéré. Trop d’eau a coulé sous les ponts pour que la chercheuse espère poursuivre une carrière dans un laboratoire. En revanche, elle veut rester dans le domaine scientifique. Alice postule dans une grande multinationale du bord du lac, mais on lui fait comprendre qu’elle a passé trop de temps à la maison… Le professeur Didier Trono n’est pas de cet avis. «Il m’a dit : “Je comprends parfaitement votre décision de sacrifier votre carrière pour élever vos enfants“ et il m’a engagée!»

Donner une chance à celles et ceux qui n'en ont pas

Alors doyen de la faculté des Sciences de la vie de l’EPFL, Didier Trono lui remet immédiatement les clés du Summer Research Program. Ce programme né en 2006 immerge durant deux mois de brillants étudiants et étudiantes du monde entier, en fin de Bachelor ou début de Master, dans des laboratoires de sciences de la vie. On est en mars, ils et elles arrivent début juillet, Alice plonge. «Le programme visait alors à recruter des jeunes issus des universités les mieux classées au niveau international. Au fil des ans, nous avons changé les critères dans le but de donner une chance à ceux qui n’en ont pas.» La volée 2024 reflète cette diversité: 21 étudiantes et étudiants, 15 nationalités, un tiers issu de pays à revenu faible ou intermédiaire, une majorité de femmes.

Triés sur le volet parmi plus de 1000 candidatures, les participants et participantes sont invités par la faculté SV et des fonds externes, transport et logement inclus, sur le campus lausannois ou genevois de l'EPFL. Outre leur travail de recherche dans un laboratoire, ils et elles bénéficient de séminaires sur des thématiques telles que l’éthique, le changement climatique ou le leadership ainsi que de témoignages de professeurs et scientifiques seniors. Des activités de socialisation – une incontournable raclette, une randonnée dans les Alpes notamment – complètent l’expérience unique.

Quand les étudiants arrivent, c’est comme le jour de Noël!

Alice Emery-Goodman, coordinatrice du Summer Resarch Program à l'EPFL

Orchestrer tout cela requiert de suivre une partition bien huilée au fil des mois. En ce moment, c’est le temps des remerciements aux sponsors et des remboursements des frais. Bientôt viendra celui de la mise en ligne de l’appel à candidatures, des questions, des évaluations. Après les sélections, en étroite collaboration avec les laboratoires, il s’agira de soutenir les demandes de visas, d’organiser les logements, le programme, les séminaires, le livret d’accueil. Et puis, on sera début juillet : «Quand les étudiants arrivent, c’est comme le jour de Noël!», s’émerveille Alice, des étoiles plein les yeux. Elle les entoure et les chaperonne durant leur séjour. Parfois elle s’accorde des vacances en été; puis le regrette un peu.

Un prix pour toutes les assistantes administratives

Alice suit dans la mesure du possible la carrière de ses protégés. «Je les invite sur LinkedIn, les relance 3 ou 4 ans après leur passage pour savoir ce qu’ils sont devenus. S’ils reviennent à l’EPFL, c’est la cerise sur le gâteau.» Dans l’ensemble, 8 sur 10 poursuivent un doctorat. La pluie de témoignages positifs comble la coordinatrice. Elle tire sa satisfaction du fait de savoir qu’elle a «joué un rôle positif dans la vie d’un étudiant ou d’une étudiante.» Un rôle qui parfois transforme une destinée.

Mais Alice ne choie pas seulement ceux qui réussissent. «Quand, j’ai le temps, j’envoie aussi des messages à celles et ceux qui ne sont pas sélectionnés. Je les conforte dans le fait que ne pas être pris ne signifie pas qu’ils sont mauvais. Je les encourage à trouver leur voie, car une porte qui se ferme, c’est un autre chemin qui s’ouvre. Parfois, ils me remercient. Je me dis que, finalement, je ne travaille pas pour l’EPFL, mais pour les étudiants et étudiantes.»

Ce Prix de l’engagement exceptionnel, Alice le considère surtout comme une reconnaissance de tout le travail que font au quotidien les assistantes administratives – et oui, ce sont principalement des femmes - «sans lesquelles l’EPFL tomberait en miettes».

Voir l'humanité dans l'autre

Engagée, Alice l’est encore davantage que le prix le laisse entendre. Hors de la sphère professionnelle, elle soutient deux causes qui lui sont chères: le climat et l’approche non-violente du conflit israélo-palestinien. «J’ai visité la Palestine et Israël en 2019, et j’ai été extrêmement touchée. Voir l’occupation, la sentir, l’entendre, c’est autre chose que de savoir qu’elle existe. J’ai voulu faire quelque chose et, déjà avant le 7 octobre, j’ai eu l’idée d’inviter Bassam et Rami. Ces deux pères, israélien et palestinien, qui ont perdu leur enfant et se battent pour que cette expérience horrible n’arrive pas aux autres, ont la clé de la résolution de ce conflit. Ils voient l’humanité dans l’autre, ce qui leur permet de vivre ensemble. C’est une leçon applicable au quotidien.»

Le 7 octobre 2023 a accéléré les choses et, la semaine dernière, en collaboration avec l’aumônerie EPFL-UNIL, les deux pères ont témoigné devant la communauté EPFL. «J’espère que les étudiantes et étudiants palestiniens et juifs choisiront d'imiter Bassam et Rami et prendront l'initiative de s'écouter les uns les autres, de mieux se comprendre et peut-être de travailler ensemble à la paix dans leur pays.» Chacun et chacune peuvent cette fois l’aider à atteindre son but.