«J'essaie de combiner l'enseignement européen et américain»

Anne-Florence Bitbol a été désignée en 2023 meilleure enseignante de la section d’ingénierie des sciences du vivant de l’EPFL - EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Anne-Florence Bitbol a été désignée en 2023 meilleure enseignante de la section d’ingénierie des sciences du vivant de l’EPFL - EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Son approche interdisciplinaire fait mouche auprès des étudiants: Anne-Florence Bitbol a été désignée en 2023 meilleure enseignante de la section d’ingénierie des sciences du vivant de l’EPFL. Son but? Les inciter à laisser toutes les portes ouvertes, comme elle le fait elle-même depuis 20 ans.

Elle aurait tout aussi bien pu se lancer dans un cursus littéraire. «Je n’irais pas jusqu’à dire que cela s’est joué à pile ou face», nuance en souriant Anne-Florence Bitbol. «Mais il est vrai qu’à l’adolescence, presque toutes les matières scolaires m’intéressaient, des langues étrangères aux sciences et aux mathématiques, en passant par la littérature française.» Si elle a choisi à ce moment-là la filière scientifique, «c’est parce qu’elle me permettait de laisser le plus de portes ouvertes, bref, de repousser le moment fatidique du grand choix». A la veille d’entrer à l’Université, celle qui a été désignée en 2023 meilleure enseignante de la section d’ingénierie des sciences du vivant de l’EPFL a donc été une fois de plus confrontée à un dilemme cornélien. «Je me suis demandé ce que j’avais le plus peur de perdre et la réponse a été claire: la rigueur scientifique!» Plutôt que pour les mathématiques, la jeune femme a alors opté pour la physique, «dont les applications me paraissaient plus concrètes tout en m’offrant de solides bases quantitatives», et a choisi des options et des cours supplémentaires en biologie.

Le reste du parcours académique de la professeure assistante – qui dirige depuis 2020 le Laboratoire de biologie computationnelle et biophysique théorique de l’EPFL – s’est construit selon la même philosophie. «Je crois fermement qu’il y a toujours plusieurs manières d’entrer dans un domaine de recherche, plusieurs portes différentes», affirme cette diplômée de l’ENS Lyon et de l’Université Paris-Diderot, qui a effectué un post-doc à l’Université de Princeton. Dans le même ordre d’idées, la chercheuse est convaincue de l’intérêt de combiner les disciplines, de les allier en s’appuyant sur le meilleur de chacune. «Durant ma thèse (ndlr: intitulée «Statistique et dynamique des membranes complexes»), j’ai commencé à explorer l’interface entre physique théorique et biologie, en étudiant les membranes cellulaires. Pour aller plus loin, j’ai eu recours à des outils computationnels.» Est venue s’y ajouter, dès ses recherches post-doctorales, l’étude de données biologiques.

La ligne de recherche d’Anne-Florence Bitbol pourrait donc se résumer ainsi: décrire des phénomènes biologiques à l’aide de concepts physiques, ainsi que d’outils mathématiques et informatiques. Cette approche, elle y a notamment recours pour étudier comment la relation séquence-fonction des protéines est affectée par la phylogénie et les contraintes physiques. Ou encore pour évaluer l’impact de la structure spatiale et des changements environnementaux sur l’évolution de populations de microbes, avec des applications dans le domaine de l’évolution de la résistance aux antibiotiques et de l’évolution des bactéries dans l’intestin.

Un climat propice à l’interaction

«Si mes études étaient à refaire, j’opterais probablement pour un cursus plus interdisciplinaire, ce qui correspond bien à ma vision de la recherche… et à ma personnalité interdisciplinaire tout court!» Il n’est donc pas étonnant d’apprendre qu’Anne-Florence Bitbol se sent «comme un poisson dans l’eau» à l’Institut de bioingénierie de l’EPFL. Ce n’est pas une surprise non plus: ses enseignements font le grand écart entre plusieurs disciplines. «Le cours pour lequel j’ai été récompensée – ce qui est un honneur et un encouragement – vise à expliquer aux étudiantes et étudiants comment extraire de l’information des données biologiques.» Elle s’appuie «sur des notions de physique, de mathématiques et d’informatique, afin d’étudier des phénomènes biologiques concrets donnant lieu à des données complexes ; formellement, ces données peuvent être décrites de manière probabiliste».

Ce cours, intitulé «Randomness and information in biological data», permet par ailleurs à la professeure assistante d’introduire des outils d’enseignement observés et appris au fil de ses pérégrinations scientifiques des deux côtés de l’Atlantique. «J’ai passé beaucoup de temps à analyser et à comparer les modèles français et américain, qui sont très différents.» Puis à tenter d’extraire les meilleurs aspects de chacun et de les combiner. «Aux Etats-Unis, les cours sont beaucoup plus interactifs qu’en France; après de nombreuses discussions avec des collègues, je suis arrivée à la conclusion que la solution idéale est intermé diaire: créer un climat propice à l’interaction et à l’implication des étudiants, sans pour autant laisser les discussions prendre le dessus.»

«Empowerment»

De son passage à Princeton, Anne-Florence Bitbol a aussi retenu l’importance de laisser les jeunes étudiantes et étudiants explorer des questions complexes grâce à des simulations et des projets numériques. «D’une part, cela permet de les familiariser avec les outils informatiques; d’autre part, cela leur montre que même si de nombreux problèmes réels ne peuvent pas être résolus de façon exacte, il est possible de les étudier.» La notion d’«empowerment», très présente aux Etats-Unis, n’a pas non plus laissé l’enseignante insensible. «J’essaie de rendre les étudiants actifs et de les encourager à s’approprier la matière, par exemple en leur proposant des quizz anonymes», grâce aux outils proposés par le CAPE de l’EPFL. De son éducation académique française, la chercheuse a conservé «une rigueur dans l’utilisation des outils formels et un soin accordé aux bases théoriques», qu’elle tente d’inculquer à son auditoire.

Mais avant tout, Anne-Florence Bitbol souhaite transmettre durant ses cours des méthodes qui peuvent s’appliquer de façon très large à différents domaines de la biologie, par exemple les neurosciences ou le séquençage des gènes. «Mes étudiants se situent en fin de cursus bachelor, à un moment-clé de leur parcours où il faut les aider à laisser toutes les portes ouvertes.» La boucle est bouclée.


Auteur: Patricia Michaud

Source: Bureau de l'Egalité

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