«J'ai découvert une autre facette de ma personnalité en enseignant»
Il aiguise l’appétit académique de ses étudiantes et étudiants grâce à des métaphores culinaires et s’assure leur attention en faisant des «blagues de papy». Une recette payante, puisque José Luis Zuleta a été nommé meilleur enseignant 2023 de la section de mathématiques de l’EPFL.
C’est par gourmandise que José Luis Zuleta s’est intéressé aux maths. «Lorsque j’étais enfant, notre instituteur nous faisait travailler les fractions en utilisant des plaques de chocolat et des tranches de gâteau; j’aimais beaucoup ses cours», se rappelle celui qui a été désigné meilleur enseignant 2023 de la section de mathématiques de l’EPFL. Au fil des ans, l’enseignement est devenu plus sérieux. «Et malheureusement moins axé sur les desserts», souligne en riant le chargé de cours. Son intérêt pour cette matière, lui, n’a pas changé.
Au moment de choisir une voie académique, «j’ai opté pour la physique, qui me paraissait ouvrir davantage de portes». Soucieux de ne pas trop s’éloigner de ses chères mathématiques, José Luis Zuleta est resté du côté de la physique théorique, «à cheval entre les deux disciplines». Depuis 2002, il enseigne à l’EPFL, où il a eu l’opportunité de donner des cours du cycle propédeutique en analyse, en algèbre linéaire et en géométrie à des étudiantes et étudiants de plusieurs filières, notamment la chimie, le génie civil et le génie mécanique. Par ailleurs, il dispense des cours de mathématiques aux étudiantes et étudiants de l’École des sciences criminelles de l’UNIL.
Le mythe de la bosse des maths
Le fait d’enseigner les mathématiques à des «non-matheux» constituerait un repoussoir pour de nombreuses personnes. Au contraire, José Luis Zuleta trouve dans cet apparent paradoxe une source accrue de plaisir. «Cela m’a obligé à sortir de ma zone de confort, à chercher des moyens créatifs de faire passer la matière.» La première mission que s’est fixée le chargé de cours: «Faire comprendre aux étudiants que les maths sont bien plus qu’une branche de sélection, qu’elles leur seront utiles tout au long de leur parcours, à l’image d’un couteau suisse.»
Constatant que ce discours faisait mouche auprès de son auditoire, José Luis Zuleta a décidé de placer la barre plus haut, «de montrer que l’apprentissage des maths peut entraîner du plaisir». Pour cela, une seule solution: casser le cliché qui leur colle aux baskets, lié à la prétendue existence d’une «bosse des maths». L’enseignant en est persuadé, «à l’inverse du football, qui nécessite un minimum de condition physique, les mathématiques sont accessibles à tout le monde». Et de conclure sur un ton sans appel: «Les maths sont aussi belles que simples.»
Rester sérieux tout en rigolant
José Luis Zuleta l’avoue bien volontiers: tel Sisyphe poussant son rocher, il doit recommencer chaque année à zéro son travail de médiation entre étudiants et mathématiques. Heureusement, de petites victoires viennent régulièrement lui montrer qu’il est sur la bonne voie. «Parfois, des jeunes ont même été jusqu’à changer de branche principale et s’inscrire en mathématiques!»
Pour le soutenir dans sa démarche, il s’est équipé d’un outil redoutable: l’humour. «A la base, je me considère comme quelqu’un de très sérieux; or, en repensant à mes propres études, et en les analysant avec mes nouveaux yeux d’enseignant, j’ai réalisé que mes professeurs utilisaient l’humour pour ancrer les idées.» Ni une, ni deux, José Luis Zuleta a introduit le rire et la bonne humeur dans ses enseignements. «J’ai littéralement découvert une nouvelle facette de ma personnalité, réalisé qu’il existait un être drôle caché au fond de moi.» Drôle, vraiment? «En tout cas, mes étudiants ont la politesse de rire à mes blagues de papy», rapporte-t-il avec un clin d’œil. Mais attention, «ne pas se prendre au sérieux ne veut pas dire ne pas faire les choses sérieusement; on peut très bien rester sérieux tout en rigolant!»
S’il sent que son auditoire peine à se décomplexer face à la matière, l’enseignant n’hésite pas à forcer un peu le côté «bon enfant» de ses cours. «Il me semble que cela aide les étudiants à se lâcher, à poser des questions, surtout lorsqu’ils sont nombreux.» Selon José Luis Zuleta, il est justement essentiel à leur progression que les jeunes participent, sortent de leur passivité. Par ricochet, «cela me permet de prendre le pouls de la classe, de me demander si je dois procéder à des adaptations.»
L’incontournable Betty Bossi
Comme son instituteur il y a tant d’années, le chargé de cours titille souvent les papilles gustatives de son auditoire. «C’est durant mes études que j’ai appris à cuisiner, ce grâce aux livres Betty Bossi; j’y fais souvent allusion en classe.» Il s’empresse de préciser, toujours sur le ton de la plaisanterie, que s’il cuisine toujours, «c’est désormais à l’aide de recettes plus évoluées que celles de Betty Bossi.» Quant aux étudiants, «ils me reprochent parfois de sortir de mes cours… en ayant faim».