«Je ne mens pas à mes étudiants: ce ne sera pas facile»
A titre privé, Daniel Kuhn aime résoudre les problèmes. A titre professionnel - aidé d’un ordinateur et de solides compétences en maths et en physique – il s’attaque carrément à des casse-têtes.
Quand les congés de fin d’année approchent et que les étudiantes et étudiants célibataires se demandent qui ils vont pouvoir emmener au traditionnel repas de famille, le dernier cours de Daniel Kuhn tombe à pic. Le professeur le consacre généralement au «problème du mariage», une stratégie systématique permettant de trouver le partenaire optimal. Les exemples et analogies peu orthodoxes permettant d’expliquer – et de graver dans la mémoire de son auditoire – des concepts phare de l’analyse des risques et de l’optimisation, le meilleur enseignant 2023 de la section du management de la technologie et de l’entrepreneuriat de l’EPFL en a d’autres en stock. C’est ainsi grâce à un tour de magie, durant lequel il lit dans les pensées d’une étudiante ayant pioché au hasard une carte dans un jeu de poker, qu’il illustre la loi des grands nombres d’après Markov.
Est-ce une manière, pour ce diplômé en physique théorique et en économie, d’adoucir l’enseignement de matières souvent considérées comme peu digestes? «Ce qui est sûr, c’est que je ne mens pas à mes étudiants; je joue cartes sur table en début de semestre et les avertis que ce ne sera pas facile.» Pour garder les jeunes femmes et hommes qui assistent à ses cours sur le bateau, Daniel Kuhn leur explique «à quel point toute cette théorie, aussi ardue soit-elle, a des applications concrètes». Par ailleurs, «je laisse beaucoup de place aux exercices pratiques». Dans sa salle de classe, on planche sur des défis passionnants tels que la stabilisation des réacteurs d’un avion ou l’optimisation de l’utilisation – sur les patients cancéreux - des rayons gamma afin de ne pas détruire simultanément les cellules saines. «Je fais partie de ces professeurs chanceux qui gagnent leur vie en enseignant ce qu’ils aiment et qui les intéresse le plus; logiquement, je suis hyper enthousiaste et j’imagine que cela aide à faire passer la pilule, et peut-être même à avoir du plaisir à venir en cours», ajoute-t-il.
Celui qui a officié, avant de rejoindre l’EPFL en 2013, au sein du corps enseignant de l’Imperial College London, en est bien conscient: s’il veut s’assurer le plein investissement des étudiantes et étudiants, il doit s’investir pleinement en retour. «J’ose l’affirmer: je suis là pour eux, je les regarde dans les yeux, je cultive la pratique du feedback.» Daniel Kuhn avoue qu’il a plutôt mal vécu la période Covid-19 et les cours en ligne. «Toutes ces caméras éteintes, ces micros coupés, bref, ce manque cruel de contact direct m’a beaucoup pesé.» C’est avec la même note d’amertume dans la voix qu’il regrette que depuis la crise pandémique, les étudiants viennent moins en cours, «surtout ceux qui ont de la peine». Heureusement, l’engagement du professeur de recherche opérationnelle ne passe pas inaperçu: deux ans de suite, son cours de niveau Master intitulé «Optimal decision making» a reçu 100% d’évaluations positives de la part des étudiants.
Par plaisir plutôt que par cœur
Interrogé sur la valeur la plus importante qu’il souhaite transmettre à travers ses enseignements, Daniel Kuhn répond sans hésiter: «La clarté de pensée!» Il poursuit: «L’optimisation est un champs mathématique, qui repose sur des théorèmes et des preuves; la vraie clarté de pensée ne peut être atteinte que si j’inculque à mon auditoire – même s’il est composé d’étudiants en ingénierie et en management – les fondements théoriques de la discipline sans faire aucun compromis sur la rigueur ou la complexité.» Il en revient à l’importance de trouver l’équilibre idéal entre théorie et pratique afin de ne pas dégoûter les étudiants. Voire, à l’inverse, les convertir aux joies des mathématiques.
«Moi, j’ai toujours aimé les maths, même enfant», se souvient le titulaire de la chaire RAO (Risks Analytics and Optimization), dont la thèse de doctorat portait déjà sur la recherche opérationnelle. Son intérêt pour la physique, lui, est venu progressivement, «au contact de personnes de mon entourage qui la pratiquaient». Lorsque, par la suite, l’informatique a fait irruption dans sa vie, «j’ai réalisé que toutes ces passions combinées pourraient même m’être utiles dans la vie», plaisante-t-il. «C’est cette importance du plaisir à étudier que j’essaie de transmettre à mes étudiants!» Après tout, ils ne peuvent en retirer que des avantages: «Il est beaucoup plus facile et efficace d’utiliser une matière qu’on apprécie et qu’on comprend que des notions apprises par cœur.»
Avec et sans ordinateur
En dehors des salles de cours aussi, Daniel Kuhn a l’occasion d’utiliser efficacement cette matière qu’il apprécie. «Mes recherches actuelles portent entre autres sur l’optimisation axée sur les données, ainsi que sur le développement de méthodes computationnelles pour résoudre les problèmes stochastiques», c’est-à-dire liés à des séquences de mouvements aléatoires. Daniel Kuhn participe notamment à un projet initié par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité Swissgrid, visant à optimiser le contrôle des installations, notamment en utilisant des drones. Et en tenant compte du champs de contrainte suivant: d’une part la nécessité d’être en mesure d’intervenir en moins d’une demi-heure n’importe où dans le pays et d’autre part, la volonté d’acquérir le moins de drones possible.
N’est-ce pas un casse-tête? «Savoir poser concrètement un problème d’optimisation, puis créer un algorithme capable de le résoudre, c’est justement ce qui figure au centre de ma discipline!» Daniel Kuhn ajoute avec un clin d’oeil: «A titre privé aussi, je suis une personne qui aime trouver des solutions aux problèmes… même sans l’aide d’un ordinateur.»