«J'ai réalisé qu'en Suisse, mettre un zéro ne se fait pas!»

Alexis Berne, meilleur enseignant 2024 de la section Science et ingénierie de l’environnement - 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Alexis Berne, meilleur enseignant 2024 de la section Science et ingénierie de l’environnement - 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Spécialisé dans l’étude des précipitations et les radars, Alexis Berne met volontiers le cap sur l’Antarctique dans le cadre de ses recherches. Ses étudiantes et étudiants ne lui tiennent pas rigueur de ses absences prolongées: ils lui ont décerné le prix du meilleur enseignant 2024 de la Section des sciences et ingénierie de l’environnement.

Au moment de l’interview, Alexis Berne est sur le point de partir effectuer une mission de trois mois en Antarctique. Abandonner ses étudiantes et étudiants durant un trimestre entier? «Un vrai défi», admet le meilleur enseignant 2024 de la Section des sciences et ingénierie de l’environnement de l’EPFL. «Il a fallu faire preuve de créativité, changer l’ordre des cours: j’ai dispensé le cœur de l’enseignement en tout début de semestre et me suis organisé pour revenir à temps pour les corrections d’examens.» Les projets pratiques, eux, devaient être supervisés par des assistants et des post-doctorantes. «Cela m’a rappelé l’importance de faire partie d’une équipe de confiance, que ce soit en tant que professeur ou que chercheur.»

Du chaud au froid, puis au glacial

On imagine bien le responsable du Laboratoire de télédétection environnementale (LTE) quelques dizaines d’années plus tôt, enfant, regardant à longueur d’après-midi des documentaires sur les manchots ou la fonte de la banquise. Et pourtant, son penchant pour les contrées polaires n’est venu que plus tard. Ironiquement, c’est dans une région au climat tempéré qu’Alexis Berne s’est pris d’intérêt pour ce qui allait devenir son champ de recherche principal : les précipitations. «Au terme de ma formation d’ingénieur, j’ai réalisé mon projet de fin d’étude auprès des Services techniques de la ville de Marseille; il portait sur les pluies en zone méditerranéenne.» Alors qu’avant cela, il tâtonnait un peu, «c’est à ce moment-là que j’ai vraiment trouvé ma voie».

Ni une ni deux, le jeune scientifique se lance sur le chemin d’un Diplôme d’études approfondies (DEA), qui lui ouvre la porte d’une thèse de doctorat, centrée sur l’hydrologie en région urbaine, en l’occurrence à Marseille. «Déjà à l’époque, je m’appuyais sur les radars dans le cadre de mes recherches.» C’est en 2006, après un détour par l’Université de Wageningen aux Pays-Bas dans le cadre d’un post-doctorat, qu’Alexis Berne fait ses premiers pas à l’EPFL.

«Les précipitations ont continué à figurer au cœur de mon activité académique; mais du climat chaud, je suis passé au froid, puis au glacial.» À ses débuts lausannois, il y a près de 20 ans, il a dans un premier temps poursuivi ses recherches sur la Méditerranée. «Mais vu la situation géographique de la Suisse, je me suis logiquement réorienté vers les Alpes.» Son expertise de l’utilisation de radars en milieux difficiles l’a ensuite poussé, il y a une dizaine d’années, à s’intéresser à l’Antarctique.

Les recherches que mène Alexis Berne en environnement polaire n’empêchent pas son laboratoire de continuer à s’intéresser à la compréhension de la dynamique des précipitations dans les régions alpines. Car celle-ci est cruciale pour la prévision des ressources en eau et des risques naturels. «Nous collaborons notamment de façon intense avec l’Office fédéral de météorologie et de climatologie.» L’équipe du LTE contribue ainsi au développement d’algorithmes dédiés à la chaîne opérationnelle de traitement des données radar, dont certains sont à l’œuvre dans l’application grand public de MétéoSuisse. «Nous avons également participé au suivi de phénomènes météo intenses, tels que les violents épisodes de grêle.»

Liking by doing

Que ce soient la sensibilité environnementale, l’intérêt pour l’eau ou encore les affinités avec les outils technologiques: les ingrédients figurant au cœur des activités scientifiques d’Alexis Berne étaient déjà en germe depuis son adolescence. L’amour de l’enseignement aussi? Le professeur l’avoue: «Ce n’était pas franchement une vocation; l’intérêt pour l’enseignement est venu en donnant des cours, puisque cela faisait partie de mon cahier des charges lorsque j’ai rejoint l’EPFL.»

Le professeur se souvient d’un air amusé du tout premier cours dispensé en 2007, qui portait sur les géostatistiques. «J’ai dû rectifier le tir en cours de semestre, car c’était beaucoup trop compliqué pour les étudiantes et les étudiants.» L’enseignant a également dû modifier sa façon de noter les examens. «Dès les premières sessions, j’ai réalisé qu’en Suisse, mettre un zéro, cela ne se fait pas!»

Bulles de réactivation

Elle paraît bien lointaine, cette époque où Alexis Berne commettait ces faux-pas pédagogiques. Entretemps, il a compris qu’«on veut toujours mettre trop de matière dans les cours», et qu’il vaut mieux, à l’inverse, épurer, aller lentement, répéter au besoin. Et surtout garder du temps pour répondre aux questions de l’auditoire. Bref, «éviter le décrochage». Alexis Berne poursuit: «Un enseignant n’est pas là pour les bons étudiants, il est là pour tous les autres.» Lui a justement eu «la chance de toujours donner des cours obligatoires, auxquels assistent certaines personnes peu motivées; j’ai dû apprendre à enseigner pour elles.»

Mais attention, cours épurés ne riment pas avec cours simplistes. «J’aime aller au fond des choses, parfois plus loin que ce qui est nécessaire; après tout, l’EPFL est une haute école d’ingénieures et ingénieurs!» Tout l’art de l’enseignement – «surtout lorsqu’il s’adresse à la ‘génération zappeurs’» - consiste à trouver le bon équilibre entre approfondissement de la matière et bulles de réactivation de l’auditoire. «Un professeur plus expérimenté m’a donné l’idée des quiz: une à deux fois par période de 45 minutes, c’est moi qui pose des questions aux étudiantes et étudiants.» Une technique qui permet non seulement de casser le rythme et de réveiller les neurones, mais aussi de «mettre l’accent sur certains points».

L’envie de bien faire

Au fil du temps, le responsable du LTE a appris à décoder les évaluations des étudiantes et étudiants. «Interpréter les retours, c’est tout un art!», plaisante-t-il. «Quand les étudiants ne sont pas contents, on le sait très vite; encore faut-il être en mesure d’écarter les commentaires extrêmes, qui n’aident pas vraiment à s’améliorer.» Le scientifique met son prix du meilleur enseignant sur le compte de la sincérité de son investissement. «Je suppose que l’on sent que je viens en cours avec plaisir et avec l’envie de bien faire pour tout le monde.»


Auteur: Patricia Michaud

Source: People

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