« J'ai un style d'enseignement 'classique amélioré' »

Alain Nussbaumer © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Alain Nussbaumer © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Alain Nussbaumer aurait pu étudier le génie mécanique et faire carrière dans l’aéronautique ou le naval. Car plus que tout, ce sont les structures qui passionnent le meilleur enseignant 2024 de la section de génie civil de l’EPFL.

Un pied dans l’eau, l’autre sur terre. Et la tête dans les airs. Alain Nussbaumer aurait aussi bien pu faire une carrière dans l’aéronautique comme dans le naval. C’est un peu « par hasard » que le génie civil l’a emporté sur le génie mécanique. Un choix qui l’a mené aux États-Unis, en France, puis l’a incité à revenir à l’EPFL, où il occupe actuellement le poste de professeur titulaire au Laboratoire des structures métalliques résilientes (RESSLab). Ce laboratoire se spécialise notamment dans l’étude de la fatigue et de la rupture des constructions en acier, comme les ponts routiers.

« Au fond, il y a de grandes similitudes entre les ailes d’un avion, la coque d’un bateau et un viaduc, du moins lorsqu’on se concentre sur leur structure porteuse. » Le meilleur enseignant 2024 de la section de génie civil de l’EPFL a d’ailleurs été invité à collaborer, en tant qu’expert, sur d’ambitieux projets internationaux et interdisciplinaires portant sur tous les domaines qu’il affectionne, le viaduc de Millau, le bateau Alinghi ou encore l’avion Solar Impulse. Petit clin d’œil de l’Univers : le lendemain de notre interview, Alain Nussbaumer devait justement faire une présentation au siège de l’avionneur Pilatus, à Stans.

Solar Impulse © 2015 creative commons Wikipedia

Des jeux de construction

« Vous l’aurez compris, ce qui m’intéresse vraiment - davantage peut-être que le génie civil – ce sont les structures, » souligne le professeur. « J’aime trouver les meilleures solutions pour répartir les charges et devoir faire appel à des savoirs et des compétences issus de diverses disciplines. » Ses affinités avec la construction sont quasi génétiques. « Mon grand-père était entrepreneur dans le domaine du génie civil ; il a notamment été actif sur les grands chantiers autoroutiers des années 1960-70. » Quant à son père, il lui achetait volontiers des jeux de construction du type Lego. Et n’hésitait pas à relever ses manches – voire le bas de ses pantalons – « pour m’aider à fabriquer des barrages miniatures dans les rivières. »

Les jeux de construction ne sont jamais complètement sortis de sa vie d’adulte. Après avoir farfouillé quelques instants dans son bureau, il brandit un objet qui se révèle être un jeu de construction modulaire, composé d’un socle, de tiges métalliques souples et aimantées, et de billes. « Il s’agit du système Mola, développé par un étudiant brésilien, il permet de comprendre les principes de l'ingénierie et de démontrer l’importance des problèmes de stabilité et des déformations. C’est très utile pour expliquer les grands principes régissant le fonctionnement des structures et les règles de construction. »

Mola Structural System © molamodel.com

Or, c’est justement dans la mission de « faire comprendre aux étudiantes et étudiants les théories qui sous-tendent les méthodes de calcul utilisées dans les activités professionnelles auxquelles ils se destinent », que l’enseignant - qui démarrait ses études il y a pile 40 ans à l’EPFL - trouve son plus grand plaisir. À force de se plonger dans des sujets complexes, dans des matières ultrapointues, les futurs ingénieurs en oublient parfois ce qui fait l’essence du métier : « Concevoir des ouvrages sûrs, utilisables dans le but prévu et qui durent le plus longtemps possible. »

Mission simple mais complexe

Pour transmettre ses idées, le professeur utilise ce qu'il qualifie, avec un brin d'humour, de « style d'enseignement classique amélioré. » Durant ses cours, pas de chichis ! Des présentations PowerPoint animées, certes, « mais c’est tout ! » Lorsque la taille de la classe le permet, le professeur préfère les discussions à bâtons rompus. « Je suis conscient que cette pratique peut empêcher les personnes les plus timides de participer. Pour éviter de les exclure, je tente de rompre la glace le plus tôt possible dans le semestre, notamment en participant activement aux séances d’exercices. »

Alain Nussbaumer considère sa mission d’enseignant comme « très simple » et « très complexe » à la fois. Il s’agit de faire passer les étudiantes et étudiants des sciences de base - telles que la physique ou la chimie - à leur application concrète. « Je suis généralement le premier à leur donner un cours de structure. Pour eux, accepter le fait qu’il n’y a jamais une seule solution à un problème donné constitue un défi. » Le professeur avoue que pour lui aussi, cette réalité est un challenge. « Si je pose une question trop ouverte lors des examens, la correction des épreuves peut se transformer en vraie galère. »

Apprendre à se poser les bonnes questions

A l’image de nombreux collègues actifs dans d’autres sections de l’EPFL, l’expert en structures, constate que la durabilité est l’un des thèmes auxquels les étudiantes et les étudiants sont le plus sensibles actuellement. « Dans la construction, il n’y a pas de solution toute faite ; les réalités sont complètement différentes selon l’endroit de la planète où l’on se trouve. » Dans les pays dits « développés », la priorité d’une démarche de construction durable sera de « maintenir le bâti existant afin de limiter l’utilisation des ressources. » À l’inverse, dans les pays « en développement », il faudra souvent construire du neuf et « remplacer les constructions existantes, si elles sont mal fichues, pour leur assurer davantage de résilience et de durabilité. »

Dans une haute école à portée internationale telle que l’EPFL, il est donc impossible d’enseigner aux étudiantes et étudiants la construction durable en tant que telle. « Ce qu’il faut leur apprendre, c’est à se poser les bonnes questions. »