«J'apprends aux étudiants à collaborer»
Le prix du meilleur enseignant de la section de microtechnique revient cette année à Yves Bellouard, professeur associé au Laboratoire Galatea.
Yves Bellouard aurait pu être archéologue, vulcanologue, informaticien, ou encore anthropologue. Toutes ces disciplines le fascinent, et selon lui, «dans toute l’histoire de l’Humanité, il y a toujours des liens entre les sciences, le passé et la société. Même les objets high-tech peuvent avoir une origine très ancienne.» D’ailleurs son examen de Physics of manufacturing, qui s’est déroulé au mois d’août, contient des exemples de mécanismes de cardan – c’est-à-dire des gyroscopes – de la Grèce Antique à nos jours. Yves Bellouard a finalement choisi la physique appliquée, et il est aujourd’hui professeur associé de la section de microtechnique. Si la discipline est «générique et universelle» selon ce touche-à-tout, «il n’y a cependant pas de méthode d’enseignement générique. Le prix du meilleur enseignant de section est un encouragement qui répond à une part d’incertitude sur l’appréciation de notre travail», exprime-t-il avec reconnaissance.
Pot de fleur, grille-pain et extincteur
Son autre cours, qu’il donne désormais avec le Prof. Edoardo Charbon, Products design and systems engineering, est très populaire auprès des étudiantes et étudiants en Master. Il s’est inspiré d’un concept qu’il avait mis en place avec ses collègues aux Pays-Bas où il a enseigné dix ans. «Je suis arrivé à l’EPFL en 2015 quand deux professeurs partaient à la retraite, il y avait un vide que la section devait combler ; je n’avais pas d’expérience d’enseignement de leurs matières», se remémore-t-il. «L’esprit de collaboration est très fortement ancré dans la culture aux Pays-Bas. Cela remonte à l’époque où il leur fallait aménager les polders, assécher les marais et survivre dans une région inhospitalière. Ce qui ne se fait pas seul», explique Yves Bellouard.
Je constate une grande différence de mentalité chez les étudiants aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et ici, où ils sont encore parfois très scolaires. Il leur faut développer la prise d’initiative et l’autonomie.
Ainsi, le chercheur pousse les étudiantes et étudiants à concevoir un objet de A à Z. Ceci par équipes de six. «Juste assez nombreux pour que cela ne marche pas s’ils ne s’entendent pas», lance-t-il avec malice. La répartition est aléatoire, pour éviter les groupes de copains, «car on ne choisit pas ses collègues en entreprise.» Levée de boucliers chez les étudiantes et étudiants au début du projet, adoption quasi-unanime à la fin. Les prototypes présentés en fin d’année sont souvent d’une qualité extraordinaire, tel ce pot de fleur intelligent géré par smartphone qui a attiré l’attention d’un opérateur de télécommunications, ou cette machine pour apprendre à lire aux aveugles qui répondait à un réel besoin. «C’est le meilleur moment de l’année», assure le professeur avec fierté.
Yves Bellouard est aussi un adepte du reverse engineering. Les étudiantes et étudiants – toujours en groupe – choisissent un objet du quotidien qu’ils doivent démonter, décortiquer, analyser, afin d’émettre des hypothèses sur le brief de conception initial. Un peu comme une enquête policière, l’objet devenant un pantin désarticulé. Les objets choisis devant répondre à des critères de contenu pédagogique et de sécurité, c’est oui pour le grille-pain et non pour l’extincteur. Un cours applaudi par les élèves, très friands de pratique.
L’enseignant veut ainsi développer leur côté « débrouille » : «Je constate une grande différence de mentalité chez les étudiants aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et ici, où ils sont encore parfois très scolaires. Il leur faut développer la prise d’initiative et l’autonomie. Peut-être est-ce de notre faute, à nous enseignants, qui les guidons trop ? C’est vraiment un défi du métier.»
Les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru
L’archéologue dans l’âme aime ponctuer la discussion de clins d’œil. En abordant son choix de carrière, il affirme: «Changer souvent de sujets et les partager est passionnant, et mon métier me le permet. Le film On connaît la chanson et la thèse ‘Les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru’ d’un des personnages l’illustre très finement : a-t-on vraiment envie de passer plusieurs années de sa vie sur le même sujet ? C’est important d’être passionné, mais c’est aussi un des risques du chercheur : il peut vite passer pour un asocial s’il considère que les personnes extérieures au sujet ne le comprendront pas. C’est une des raisons pour lesquelles nous faisons venir des intervenants d’entreprises en cours, qui font des choses complètement différentes. Cela montre aux élèves qu’il existe d’autres angles de vue.»
En parlant de lac, Yves Bellouard s’intéresse beaucoup à la plateforme LéXPLORE sur le Léman au large de Pully, pour y étudier les algues. Il a un projet de développement de capteurs en verre et souhaite aborder des thématiques environnementales et sociétales dans ses prochains cours, du fait de leurs côtés fédérateurs. «Tous les moyens de lier l’ingénierie à l’environnement sont bons. Les étudiants sont preneurs de ces sujets, souvent multidisciplinaires, et qui cristallisent les défis et les opportunités du monde de demain. Il y a de bonnes raisons d’espérer», conclut-il, confiant.