«J'ai saisi l'occasion de combiner mes convictions et mes recherches.

Bénédicte Lunven & Nour Halawani © 2023 Alain Herzog / EPFL

Bénédicte Lunven & Nour Halawani © 2023 Alain Herzog / EPFL

PROJET ÉTUDIANT – Bénédicte Lunven vient de terminer son bachelor et a déjà un pied dans l’économie durable.

Bénédicte Lunven a pris notre appel Zoom pendant ses vacances bien méritées en France. Elle vient de terminer son bachelor en sciences des matériaux à la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur l’EPFL, et son travail avec l’entreprise suisse Composite Recycling a retenu l’attention de la professeure qui la supervise, Véronique Michaud. Le Laboratoire de traitement des composites avancés (LPAC) est normalement spécialisé dans la création de nouveaux matériaux composites, mais pour cette étudiante écologiste, travailler sur le recyclage des matériaux nuisibles à l’environnement était une proposition qu’elle ne pouvait pas refuser.

La production de composites consomme beaucoup d’énergie et repose souvent sur des ressources non renouvelables. Autre facteur aggravant pour l’écologie, les composites sont constitués de deux ou plusieurs matériaux distincts et sont donc difficiles à recycler. La séparation des fibres de la matrice peut s’avérer complexe et nécessiter un équipement spécialisé, un personnel hautement qualifié et beaucoup de chaleur. «À ce jour, les taux de recyclage des composites sont très faibles, au maximum d’environ 2%. De plus, nous savons que les vieilles coques de bateaux en composites polluent les océans avec des microplastiques», explique Bénédicte.

Consciente de ces défis en matière de développement durable, l’entreprise Composite Recycling est pionnière dans la recherche sur le recyclage durable des composites à base de fibres de verre. Réalisé en collaboration avec cette entreprise et sous la supervision de Nour Halawani (scientifique au LPAC et responsable de projet R&D chez Composite Recycling), le projet de bachelor de Bénédicte vise à garantir que les propriétés mécaniques des fibres de verre ne soient pas fortement affectées par le processus de recyclage.

Avoir un impact réel
«Aujourd’hui, il est impossible de produire des composites sans tenir compte de leur impact sur l’environnement, car nous savons que les composites sont très polluants. Quand j’ai eu l’opportunité de travailler avec Composite Recycling pour ma thèse de bachelor, j’ai saisi l’occasion de combiner mes convictions et mes recherches», confie Bénédicte. Elle souligne en outre que le recyclage lui-même est neutre sur le plan énergétique dans l’entreprise, car les résines obtenues au cours du processus fournissent le combustible servant à produire la chaleur nécessaire à la séparation des matériaux. «Ce projet a véritablement du sens d’un point de vue environnemental», ajoute-t-elle.

En étudiant les propriétés mécaniques des matériaux composites recyclés, Bénédicte aide l’entreprise à sélectionner les meilleurs candidats pour le recyclage. Si les propriétés mécaniques du matériau recyclé final sont trop compromises, ce dernier ne sera pas viable sur le marché. L’étudiante a fabriqué des échantillons de différents composites recyclés avec différentes propriétés, en se concentrant sur les fibres de verre tissées et non tissées et sur le pourcentage de matériaux recyclés. Elle a ensuite réalisé des essais mécaniques. En se servant de machines spécialement conçues dans le laboratoire, elle a plié et tiré sur les composites recyclés jusqu’à ce qu’ils atteignent leur point de rupture.

La voie des composites recyclés est possible
Bien que ses résultats soient confidentiels (ce qui est très excitant pour une étudiante de bachelor), elle a confié que le taux de fibres recyclées joue un rôle important dans le produit final. «J’ai fabriqué des échantillons avec 50% de fibres recyclées et d’autres avec 100% de fibres recyclées. En fin de compte, j’ai constaté que les propriétés mécaniques étaient davantage compromises avec le produit final entièrement recyclé», déclare-t-elle. Bénédicte aime travailler sur des projets directement liés à un problème concret et ne se voit pas poursuivre dans le milieu académique. Après ses études, elle espère trouver un poste de chercheuse dans une petite entreprise innovante. Pour l’heure, la jeune femme de 21 ans retournera chez Composite Recycling pour effectuer son stage de master.

Les contradictions de la recherche et l’urgence du changement climatique
L’intérêt de Bénédicte pour la science des matériaux saute aux yeux pendant que nous parlons. Son regard s’est éclairé quand je lui ai demandé si son travail pouvait avoir une influence sur le développement durable. «En fait, je suis assez partagée sur le sujet, car si je sens que ma vocation est de travailler dans la recherche, je suis également consciente que les questions environnementales doivent être abordées de toute urgence. La nature de la recherche est d’avancer lentement, de vérifier tous les paramètres encore et encore. Mes recherches pourraient avoir un impact dans cinq ou peut-être dix ans. Mais nous avons besoin d’une action politique immédiate, éclairée par la science du climat», affirme Bénédicte.

Bénédicte a une vision claire de son objectif professionnel qui contraste fortement avec les doutes profonds et les décisions difficiles auxquels est confrontée sa génération de scientifiques émergents. À juste titre, elle redoute que la planète soit au bord de l’effondrement écologique. Elle est frustrée par la lenteur des progrès de la recherche ainsi que par le manque de volonté politique d’apporter rapidement les changements drastiques nécessaires au fonctionnement de notre société. Cette tension crée un dilemme crucial: posséder le talent et la détermination nécessaires pour exceller dans la recherche qui contribue à un avenir durable, tout en luttant contre l’incertitude sur ce que cet avenir pourrait réserver.