«Je ne me suis jamais dit que ça allait être impossible»

Clémence Bachmann | 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Comme d’autres étudiantes ayant obtenu la note maximale à leur travail de Master tout en combinant sport, bénévolat et voyages, Clémence Bachmann est exceptionnelle. Elle a cependant quelque chose en plus. Ou plutôt en moins. Elle est quasiment aveugle.
«Chouette, (…) très chouette, (…) vraiment chouette, (…) super chouette, (....) hyper chouette!» Faites connaissance avec Clémence Bachmann, et la vie résonnera comme une succession de moments incroyables, de rencontres géniales et de sentiments puissamment positifs. Sauf que peu de gens seraient prêts à troquer leur existence contre la sienne. Depuis l’âge de 11 ans, son champ de vision se limite à quelques centimètres, conséquence d’un grave et subit problème de santé qui ne lui a pas coupé les ailes pour autant.
«Je pense que je suis une personne qui adore apprendre, positive, avec beaucoup d'énergie et d'enthousiasme, une grande passionnée», raconte la jeune femme. Elle l’a prouvé à chaque étape de ses études à l’EPFL, et va maintenant entamer un doctorat en Allemagne. Nouvel environnement, nouvel entourage: rien ne lui fait peur. «J’aime bien partir à l’aventure», dit-elle modestement.
Accepter le handicap
Cela n’a pas toujours été aussi simple. «J'ai naturellement passé par cette phase où j'ai dû accepter mon handicap… Il faut accepter d'être différente et d'apparaître comme telle aux yeux des autres, mais que pour autant sa valeur n'en est pas changée. En plus, c'était au début de l'adolescence, lorsque les gens sont bêtes, où les enfants sont encore méchants.»
Jusqu’à la fin de sa scolarité obligatoire dans le Nord vaudois, Clémence bénéficie de l’assistance d’une accompagnatrice : «Elle faisait les yeux, je faisais le cerveau». Puis, progressivement, elle apprend à devenir autonome. Petite, elle participe plusieurs fois à des programmes de promotion des sciences organisés par l’EPFL. Elle décide très tôt que c’est dans cette école qu’elle tentera d’aller étudier et que ce sera la physique, «parce que c’est incroyablement intéressant et amusant».
On lui déconseille alors fortement cette voie, lui suggérant plutôt de se tourner vers un métier comme téléphoniste. Cependant, elle ne l’entend pas de cette oreille. «Pour certains, il n'y avait pas de case combinant malvoyance et études universitaires dans les sciences. Mais j'ai toujours eu des doyens, des directeurs et des parents soutenants. Au début ça a été un peu une bataille, mais dès que les premiers résultats sont arrivés, cela a été accepté.»
Orientée solutions
Chaque nouvelle découverte est une petite victoire pour Clémence. Par exemple, «dès mon entrée au gymnase, j'ai commencé à écrire en LaTeX toutes mes formules mathématiques. Au début, on m'a dit que ce serait trop compliqué. Je l'ai quand même fait et ça a été, je pense, une des meilleures décisions, car lorsque j'ai commencé l'EPFL, ça faisait déjà trois ans que j'écrivais en LaTeX. Selon moi, c'est la seule manière de pouvoir accéder de manière précise et concise à un contenu mathématique avec une synthèse vocale.»
De même, ses premiers pas à l’EPFL sont immédiatement orientés solutions. Quelques mois avant la rentrée, elle prend contact avec l’institution pour annoncer son intention et réfléchir aux aménagements possibles, que ce soit en laboratoire, pour les supports de cours ou pour les futurs examens, sujet qui reviendra souvent et nécessitera pas mal de créativité. «L'accueil par la Section de physique a été géniale», souligne-t-elle. Côté logement, ce sera l’Atrium, une des résidences universitaires au cœur du campus. Les lignes blanches que l’on voit aux pieds et en haut de la plupart des escaliers du campus, c’est à elle qu’on les doit. «A la base, il n'y avait pas de marquage, aucun contraste. Et puis j'ai demandé. En deux ou trois semaines, ça a été fait.»
Pendant les cours, elle ne peut évidemment pas lire le tableau noir ou les slides des présentations. Elle dépend entièrement des informations orales que dispensent les profs. «Parfois j'arrivais à accéder à 80 ou 90% de l'information, parfois même quasiment à 100%. Et puis parfois c’était seulement 30%. Il fallait alors que j'aie à ma disposition un support numérique accessible.»
La lecture des contenus mathématiques est un vrai défi. «Durant tout mon Bachelor, j'ai dû passer par un centre de transcription pour adapter mes supports de cours. C'était embêtant, parce qu’il y a des délais d'attente et que je devais prioriser. Puis, au début de mon Master, j'ai trouvé le logiciel Mathpix. Il permet de numériser les PDF, que je peux alors exporter dans un format accessible avec un lecteur d'écran, en LaTeX ou en HTML. Cela me donne une liberté incroyable, car je peux désormais accéder à tout le contenu que je veux.»
Les outils informatiques se multiplient notamment avec les progrès de l’intelligence artificielle, mais les mises à jour s’accompagnent aussi régulièrement de bugs. Clémence fait face. A chaque problème sa solution. Rien n’est jamais simple. Elle passe un temps considérable à juste chercher des informations et à régler des soucis d'accessibilité.
Savoir communiquer
Et puis il y a le facteur humain. Pendant la première année de son Bachelor, elle voit un assistant chaque semaine pour faire le point. «La clé, c'est d'être consciente de ses limites et de ses besoins, et juste d'aller discuter avec les gens pour voir ce qui est possible. La communication est très importante dans toutes les sphères de la vie, mais en particulier si on a une condition particulière. Savoir communiquer et être au clair avec soi-même.»
Pour cela, ses années à l’EPFL resteront inoubliables. «Je me suis fait un super groupe d'amis dès le premier semestre. Et ça n'a rien à voir avec la vue. Je me suis juste retrouvée avec des personnes motivées à apprendre, qui étaient contentes d'être là, avec qui je pouvais vraiment échanger. Et pour autant, je n'ai pas besoin de parler de physique matin, midi et soir. C’est juste un état d'esprit.»
On découvre alors les nombreuses passions que Clémence entretient. Investie depuis 2019 dans les Olympiades de physique pour préparer des jeunes à affronter la compétition nationale et internationale, elle a accumulé encore bien d’autres sortes d’activités tout au long de ses études.
Des passions diverses
Musicienne, elle joue du saxophone depuis qu'elle a 8 ans et a joué au sein de l'EPFL Big Band pendant trois ans. Sportive, elle a continué à faire du ski grâce aux guides du Groupement romand de skieurs aveugles et malvoyants (GRSA). Elle s’est aussi lancée dans la danse en couple - rock, swing, Lindy hop, tango argentin, danses de salon et folkloriques -, elle qui fait de la danse classique depuis petite. «C'est super chouette aussi pour rencontrer des nouvelles personnes!»
Voyageuse, elle a découvert le Japon en partie en solitaire, et a même effectué une année d’échange en Norvège, qu’elle a rejoint en train, «parce que je trouvais ça fun, et que je trouve mieux de voyager en train.» Sa pire galère? «Je ne sais pas... Un de mes logiciels essentiels pour écrire et lire LaTeX a une fois arrêté de fonctionner au tout début d'un examen... J'ai aussi eu un ou deux cours qui ont été particulièrement difficiles, juste pour des raisons d'accessibilité. Ces situations sont très frustrantes. Il m'est bien sûr aussi arrivé une ou deux fois de prendre un mauvais train ou bus (…). Mais il y a des gens gentils partout. Honnêtement, j'ai presque toujours trouvé une solution, que ce soit seule ou avec l'aide de quelqu'un.»
Mobilité et fluidité
Et devinez comment s’est passée son expérience de mobilité estudiantine? «Ça a été une année fantastique!» En plus, l’application qui permettait de s’orienter dans les bâtiments est utilisable avec Voice Over à la Norwegian University of Science and Technology (NTNU), se souvient-elle. Ce qui l'a marquée, là-bas, «c'est qu'ils abordent les choses avec beaucoup plus de décontraction et de simplicité. Par exemple, ils m'ont spontanément proposé de passer certains examens à l'oral à la place de l'écrit.»
C’est également en Scandinavie, lors d’une école d’été en Suède, qu’elle a rencontré pour la première fois celui qui sera dès septembre son directeur de thèse à l’Université de Würzburg.
Son travail de master, pour lequel est a obtenu un 6, note maximale qui ne surprendra personne, portait sur la dynamique des skyrmions dans les cristaux liquides. Les skyrmions étant des défauts topologiques, on se dit que cette jeune femme a décidément réussi à faire des anomalies une marque de succès, et de la fluidité son essence distinctive.
Elle le résume ainsi: «Oui, on peut se lamenter sur son sort, mais la situation, elle, demeure. Alors autant chercher et trouver ce sur quoi on peut vraiment avoir un impact.»