«J'invite le public à venir titiller nos architectes»

Né à Lausanne, Cyril Veillon passe la majeure partie de son enfance à la Vallée de Joux. Après ses études à Lausanne et Genève, il décide de partir à Paris pour réaliser un master en histoire de l’art à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Grand amateur d’architecture et de design, son parcours professionnel lui a permis de partager ses passions avec le public. Il travaille par exemple dans la production de documentaires pour la télévision et le commissariat d’expositions. En 2004, il ouvre une galerie d’art contemporain à Lausanne. Et c’est finalement en 2008 qu’il devient directeur d’Archizoom, une plateforme culturelle de l’EPFL qui réalise deux expositions par an accompagnées de conférences, tables rondes et ateliers. Il remplace ainsi Édith Bianchi, l’ancienne directrice et fondatrice du lieu, partie à la retraite. Voilà donc presque 15 ans que Cyril Veillon œuvre au développement de l’offre culturelle du campus.

Créé en 1974, Archizoom est un espace d’exposition avant-gardiste. «L’EPFL a été pionnière en la matière, puisqu’elle est l’une des premières écoles à instaurer un programme culturel autour de l’architecture ouvert au public», explique-t-il. «Depuis le milieu des années 70, toutes les grandes écoles d’architecture ont un lieu d’exposition. Cela fait partie du circuit de valorisation et de reconnaissance du travail des architectes. L’exposition est très importante en architecture et compte beaucoup dans un CV. C’est ce qui correspond en quelque sorte au peer review par la publication d’article présent dans d’autres disciplines.»

Si sa structure dépend de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), Archizoom reste autonome dans le choix des thématiques abordées. «Il nous est arrivé de décliner des thèmes proposés par la direction de l’École d’architecture», affirme le directeur d’Archizoom. «Contrairement à ce qui se fait dans beaucoup d’institutions, nous avons la chance de pouvoir être plus qu’une vitrine. Notre programme peut être force de proposition. Il accompagne et soutient la recherche et l’enseignement, sans obligatoirement la suivre. C’est l’esprit critique qui doit prédominer.»

Favoriser la prise de conscience

Cyril Veillon et son équipe ont notamment la volonté de traiter de thématiques contemporaines et de répondre à des préoccupations actuelles, voire légèrement en avance sur leur temps. Ils s’appliquent à créer un lien entre les différentes actrices et acteurs du monde professionnel ou académique, architectes établis, étudiantes et étudiants et grand public. Un rôle de médiateur que le directeur apprécie particulièrement: «Même si Archizoom est un lieu d’exposition d’architecture, il ne s’adresse pas uniquement aux architectes. Il est vrai que tout le monde ne se sent pas forcément culturellement concerné par la musique classique ou l’art contemporain, ce sont des choix que l’ont fait; en revanche, l’architecture et l’urbanisme nous touchent tous. On est nécessairement impacté par ces sujets. Avec mes collègues d’Archizoom, nous invitons donc tout un chacun à venir titiller les architectes, questionner leurs pratiques et contribuer aux changements.»

Parmi les thématiques qui l’ont particulièrement marqué, Cyril Veillon cite «Architecture en terre d’aujourd’hui», proposée en 2017 qui a potentiellement favorisé des prises de conscience. «Après cette exposition, on a vu se multiplier les projets d’étudiants en architecture utilisant ce matériau, assure-t-il. Des étudiants maintenant diplômés qui continuent de s’y intéresser pour chercher des alternatives à la monoculture du béton.» En 2020, «Agriculture and Architecture: Taking the Country’s Side» a également eu un bel impact. Construite à partir du cours du professeur invité Sébastien Marot, l’idée était de présenter la co-évolution entre agriculture et architecture tout au long de notre histoire et de proposer des voies possibles pour le futur, notamment en cas de baisse de disponibilité de l’énergie disponible. «L’exposition a engendré un intérêt particulier auprès des élèves, mais aussi plus largement; des responsables de la ville de Genève sont venus en visite officielle», continue le directeur.

Faire perdurer le mécénat familial

Également amateur de littérature, Cyril Veillon est membre du conseil de la Fondation Charles Veillon depuis 1994 et président depuis 2014. Un travail de bénévolat pour lequel il regrette de ne pas pouvoir accorder tout le temps qu’il souhaiterait. «Mon grand-père, Charles Veillon, avait créé un prix littéraire», explique-t-il. «À son décès, cette fondation s’est formée pour continuer cette activité.» Chaque année, un jury remet le Prix Européen de l’Essai d’un montant de 20’000 CHF à la suite de séances de discussions animées. «J’ai la chance de pouvoir présider ces séances», poursuit Cyril Veillon. «Le jury est composé de personnalités issues de différentes disciplines qui «s’affrontent» en débats absolument passionnants sur les ouvrages. Elles ont énormément de plaisir à défendre leur autrice et leur auteur et j’avoue que plus on arrive vers le choix final, plus ça devient tendu. C’est pour moi une expérience extrêmement enrichissante.» En 2022, le Prix a été décerné à Mona Chollet, pour Réinventer l’amour (Éditions La Découverte).